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« Je ne sais pas si c’est une bonne idée de garder l’intrus dans l’expérience, ma chérie.
— Je n’en suis pas sûre non plus, mais puisqu’il a influé notre sujet depuis qu’il est arrivé, il est trop tard pour nous en débarrasser ; il a faussé la mise en situation de base, mais faut faire avec à présent.
— C’est vrai. » Il se gratta pensivement le menton, puis parcourut rapidement certaines de ses notes du regard.
« L’épisode avec le bourreau était intéressant cela dit, reprit-il. Nous pensions le faire avec Lance, mais je ne sais pas si cela aurait eu autant d’impact, puisque nous ne l’avions pas faite interagir avec.
— Oui, le fait qu’elle ait créé un lien d’elle-même a joué. Elle ne se serait pas précipitée aussi tôt sinon.
— C’est plutôt positif. Nous pourrons garder Lance pour une autre situation.
— Tout à fait, approuva la femme en rehaussant ses lunettes. Je la trouve remarquablement calme étant donné sa situation.
— Je trouve aussi, mais tu sais bien qu’elle intériorise beaucoup. Nous nous sommes toujours demandé pourquoi elle exprimait si peu ses ressentis.
— Jusqu’où devrons-nous aller pour la faire extérioriser ?
— Nous verrons bien, conclut l’homme.
— En tous cas, je trouve les réactions de nos personnages très intéressantes aussi. Et j’aimerais beaucoup étudier plus avant notre bourreau Samedi. C’est tellement rare de pouvoir étudier les réactions d’un véritable eunuque…
— Oui, ils sont tous autant nos sujets finalement ; notre étude est vraiment riche d’informations ! Il nous faudra des mois pour décortiquer tout ça. »
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[Le lendemain petit dialogue explicatif entre Gaël et Éléonore que j’ai la flemme de faire. Globalement Gaël avait une sœur qui s’est retrouvée dans un hôpital psy et des praticiens un peu fous ont fait des expériences pas très cool sur elle et ça a mal fini. Depuis il veut leur faire payer, ou au moins les faire cesser de détruire des gens tout ça, et il a trouvé le lieu de leur prochaine expérience qui devait être grandiose. Du coup il est venu saboter tout ça, mais ça ne s’est pas passé comme prévu. La question c’est est-ce qu’il dit tout de suite les noms ou pas à Éléonore ? Oh et puis proute.]
Éléonore et Gaël furent réveillés tôt le lendemain, avec les rayons du soleil qui pénétraient généreusement par les fenêtres, desquelles les rideaux n’avaient pas été tirés. « Aïe ! s’exclama Gaël en grimaçant. J’avais oublié que j’étais une vraie plaie. » Éléonore pouffa et l’aida à se lever. « Il ne faut pas que je fasse trop de mouvements brusques, mais sinon ça devrait aller. » Il grimaça une nouvelle fois. « Ou peut-être pas trop de mouvements en général. »
Ils suivirent les indications du médecin et de l’infirmière pour s’occuper de la chair à vif, puis il se retira derrière le paravent pour revêtir une tenue de valet qui avait été déposée à son intention. « J’aime pas du tout, commenta-t-il en émergeant du paravent.
— Les tenues de cette époque sont bizarres.
— C’est le moins qu’on puisse dire. C’est comme tes robes, là, tu ressembles à un gâteau sur décoré à chaque fois, avec.
— Et en plus, elles ne sont pas très pratiques ! » ajouta Éléonore.
Quelqu’un frappa à la porte. « Êtes-vous réveillée, madame ?
— Oui Jodie. » soupira-t-elle en lançant un regard ennuyé à son nouveau valet.
La servante entra et adressa un coup d’œil hostile à Gaël en le voyant. Celui-ci s’approcha d’elle, aussi prestement que le lui permettait la douleur, et ôta le plateau de petit-déjeuner des bras de Jodie. « Merci de vous être si bien occupée de ma maîtresse pendant que j’étais souffrant, lui déclara-t-il avec verve. Maintenant, je prends le relais. Pourriez-vous juste m’expliquer comment fonctionnent ces gâteaux de tissu ?
— Des gâteaux de tissu ?
