NaNoCamp Avril 2017 J+4 : Préquelles Arkhaiologia

Ils frissonnèrent. La lueur orangée disparut progressivement et l’homme fit un pas en arrière. Il prononça quelques mots d’une voix profonde et sur une intonation interrogative, mais ni Valentin, ni Béatrice ne comprirent sa question. Déa hocha affirmativement la tête en réponse, puis se tourna vers les deux amis. Elle souriait. « Je suis guérie ! Se réjouit-elle. Je vous avais dit que je connaissais un médecin.
– Euh, oui d’accord… Balbutia Valentin.
– On devrait peut-être s’en aller, du coup, non ? Suggéra Béatrice. Déa n’a plus besoin de soins et son ami se balade en petite tenue dans les couloirs de l’hôpital… »

La femme aux yeux dorés acquiesça et se tourna vers le médecin pour lui dire quelques phrases dans leur langue. L’homme hocha de la tête pour indiquer qu’il avait compris et ils quittèrent l’hôpital tous les quatre. Une fois dans la voiture de Béatrice, ils prirent le temps de mettre un peu d’ordre dans leurs esprits. « Raconte-nous Déa, la supplia Valentin. Tu te rappelles de tout ? Comment ça se fait que tu étais écorchée quand tu es arrivée ? Tu te souviens enfin d’où tu viens et où on est ?
– Un instant, temporisa Déa, Asklepios voudrait suivre la conversation. Je vais filtrer votre langue…
– Asklepios ? Filtrer notre langue ? » Ni Valentin, ni Béatrice ne comprirent l’expression. Ils échangèrent un regard perplexe.

« Pardonnez-moi, s’excusa Déa avec un sourire joyeux. Vous ne devez pas saisir grand chose à la situation.
– C’est le moins qu’on puisse dire, commenta Béatrice.
– Je vais essayer de résumer, reprit la femme aux yeux dorés. Filtrer votre langue, c’est pour que mon ami puisse vous comprendre et vous parler. Je suis télépathe et j’ai le don universel des langues. C’est la raison pour laquelle j’ai assimilé votre langage très rapidement. Asklepios, lui, ne dispose pas de ces dons. Je traduis donc dans sa tête ce qu’il entend et ce qu’il veut dire. Comme ça, il peut vous comprendre et vous parler. Par contre, je dois être rouillée, ça me demande bien plus d’efforts qu’avant de faire ça…
– Ça… Ce doit être parce qu’il y a peu de magie, expliqua doucement Asklepios avec un lourd accent. C’est plus difficile pour moi aussi… De soigner. »

Valentin se tourna du siège passager pour considérer l’homme. Celui-ci lui rendit paisiblement son regard, de ses yeux aux iris orangés. Le thésard se demanda d’où leur venaient ces couleurs d’yeux peu communes. « Arrête de te poser des questions, le gourmanda Déa. Je ne pourrai pas répondre à toutes sinon !
– Arrête de lire mes pensées, se plaignit le jeune homme. C’est perturbant…
– Je vais essayer, promit la femme aux yeux dorés. Mais je ne garantis rien : c’est de l’ordre du réflexe pour moi.
– D’où venez-vous alors ? » Intervint Béatrice avec le regard pétillant de curiosité.

Déa et Asklepios échangèrent un regard entendu. Valentin les soupçonna de discuter par télépathie en même temps qu’ils conversaient avec eux. La femme aux yeux dorés lui fit un clin d’œil et répondit : « En fait, la véritable question n’est pas d’où venons-nous, mais plutôt : de quand venons-nous ?
– De quand… » Murmura Béatrice. Les deux étaient stupéfaits.

« Vous avez voyagé dans le temps ? S’étonna Valentin.
– Pas vraiment, corrigea Déa après un bref regard en coin vers son compagnon. Pour simplifier, disons que nous sommes investis de magie et, quand elle est présente, nous sommes immortels. Lorsque le voile a éradiqué la magie du monde, nous sommes devenus poussière. Mais maintenant qu’elle est de retour, nous avons pu nous reconstituer.
– Comment se fait-il que tu te sois reconstituée amnésique ? S’enquit Béatrice.
– Nous sommes immortels, mais pas invulnérables, expliqua Déa. Nous pouvons être blessés, même si aucune blessure n’est mortelle et que nous guérissons plus rapidement que vous. »

Il y eut un nouveau silence, le temps que Valentin et Béatrice digèrent les informations. La jeune femme prenait furieusement des notes sur son téléphone. « Nous devons trouver les autres, déclara Asklepios de sa voix profonde.
– Je ne sais plus où ils étaient lorsque le voile est apparu, soupira la femme aux yeux dorés. Ils étaient certainement aux quatre coins du monde… Je n’arrive pas à les joindre par télépathie pour le moment.
– Les autres ? Répéta Valentin. Vous êtes combien de… comme vous ?
– Sept. » Répondit Déa avec un sourire absent.

