La série des mots-clefs : Alors, il me sembla que l’air s’épaississait…

Bien évidemment, le temps que je prenne cette grande digitale en photo, en essayant de capturer toute l’essence de sa beauté mortelle, le reste du groupe avait disparu. J’ai donc tendu l’oreille pour déterminer la direction dans laquelle ils s’étaient dirigés. Rien ne troublait les pépiements des oiseaux ni le bruit du vent qui agitait paresseusement les branches des arbres. Un peu décontenancé, je suis allé dans la direction générale qu’il me semblait qu’ils avaient prise. Hésitant, j’ai ensuite marché quelques pas dans plusieurs directions, tout en sachant que chaque moment perdu les éloignait de moi. Soudain, la lumière se fit dans mon esprit. Fier de toutes les inventions pratiques que mes congénères avaient créées, je me suis triomphalement emparé de mon téléphone. Ma satisfaction fut de courte durée. Dans cet écrin de nature perdu, mon petit bijou de technologie ne captait aucun signal, que ce soit téléphonique ou Internet.

J’ai un moment caressé l’idée de rester sur place pour être plus facile à retrouver lorsqu’ils se rendraient compte de mon absence prolongée. Mais, après être resté assis sur une souche pendant quelques minutes, j’ai compris que je ne pourrai pas rester ainsi inactif. Je me suis levé et, après m’être dégourdi les jambes, je me suis aventuré à l’exploration. De toutes façons, cette forêt devait bien avoir une fin. Plus personne ne se perdait dans les bois de nos jours, n’est ce pas ? Cette assertion se trouva bientôt confirmée par le fait que je finis bientôt par rencontrer un chemin. Rassuré, je l’ai joyeusement emprunté afin de rejoindre au plus vite un brin de civilisation. A intervalles réguliers, je vérifiais si mon téléphone captait enfin un réseau. Malheureusement, dans cet environnement vallonné recouvert d’arbres, il ne captait toujours aucune antenne ni satellite.

Tout en marchant, je commençais à me demander combien de temps il allait encore me falloir pour arriver quelque part. Le chemin forestier, bien que baigné d’une jolie lumière verte et dorée qui passait à travers les feuilles, finissait par me lasser. Un cadre peut s’avérer à la fois joli et répétitif. Un petit étang vint rompre cette monotonie et, fatigué, je décidais de me reposer un instant à son bord. Alors, il me sembla que l’air s’épaississait, tandis que l’odeur de l’humus se faisait plus prenante. Que se passait-il ? Peut-être étais-je déshydraté. Je me suis donc fébrilement emparé de ma gourde pour en boire quelques gorgées. Ceci fait, je me suis rendu compte que de légères volutes de brume s’élevaient du sol.

Je ne me sentais pas mieux ; j’avais l’impression d’avoir la tête cotonneuse. Puis le martèlement commença. J’ai d’abord cru à une migraine tapageuse mais, le son devenant plus distinct, je reconnus le bruit de sabots au galop sur le chemin de terre. Je me suis levé et retourné, soulagé de pouvoir finalement demander de l’aide. Sauf que les cavaliers qui s’offrirent à ma vue paraissaient provenir d’un autre temps. Il s’agissait de tout un équipage de damoiselles et de damoiseaux tous de blanc vêtus, menés par une femme magnifique à l’air sévère. Bouche-bée, j’admirais cette apparition surnaturelle. La tête de la meneuse était ceinte d’une couronne de feuilles de chêne et un poulain immaculé suivait sa monture richement apprêtée. Ils m’ignorèrent totalement, passant à côté de moi comme si je n’étais pas là. Au moment où les chevaux pénétrèrent dans l’eau à grand renfort de gerbe étincelantes, je sombrai dans l’inconscience.

« On l’appelle la Mare-aux-Fées ou la Mare-au-Diable. » Disait quelqu’un tandis que mon cerveau tentait désespérément de reprendre le contrôle. « Et le Diable sait comment ce touriste a pu arriver jusque là. » En ouvrant péniblement mes paupières, j’ai pu constater que je me trouvais dans un véhicule de pompiers, solidement arrimé à une civière. Le guide qui avait emmené mon groupe dans la forêt se trouvait également là. C’était lui qui parlait. « J’ai suivi le chemin, suis-je parvenu à dire avec un tout petit filet de voix.
– Le chemin ? s’étonna l’homme. Mais aucun chemin ne mène à la Mare-aux-Fées ! »

Car, oui, quelqu’un est arrivé ici en tapant dans son moteur de recherche : « Alors il me sembla que l’air s’épassissait ». J’espère que maintenant il ne sera plus déçu !