— Oui, ces robes, là. Il faut que j’apprenne à l’aider pour les mettre, vous comprenez. »
Jodie jeta un coup d’œil interrogateur à Éléonore, qui hocha la tête, et accepta à contrecœur. Une fois que la maîtresse eut enfilé la robe du jour, la servante expliqua au valet comment tout devait s’attacher et ce à quoi il fallait être attentif. Elle lui montra ensuite rapidement comment aider à arranger les cheveux et lui fit un résumé de tous les devoirs qu’il aurait désormais envers Éléonore.
« Je suppose que vous n’avez plus besoin de moi, maintenant, madame.
— C’est vrai, Jodie. Tu peux à présent profiter du temps libre que te procurera le fait de ne plus avoir à t’occuper de moi.
— Sauf votre respect, madame, vous allez vite regretter votre décision. Un homme n’est pas très doué pour s’occuper correctement de quoi que ce soit.
— Nous verrons bien. » conclut Éléonore.
De fait, peu lui importait si Gaël se montrait un serviteur correct ou pas. Elle ne voulait pas d’un serviteur, elle voulait un allié pour se sortir de ce nid de vipères où elle avait été jetée. Une fois que Jodie eut quitté les appartements, Éléonore et Gaël s’installèrent pour profiter du petit-déjeuner. « Bon, lança-t-il la bouche pleine. Je suppose que tu voudrais quelques explications de ma part maintenant. »
Éléonore hocha affirmativement la tête. Elle avait impatiemment attendu que quelqu’un lui apprenne de quoi il retournait. Gaël commença : [insérer ici le blabla résumé plus haut].
Le temps avait passé pendant que Gaël donnait ses explications. Ils entendirent l’horloge du salon sonner midi, qu’ils n’avaient pas encore terminé. Quelqu’un vint s’enquérir de la présence d’Éléonore au repas, mais elle déclina et le renvoya aussitôt, pressée qu’elle était de savoir tout ce que son valet avait à lui apprendre. Elle n’avait pas eu l’impression de réussir à témoigner à quel point elle compatissait à l’histoire de Gaël et se promit de faire de son mieux dans leur alliance pour les sortir de là.
« Tu penses qu’ils nous entendent ? demanda Éléonore. Et qu’ils nous voient ?
— Ça, je ne sais pas. Je pense qu’ils nous entendent ou nous voient dans une certaine mesure oui. Et je pense que le reste leur est rapporté. Ils mettent peut-être des micros dans nos vêtements et il doit y avoir des caméras partout.
— Mmmh, oui, du coup c’est compliqué d’avoir une discussion privée sauf à se mettre tous nus dans un champ loin de tout ?
— Haha oui ! En gros, c’est ça.
— Notre discussion n’a pas l’air de les inquiéter plus que ça, commenta Éléonore. Personne ne vient nous interrompre ou nous séparer de force ou quoi.
— C’est certainement parce qu’ils doivent encore avoir plusieurs coups d’avance sur nous pour le moment. Et puis, ce qui les intéresse, c’est surtout de nous voir évoluer dans leur petite fantaisie, là.
— C’est horrible de faire ça. Qui sont ces gens ?
— Bah, je pense pas que ça te sera très utile de le savoir, mais si tu y tiens. Ce sont les docteurs Caroline et Bruno Duchesne. »
Les noms résonnèrent comme un glas dans l’esprit d’Éléonore, précédant une vague d’angoisse mêlée de paranoïa. Elle les connaissait. Elle lança un regard douloureux à Gaël ; il venait de l’informer que les responsables de cette expérience qui injuriait toute éthique étaient ses propres parents. Une vague de souvenirs désagréables l’assaillit.
Lorsqu’elle était enfant, ses relations avec ses parents s’avéraient très compliquées. Il y avait beaucoup d’incompréhension de part et d’autre et la communication n’était que parcellaire. Sous couvert d’agir pour son bien-être, ils avaient passé leur temps à surveiller et commenter tous ses faits et gestes. Cela avait tendu vers le harcèlement. Elle avait découvert comment agir de manière normale grâce à ses interactions extérieures et, pour préserver sa santé mentale, Éléonore avait fini par couper tous les liens avec ses parents.