Béatrice posa son téléphone et mit le contact. « On ne va peut-être pas rester à discuter toute la nuit sur un parking d’hôpital. Je vous emmène chez moi pour la nuit ?
– Avec plaisir, accepta la femme aux yeux dorés. Et le dragon ?
– Nous irons le voir demain. J’avais une autre question… Ce voile dont vous avez parlé tout à l’heure, qu’est ce que c’est ?
– C’est une bonne question, répondit Déa. Nous ne savons pas : nous n’en avions jamais entendu parler avant de le voir. Et de le subir. » Elle tordit la bouche à ce souvenir. « C’était très douloureux. »

NaNoCamp Avril 2017 J+3 : Préquelles Arkhaiologia

Son ami referma la bouche. Elle avait raison : inutile de faire l’ennuyeux moralisateur. La situation était particulière. Il prit place à l’avant tandis que Béatrice mettait le contact. La voiture électrique souffla en démarrant.

Alors que la voiture s’approchait du bâtiment où travaillait la jeune femme, Valentin put apprécier les dimensions de l’annexe qu’ils avaient construite à côté, lui qui n’allait que rarement de ce côté là du campus. Elle lui parut immense : il y avait même une porte pour y faire entrer de gros véhicules. Béatrice gara la voiture devant et en descendit pour désactiver l’alarme. Elle ouvrit la porte à taille humaine et se glissa à l’intérieur du bâtiment. Quelques secondes plus tard, la grande porte dévolue aux véhicules se soulevait. La jeune femme sortit du bâtiment pour garder sa voiture à l’intérieur. Elle ferma tout et alluma la lumière.

« Bienvenue dans la nouvelle annexe ! S’exclama Béatrice en désignant les alentours en tournant sur elle-même.
– C’est fou que tu aies les codes et les clefs de tout ici, commenta Valentin impressionné.
– Oh, tu sais, les professeurs Massamba et Pommier sont souvent en déplacement à cause de la recrudescence des apparitions de créatures surnaturelles. Et comme ils sont souvent appelés sur des sites, ils me laissent le soin de m’occuper de la maison.
– Et ils te font confiance ? » La taquina le jeune homme.

Son amie lui tira la langue et ouvrit le coffre de la voiture, tandis que Déa s’extirpait de l’habitacle. La femme aux yeux dorés ne fit pas de commentaire mais, à la façon dont elle regardait la voiture et les alentours, les deux amis sentirent bien que tout lui paraissait nouveau. Béatrice les planta là pour aller préparer une cage la plus confortable possible pour le pensionnaire endormi dans le coffre. En l’attendant, Valentin et Déa firent le tour de la pièce neuve, bordée de différentes cages et au centre de laquelle trônaient d’énormes cartons contenant les futurs équipements de l’annexe.

La femme aux yeux dorés fit la moue. « Ces cages sont grandes, mais elles restent froides pour y faire vivre qui que ce soit.
– Ne t’en fait pas, la rassura le jeune homme. Béatrice m’a expliqué que les créatures enfermées ici ne le seraient que de manière temporaire. Ce sera aussi le cas pour ce jeune dragon.
– Oui, je ne compte pas le laisser là. » Acquiesça Déa.

Une fois que Béatrice eut installé ce qu’il fallait dans la cage pour adoucir le séjour du dragon, ils entreprirent d’installer le bébé à l’intérieur. « Je vais lui laisser la couverture, je pense, déclara Valentin en contemplant l’animal blotti dans le tissu.
– Il est tout mignon avec juste la tête et la queue qui sortent, s’attendrit Béatrice en fermant soigneusement la porte. Bon ! En route pour l’hôpital à présent ! » Continua-t-elle avec entrain, tout en se dirigeant vers sa voiture pour remettre la banquette et la plage arrière en place.