La série des mots-clefs 1

Voici, comme prévu, une toute petite élucubration d’après une recherche qui a mené quelqu’un ici.

Ils se trouvaient à peine à deux mètres l’un de l’autre, immobiles. Les deux se fixaient en chiens de faïence. L’enjeu : le contenu d’un paquet de chips à la moutarde qui s’était déversé entre eux sur la nappe de pique-nique. Il s’agissait d’un moment fort, d’un schéma qui se répétait depuis des temps immémoriaux. L’homme contre l’animal. Le défi. Autour d’eux, plus rien ne comptait, ni le soleil éclatant de ce dimanche matin, ni la douce brise qui faisait onduler l’herbe du parc. C’était comme si le monde s’était arrêté de tourner. Lequel des deux sortira vainqueur de la confrontation ? L’homme civilisé ou l’écureuil au regard de tueur ?

Les mots-clefs étaient « écureuil regard tueur ». Je pense que le moteur de recherche avait mené la personne ici à cause de ceci. Il y a une jolie illustration d’écureuil avec une magnifique légende.

Terreur Nocturne

Il s’immobilisa, tous les sens en alerte dans l’obscurité environnante. Il avait marché sur une lame grinçante du parquet et il craignait d’avoir attiré l’attention de la Créature. Ses yeux fouillèrent la pénombre dans laquelle la maison était plongée, à la recherche d’un mouvement suspect. Son coeur battait la chamade ; il devait faire preuve d’une grande maîtrise de soi afin de ne pas céder à la panique et se mettre à courir en hurlant. S’étant assuré, autant que possible, que la Chose n’avait pas été alertée, il reprit sa lente progression en direction de la sortie de la maison.

Le coeur tambourinant à tout rompre sous l’angoisse, il s’employait à lever doucement un pied après l’autre et de les poser avec tout autant de précaution, pour ne pas faire gémir le plancher. A chaque instant, la frayeur menaçait de le submerger. Il ne voulait pas mourir ! Il savait qu’il allait devoir passer devant la cuisine et que c’était là où il supposait que la Créature se trouvait. Il n’osait même pas imaginer qu’elle aurait pu s’être déplacée ailleurs. Cette bête là était étonnamment silencieuse et paraissait douée pour tendre des embuscades fulgurantes.

Pris d’une impulsion soudaine, il se retourna brusquement et inspecta rapidement l’obscurité du regard à la recherche des yeux bleus électriques de la Chose. Rien. Il s’autorisa un soupir intérieur avant de reprendre sa progression vers la sortie, en repoussant courageusement les assauts de son angoisse. Silencieusement, un pied en chaussette après l’autre et il pourrait survivre.

Un bruit assourdissant provint de la cuisine. Il s’arrêta de nouveau, comme une bête traquée, le coeur battant encore plus vite dans sa poitrine. La Créature devait avoir fait tomber de la vaisselle. Il resta immobile, priant qu’elle ne sorte pas de la pièce. Il entendit des fouissements dans les tessons, accompagnés de grognements. Espérant que la Chose était occupée à dévorer le contenu de la vaisselle cassée et que le bruit couvrirait sa progression, il avança un peu plus vite, jusqu’à arriver à la porte de la cuisine. Une fois là, il s’adossa au mur, prit une silencieuse inspiration et risqua un coup d’oeil dans la pièce.

Ses yeux rencontrèrent alors les yeux bleus électriques de la Créature. Sa bouche s’ouvrit sur un cri, qu’il ne put jamais pousser, tandis qu’elle lui tranchait la gorge. Avant que son regard ne se voile définitivement, il aurait pu jurer qu’elle souriait.

La quête du sapin, ou l’échec du jet de volonté.

En général, je n’aime pas faire dans l’autobiographique. Mais de temps en temps, il faut bien se prêter à l’exercice. Voici donc une petite anecdote toute simple qui m’est arrivée il y a quelques temps, durant l’année à présent révolue de 2013. Cette année là, j’avais décidé de faire l’acquisition d’un véritable sapin synthétique pour les fêtes. En réalité, cela faisait plusieurs années que j’avais prévu un tel achat, mais mes habitudes de poisson rouge m’avaient systématiquement fait oublier. Cette fois-ci, empoignant fermement ma fuyante motivation à deux mains, je me suis rendue dans une enseigne très connue qui vend habituellement de vraies plantes vivantes, mais qui se diversifie dans le plastique en période de Noël. Et aussi en guirlandes qui froufroutent, mais là n’est pas la question.