Et voilà qu’ils l’avaient retrouvée ! Et qu’ils la faisaient participer à une affreuse expérience. Submergée par une rage soudaine, elle dut faire un effort surhumain pour ne pas tout casser autour d’elle. « Euh… ça ne va pas ? Tu les connais ? » s’enquit Gaël, surpris de la voir se lever soudainement et arpenter la pièce avec des aller-retour furieux.
« Oui, je les connais. » Éléonore avait les larmes aux yeux. Comment pouvaient-ils lui faire subir une chose pareille ? Elle secoua la tête : elle savait très bien pourquoi, il y avait plusieurs explications possibles. Ou ils voulaient la rendre plus forte ou plus intelligente grâce à cette expérience, ou ils se contentaient de l’étudier pour la comprendre. Tous fins psychologues qu’ils étaient, ils n’avaient jamais réussi comprendre son fonctionnement. Dès lors, il devait être plus simple pour eux de la traiter comme le sujet d’une expérience.
Elle avait envie de vomir.
« Ce sont mes parents, informa-t-elle Gaël en se passant une main sur le visage.
— Tes… wow… euh… Et… et tu ne savais pas ?
— Non. J’aurais certainement fini par comprendre à force. Il y a effectivement des détails qui m’avaient chiffonnée et qui m’auraient mise sur la voie [réfléchir aux détails en question]. Mais je n’en avais aucune idée. En fait, avant même de te voir torturé, j’étais persuadée d’être dans un jeu de rôles grandeur nature.
— C’est un peu ça, au final, commenta Gaël. Je suis désolé, pour tout ça.
— Oh, bah ce n’est pas de ta faute. »
Éléonore continua à faire les cent pas, puis se rendit soudainement dans le salon, où Gaël la suivit. Elle ouvrit le secrétaire et récupéra les pages de lettre qu’elle avait écrites à [Bidulon] et les jeta dans la cheminée. « Qu’est-ce que c’est ? demanda Gaël.
— Une lettre où je racontais tout ce qu’il m’arrivait.
— Ah, un peu comme un journal intime alors.
— Oui, c’est ça, c’était pour mon compagnon. Mais je n’ai pas envie que ça arrive jusqu’aux deux docteurs, là. Tant pis, je raconterai tout ça à [Bidulon] quand je le retrouverai. D’ailleurs… il doit être terriblement inquiet là tout de suite. Ça fait des jours que je suis ici, je me demande bien ce qu’ils lui ont dit pour justifier mon absence. »
Ils contemplèrent les flammes dévorer la lettre, dont il ne resta bientôt plus que des cendres. « Ça doit être vraiment horrible d’apprendre ça, compatit Gaël.
— Oui, c’est horrible. Et, tu sais, le plus horrible dans tout ça, c’est que ça ne m’étonne même pas. Pas du tout. Mais maintenant, j’ai plus que jamais envie de rentrer chez moi. Viens. »
Sans mot dire, il lui emboîta le pas et elle leur fit prendre des manteaux. « Nous allons faire des expériences, nous aussi, expliqua Éléonore.
— J’aime l’idée !
— Bien. » Elle s’arrêta brusquement, s’approcha de lui et lui murmura à l’oreille : « Notre but principal, c’est de sortir d’ici, mais il faut parler de nos plans le moins possible, ou de manière à ce que personne ne nous entende.
— Compris.
— Nous allons commencer par le plus simple. » décréta-t-elle en passant son manteau et en sortant des appartements.
Éléonore les emmena aux écuries, où elle demanda à un palefrenier de leur préparer deux chevaux. « Êtes-vous certaine, madame ? demanda l’aide d’écurie avec un air gêné. Parce que votre père ne veut plus que vous montiez un cheval, même un gentil.
— Oh, si ce n’est que ça, il a changé d’avis, lui assura-t-elle avec un sourire.
— Vrai ? Parce que je ne veux pas avoir des problèmes, madame.
— Vous n’en aurez pas. Allez, deux gentils chevaux, vite ! »
Après avoir encore hésité, le palefrenier obtempéra et commença à préparer les chevaux. « Éléonore ? l’interpella Gaël. Je ne suis jamais monté sur un cheval.