Le trajet pour l’hôpital se déroula rapidement ; il n’y avait pas de circulation. Aux urgences, l’affluence était très faible. Béatrice expliqua au personnel soignant que Déa s’était retrouvée au milieu d’une mauvaise bagarre, qu’elle souffrait d’amnésie et qu’ils s’inquiétaient qu’elle ait pris un mauvais coup sur la tête. L’infirmière de garde eut la confirmation de l’amnésie lorsqu’elle demanda le nom de famille de Déa et que celle-ci fut incapable de répondre. « C’est peut-être indiqué sur votre carte d’identité, suggéra l’infirmière.
– Elle n’en a pas, intervint encore Béatrice. Nous l’avons trouvée telle quelle. »

Après quelques autres questions et arrangements, leur interlocutrice les envoya patienter dans la salle d’attente, en leur assurant que la nuit étant calme, ils n’auraient pas à attendre très longtemps. « Déa ? L’interpella Valentin. Tout va bien ? Tu as l’air un peu absente depuis un moment.
– Mmhmm… Émit machinalement la femme aux yeux dorés. Il y a quelque chose ici.
– Quelque chose ? Répéta Béatrice.
– Oui. »

Déa ne s’étendit pas en explication. Valentin vit que son amie rongeait son frein, curieuse qu’elle était. Elle prenait sur elle pour le moment, mais ce n’était qu’une question de temps : elle recommencerait bientôt à lui poser des questions. Il sourit par devers lui. Comment lui en vouloir ? Il se sentait au moins aussi curieux qu’elle. Ses pensées s’interrompirent lorsqu’il vit la femme aux yeux dorés se lever et quitter la salle d’attente. « Déa ? L’appela-t-il.
– Tu cherches quelque chose ? » Continua Béatrice en se levant pour la rattraper. Valentin bondit à son tour de son siège pour suivre les deux femmes.

Celle aux yeux dorés continuait de marcher dans le couloir de l’hôpital sans leur répondre. « Déa, je ne pense pas que nous ayons le droit d’aller par là… » Tenta le jeune homme, mais elle continuait de faire la sourde oreille. Elle s’arrêta tout aussi soudainement qu’elle s’était levée. « Déa… » Reprit Béatrice à son tour, mais elle se tut en voyant un homme se dresser au bout du couloir, face à eux. Il avait noué une blouse médicale autour de sa taille, laissant à l’air libre son physique presque corpulent, et leur faisait face, sa mine affichant la stupeur à la vue de la femme aux yeux dorés qui lui faisait face.

Une porte du couloir s’ouvrit brusquement, interrompant le silence presque surréaliste. Une adolescente sortit, gémissant de douleur, titubant sous l’effet d’un calmant quelconque. L’homme attrapa lestement la jeune fille et posa sa main sur sa tête. Surprise, l’adolescente ne songea même pas à se débattre. Une douce lueur orangée nimba la main et se propagea le long du corps de la jeune fille, s’arrêtant au niveau du ventre. Là, la lueur orangée se fit plus forte et l’homme ferma les yeux, l’air concentré. L’opération ne prit pas plus d’une poignée de secondes. Lorsque la lumière orangée disparut, l’adolescente était endormie.

L’homme se redressa, la portant jusqu’à la chambre qu’elle venait de quitter. Il en ressortit presque aussitôt, referma soigneusement la porte, et s’approcha de Déa. Celle-ci ne bougea pas et ses deux accompagnateurs ne savaient pas comment ils devaient réagir. L’inconnu prit le visage de Déa dans ses mains et posa son front sur le sien. Les mains se nimbèrent de nouveau de la douce lueur orangée, ainsi que la tête de la femme aux yeux dorés. Cette fois, l’opération prit un peu plus de temps, à la grande nervosité de Valentin et Béatrice.