Or donc je me suis retrouvée dans ce magasin, à l’atmosphère lourde et moite, aux odeurs riches typiques des endroits envahis de plantes et d’animaux, à fureter entre les différents modèles de ces merveilleux sapins qui ne perdent pas leurs épines. Certains déploreront que ces arbres ne dégagent pas de ces agréables fragrances typiques des conifères. Et ils auront raison. Mais moi, je ne voulais plus d’épines ni de transport de cadavre jusqu’à une benne. Sans compter que, de nos jours, les fabricants font de si jolis sapins synthétiques qu’il serait dommage de ne point décorer son salon avec. L’un d’entre ces faux arbres, notamment, m’avait tapé dans l’œil. Il était à l’image de je-ne-sais-plus-quel-sapin de Norvège et on aurait juré qu’il était vrai. Vraiment. Et magnifique en plus. Et très grand. Et, malheureusement, très cher. Beaucoup trop pour l’investissement que je comptais faire.

Après un soupir intérieur, écoutant ma Sagesse, je me suis donc tournée vers des arbres à la stature plus raisonnable. Mon choix se porta finalement sur un joli sapin dit Tuscan, fabriqué en Thaïlande et importé par une entreprise de la commune de St Vulbas dans l’Ain. Il était à la fois moins coûteux et disponible en plusieurs tailles. Cela avait surtout son importance car j’allais devoir ramener mon butin à pieds en le portant à la force de mes petits bras non musclés. Lequel prendre ? Celui qui mesure 1m25 ? Pfff, vous plaisantez ? Je veux un arbre, pas un géranium. Celui de 2m05 ? Cela me faisait envie, mais je ne me voyais pas transporter le carton sur plus de cent mètres. Il me restait donc à départager les deux choix intermédiaires : 1m55 et 1m85.

Là, ma Sagesse intérieure intervint de nouveau en m’interpellant : « Sophie ! » (car je me nomme ainsi) « Sophie, ne te montre point trop gourmande, prend donc le sapin le plus petit, il est raisonnablement haut, il est moins coûteux et tu pourras le porter plus aisément sur le long trajet du retour. » (Oui, ma Sagesse intérieure s’exprime parfois de manière un peu pompeuse) D’humeur raisonnable, j’ai décidé de suivre ce sage conseil que je m’étais donné à moi-même. Je me suis donc dirigée vers la pile des cartons contenant les arbres d’1m55. Malheureusement, cette pile était bien trop haute pour que je puisse attraper l’un des cartons avec mes petits bras, contrairement à la pile tentatrice des sapins d’1m85 qui se trouvait juste à la bonne hauteur.

Bâillonnant solidement ma Sagesse qui me conseillait d’aller voir un vendeur – parler à quelqu’un que je ne connais pas, et puis quoi encore – je l’enfermais soigneusement dans un réduit obscur d’un coin de mon esprit. Ceci fait, j’ai soupesé l’un de ces fameux cartons. En fait, ils étaient plus légers que ce à quoi je m’attendais. Oubliant immédiatement, et fort à propos, toutes les autres considérations, je me suis fièrement rendue à la caisse, portant mon trophée à deux mains garnies de mitaines bleues. Mon acquisition dûment payée, je pouvais dès lors la ramener jusque chez moi.

Je l’avais pressenti, mais à ce moment là débuta mon chemin de croix (moi, exagérer ? Je ne vois pas ce qui vous fait dire une chose pareille). Dans les faits, la durée du voyage doit être approximativement d’une quinzaine de minutes en marchant d’un bon pas. Mais, appesantie par huit kilos de sapin synthétique portés à bout de bras, faute d’une meilleure solution, le retour s’avéra pour le moins désagréable et plus long. Bien évidemment, le fait que j’ai trouvé ce trajet désagréable et interminable était purement subjectif. Néanmoins, cela ne m’a pas empêchée d’avoir bien chaud en arrivant. Mais il était enfin là, ce carton du mérite, à trôner au milieu du salon. Une fois mon souffle repris, j’ai longuement contemplé mon butin, emplie d’un doux sentiment de satisfaction.

Puis, je l’ai laissé là, en plein milieu où mon compagnon ne pourrait pas le manquer en rentrant. Ainsi il pourrait longuement se féliciter d’avoir une compagne aux choix si pertinents. Ensuite, je suis allée vaquer à mes occupations. De manière tout à fait fortuite, j’avais oublié de délivrer ma Sagesse, qui devait probablement être en train de se débattre dans ce cagibi obscur où je l’avais ligotée et enfermée. D’autres parties de moi-même beaucoup moins avouables en profitèrent pour se montrer.