— Rassure-toi, moi presque pas. C’est juste pour aller plus vite. » Elle lui expliqua rapidement les bases qu’elle avait, puis ils enfourchèrent leurs chevaux. Après avoir pris leurs marques avec les animaux, ils partirent sur le chemin qui semblait mener vers l’extérieur du domaine.
Comme ils n’osaient pas presser les chevaux, ils mirent du temps à parvenir à l’extrémité du domaine. Comme ils avaient suivi le chemin, ils se retrouvèrent devant une immense grille, fermée et bordée de murs de part et d’autre. De l’autre côté, la campagne continuait, mais la route était goudronnée. « Comme quoi, des fois il n’y a pas besoin de chercher compliqué, commenta joyeusement Gaël. À nous la liberté !
— C’est vrai, mais je ne vois pas comment passer la grille. Ni toi ni moi ne pouvons passer à travers. » Elle essaya de tirer et pousser le battant et continua : « Apparemment, c’est verrouillé et je ne me vois pas escalader un truc pareil. C’est beaucoup trop haut…
— Oui, et les murs aussi. Rha… C’est rageant d’être si près du but ! Allez, viens, reprenons les chevaux et suivons le mur. Il doit bien y avoir un endroit par lequel nous pouvons nous en aller. Et sinon, la prochaine fois on prendra une échelle. »
Éléonore acquiesça. Ils commencèrent à suivre le mur, malgré le froid et la douleur des blessures de Gaël qui le faisaient toujours souffrir. Dans ces conditions, ils eurent rapidement l’impression que ce mur était sans fin, mais ils ne se laissaient pas décourager. « Vivement que je puisse aller voir un vrai médecin, déclara Gaël.
— Je pense que c’étaient un véritable médecin et une véritable infirmière qui t’ont soigné.
— Ah bon ?
— Oui, ils avaient l’air coupables quand je les ai suppliés de nous emmener. »
Elle lui raconta les évènements en détail, puisqu’il était inconscient à ce moment-là [à vérifier]. « Tu sais, dit pensivement Gaël une fois qu’Éléonore eut terminé, je me demande si le fait que nous passions juste à ça de pouvoir nous échapper ne fait pas partie de leur expérience.
— C’est possible, mais ne dit pas ça, ça m’angoisse.
— Désolé, mais il faut bien parler des possibilités.
— C’est vrai. »
Éléonore soupira. Il avait raison, elle devait tout considérer, même si elle ne s’aimait pas lorsqu’elle remarquait et analysait tout ce qui l’entourait. Elle avait passé des années à gommer sa mauvaise habitude de surinterprétation et voilà qu’il lui fallait recommencer. Cela la mit de mauvaise humeur, heureusement que la présence de Gaël l’empêchait de sombrer totalement dans la morosité.
« Tu entends ? » lui demanda soudain ce dernier. Un tonnerre de sabots au galop paraissait se rapprocher d’eux. « J’ai bien peur que la balade soit terminée.
— Peu importe, balaya Éléonore. Nous aurons bien d’autres occasions de nous promener aux abords du domaine.
— Sauf si le seigneur te punit dans ta chambre ! »
À sa grande joie, elle pouffa de rire : c’est quelque chose qui pourrait arriver, malgré le ridicule que ça serait. Sans compter qu’elle ne se laisserait pas faire. La seule chose qui pourrait vraiment l’embêter, ce serait de se retrouver toute seule dans cette expérience humaine. Et cela, elle n’était pas prête de l’avouer à haute voix. Elle ne savait pas si ses parents pouvaient l’entendre ou pas, mais elle préférait ne pas risquer de leur donner des armes contre elle.
« Qu’est-ce qu’on fait ? On les attend ici ? proposa Éléonore.
— Ça va pas la tête ? On ne va quand même pas leur faire ce plaisir. Ils vont devoir nous suivre un petit moment. Continuons !
— Tu as raison, ne leur simplifions pas la tâche. »
Ils continuèrent leur promenade, comme s’ils n’étaient pas poursuivis, devisant tranquillement. C’est ainsi que les trouvèrent quelques gardes, accompagnés du seigneur Arthur lui-même.
2565 mots pour aujourd’hui ! Si je continue sur cette lancée, j’aurai rattrapé mon retard après-demain.