« Et si tu ouvrais cette mystérieuse boîte ? m’enjoignirent-elles pleines d’entrain.
– Non, résistai je avec bravoure. Ce n’est pas le moment et, de toutes façons, ce carton n’a rien de mystérieux : il contient un sapin synthétique en morceaux.
– Mmmh, mais comment se présentent ces morceaux ? s’interrogèrent-elles en se faisant plus pressantes. Il nous tarde tellement de le savoir !
– Et bien, il va falloir attendre, assénai je fièrement.
– Mais l’attente nous fait souffrir, se plaignirent les parties moins avouables de moi-même.
– Peu m’importe, répondis-je imperturbablement.
– Allons, allons, tu ne vas pas nous dire que tu n’as pas envie de voir comment cela se présente… » Me susurrèrent-elles en se faisant câlines et enjôleuses.

Je voulais vraiment résister, mais n’ayant plus ma Sagesse pour m’assister, les graines de la tentation prirent rapidement racine dans le terreau fertile de ma curiosité. A la grande satisfaction des parties moins avouables de moi-même, j’ai finalement entrepris d’ouvrir ce carton du mérite que j’avais si courageusement transporté. J’ai alors eu la joie de constater que le sapin n’était pas composé de seulement quelques morceaux à assembler, mais bel et bien de toute une multitude. Le tourbillon de la tentation continua de m’emporter vers le fond : je me suis empressée de sortir les divers composants et de déterminer comment ils s’imbriquaient les uns les autres. Petit à petit, je montais mon beau sapin, Roi des forêts synthétiques. Mes parties moins avouables et moi-même trépignions de joie, comme des enfants le jour de Noël, jour qui se tiendrait un mois plus tard.

J’ai reculé, afin d’avoir une vue d’ensemble de mon oeuvre. Je me suis alors aperçue qu’il manquait un petit quelque chose. En effet, cet arbre était certes majestueux dans sa nudité sapinesque, mais il fallait encore l’habiller et le parer de fastes. Juste pour voir ce que cela donnerait, bien sûr. Je me suis donc précipitée, de mon agilité d’hippopotame neurasthénique, vers mon placard où je gardais les apprêts colorés et froufrouteux de Noël. Puis, avec moult tendresse, je me suis employée à orner mon synthétique sapin de brillance et de bonheur. Une fois encore, j’ai reculé afin d’admirer le résultat. Or, admirable, il l’était assurément. Très fière de moi, je n’ai pu m’empêcher d’immortaliser mon chef d’œuvre en prenant une photo, que j’ai ensuite fièrement affichée partout sur Internet.

C’est ainsi que, par manque de volonté, mon sapin de Noël se trouva prêt avant même le mois de Décembre.

Ceci était la version romancée. Mais en réalité, à la base j’avais fait une esquisse non terminée de cette histoire en petite BD que voici :

La quête du sapin

Les affres des révisions

A un ami qui avouait se prendre la tête sur ses révisions de sociologie en statut facebook, j’ai répondu ça :

Il était une fois, au sommet d’une tour d’ivoire, la plus haute, un homme qui se tenait, assis à une table, dans une petite pièce étriquée. Comme il se sentait seul et désemparé ! Régulièrement, il jetait un oeil désespéré au travers de la meurtrière qui lui servait de fenêtre. L’enfermement lui pesait moult et ô combien se sentait-il oppressé… Il avait comme mission de lire et mémoriser un grimoire gigantesque sur la couverture duquel était gravé dans le cuir : Sociologia. Un mot dangereux à prononcer dans son entier et que d’aucun des plus courageux en parlaient à voix basse sous le terme de Socio. De fait, l’ouvrage ne paraissait pas si volumineux au premier abord. Mais il avait été maudit des dizaines d’années auparavant par un sorcier mal intentionné qui détestait le pauvre malheureux cloîtré. La malédiction rendit le livre infini : à chaque fois que le prisonnier arrivait à la dernière page, il s’en trouvait toujours une à la suite et jamais cela ne se terminait. Il tint ainsi des mois et des mois, subissant son calvaire de manière héroïque. D’un héroïsme dont personne n’entendrait jamais parler et qu’aucun Barde ne mettrait jamais en chanson. Finalement, devenant fou, l’homme ne supporta brutalement plus sa condition. N’ayant pas d’autre possibilité d’en finir, il heurta violemment la table de sa tête. Cette dernière éclata comme un fruit mûr, éclaboussant les alentours de morceaux de cervelle baignant dans du sang encore chaud, et brisant le meuble dans un « Klong ! » assourdissant. Que personne n’entendit.

Extrait de « L’Homme qui fut métamorphosé en Femme »

Ô rage, ô désespoir ! Féminité honnie !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Et ne suis-je blanchi dans les plaisants labeurs

Que pour voir en un jour férir tant de vigueur ?

Ma verge, qu’avec respect tout le monde admire,

Elle, qui tant de fois a su faire jouir,

S’est tant de fois affermie sous un doux émoi

Trahit mes appétits et ne fait rien pour moi ?

Ô cruel souvenir de ma gloire passée !

Œuvrant tant et plus mais en un jour effacée !

Nouvelle condition fatale à mon bonheur !

Précipice élevé d’où tombe mon honneur !

[…]

(court extrait d’une pièce de théâtre gnomiquement gnomesque, inspirée par un récent Chant d’Ekwo)

La Ferme

Jonathan, les yeux rivés sur la fenêtre, contemplait pensivement son œuvre. Un sentiment d’intense satisfaction l’envahit. Ses champs cultivés s’étendaient à perte de vue dans le soleil couchant ; ses semis céréaliers étaient plantés en carrés impeccables et il en était de même pour ses potagers ou ses vergers. Il tourna ensuite légèrement la tête afin de savourer la vision de ses prés où paissait une multitude de bétail bien gras. Et comment oublier sa rutilante moissonneuse-batteuse qui dormait tranquillement en compagnie de ses tracteurs aux diverses fonctions ? Soupirant d’aise, il se rendit à la cuisine, où il se servit un verre de lait. Ceci fait, il retourna dans son bureau, le centre névralgique de toute son exploitation fermière. Il s’assit confortablement devant son ordinateur et passa une main dans ses cheveux.

Le sonnerie annonçant le début de la vidéoconférence tintinnabula enfin et les visages de ses collègues et amis s’affichèrent sur l’écran. « Salut les gars. » Lança-t-il nonchalamment. Depuis toujours, il pensait que la nonchalance lui conférait de la prestance. Une fois l’étape de la politesse achevée pour tous les participants, Jonathan prit la parole. Tous se turent respectueusement ; il était le leader de leur petite communauté d’exploitants agricoles. A force de zèle et d’acharnement, il avait même grandement participé à leur visibilité sur cet outil de communication de masse qu’est Internet et, désormais, ils accueillaient régulièrement de nouveaux membres en leur sein. Certains disaient même que Jonathan avait révolutionné l’agronomie.

« Mes amis, déclara-t-il, comme vous le savez tous, nous sommes partis de rien. Regardez maintenant où nous en sommes ! Nous avons tous prospéré. » Ce disant, Jonathan songea brièvement à Léa, qui n’avait pas su tenir la distance avec sa ferme, et avait fini par abandonner. Mis à part ce fâcheux incident, tous ceux qui avaient persévéré se tenaient à présent sur un véritable empire fermier, à la tête de richesses agricoles incommensurables, même si certains avaient du pour cela fournir un apport de grosses sommes d’argent. « Cela n’a pas toujours été facile, continua-t-il. Surtout lors des lourds investissements que nous avions à faire à chaque fois que nous voulions nous agrandir. Mais nous nous sommes obstinés et nous en récoltons finalement les fruits.

– Et les légumes ! » Intervint joyeusement Théo, avant de se mettre à rire à sa propre saillie. Certains pouffèrent de convenance. Pas Jonathan. Il s’en tenait à sa personnalité nonchalante.

Il continua d’ailleurs, ignorant l’interruption du boute-en-train. « A force d’investissements judicieux, disais-je, de ruse et de diplomatie, nous avons enfin atteint un niveau que les autres ne peuvent plus se permettre d’ignorer. Ils vont devoir prendre sérieusement nos avis en compte ! » Ses interlocuteurs manifestèrent bruyamment leur joie. Enfin leur efforts allaient pouvoir leur permettre de tirer leur épingle du jeu au niveau national. Voire même, au niveau mondial dans la foulée. Personne ne se moquerait plus d’eux et tous ceux qui les avaient critiqués deviendraient envieux. Les grands de ce monde allaient être contraints de les accepter parmi eux, car ils allaient forcément être acceptés comme poids politique avec lequel compter. Jonathan sentit son cœur battre la chamade d’allégresse. Voici venue l’aube d’une nouvelle ère.

Avec, à sa tête, la guilde « La Ferme John et Cie », la première sur superfarming.com.