NaNoCamp Avril 2017 J+2 : Préquelles Arkhaiologia

Valentin ne pouvait s’empêcher de fixer le dragon. Il avait encore du mal à réaliser qu’il en avait un chez lui. Ses pensées s’éparpillaient et il se redressa soudainement. « J’ai une idée qui pourrait t’aider à retrouver la mémoire, déclara-t-il à Déa avant de venir s’asseoir sur le canapé près d’elle.
– Ton téléphone ? S’enquit-elle en le voyant le lui désigner.
– Internet plutôt, corrigea-t-il.
– Je ne suis pas certaine d’avoir vraiment compris le concept d’Internet, avoua Déa. Mais je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait d’une médecine.
– Ce n’est pas le cas, regarde. »

Le jeune homme déploya l’écran holographique et commença à naviguer. « Tiens, voilà ce qui s’est passé la semaine dernière dans les environs – je suppose que tu es du coin – et là c’est le parc à côté duquel nous t’avons rencontrée.
– Rien de ces choses ne me dit quoi que ce soit, soupira la femme aux yeux dorés.
– Mmmh, passons aux personnages célèbres alors… » Le jeune homme fit défiler des personnalités politiques, sportives, e-sportives, artistiques et tout ce qui lui passait par la tête. Mais personne ne disait quoique ce soit à Déa. Ni les personnes connues, ni même les noms des villes.

« Je pense que le problème est plus complexe que ce qu’il y paraît, intervint finalement Béatrice qui se tortillait pensivement une mèche de cheveux. Elle t’a dit que le concept d’Internet ne lui était pas familier. Nous devons prendre en compte la possibilité qu’elle ne vienne pas d’ici.
– Mais d’où alors ? Lança Valentin. Et pourquoi est ce qu’elle ne se souvient pas d’être venue ici, ni d’aucune ville ni rien ? Même la carte du monde ne lui parle pas…
– Je ne sais pas.
– Tu penses qu’on devrait l’emmener aux urgences comme on aurait dû le faire tout à l’heure ? Suggéra le jeune homme.
– Et laisser un dragon tout seul chez toi ? Pointa Béatrice.
– Hmpf… »

Malgré son admiration pour ces animaux mythiques, Valentin n’était pas prêt à en laisser un tout seul chez lui. « Il faudrait passer à ton labo avant, déclara-t-il après quelques instants de silence. Nous installons le dragon là-bas et puis direction l’hôpital. Par contre, je me vois pas promener un dragon dans la rue jusqu’au campus.
– Je vais chercher ma voiture dans ce cas, proposa Béatrice.
– Parfait. » Conclut Valentin.

Comme la jeune femme fermait la porte en s’en allant pour aller chercher son véhicule, Déa plongea dans son regard doré dans les yeux de Valentin, qui se sentit impressionné sans savoir pourquoi. « Je ne comprends pas tout ce qu’il se passe, lui dit-elle. Mais vous paraissez bons et de bonne foi avec votre amie. Je vais donc vous faire confiance. » Le jeune homme eut l’inexplicable impression que l’étrange inconnue venait de lui confier une mission sacrée. Il se tassa un peu sous le regard saisissant de Déa. Cette impression de grandeur émanant d’elle disparut aussi rapidement qu’elle était apparue. Elle lui sourit. Il lui sourit en retour, un peu gêné.

Le petit dragon émit un grognement plaintif. En réponse, la femme aux yeux dorés se mit à le caresser. Enchanté, l’animal se tourna sur le dos, laissant libre cours à la main caressante sur son ventre rond de bébé dragon. « Montre-moi encore des images s’il te plait, demanda Déa. Tout me paraît inconnu, mais tellement fascinant ! » Valentin acquiesça et lui montra des images de la ville. La femme aux yeux dorés penchait la tête sur le côté, comme perplexe face à ce qu’il lui présentait sur son écran holographique. Elle contemplait le tout en silence, posant parfois une question.
Béatrice fut bientôt de retour. Entre temps le dragon s’était endormi. « On le réveille ? S’enquit Valentin.

– Ça risquerait de l’énerver je pense. » Déclara son amie. Le jeune homme réfléchit un instant, puis enroula l’animal dans une vieille couverture qui traînait dans un de ses placard – qui utilisait encore des couvertures ces jours-ci – et Déa et lui entreprirent de le soulever doucement, pour voir s’ils pouvaient le porter à deux. Il était remarquablement léger pour une bête de cette dimension. Pour éviter que sa queue ne traîne par terre, la femme aux yeux dorée la fit passer par dessus son épaule.

Alors qu’ils descendaient les escaliers en le transportant le plus délicatement possible, Valentin croisait mentalement les doigts pour ne pas croiser de voisins. Surtout la pénible du dessus qui adorait traverser son appartement de long en large en talons à partir de sept heures du matin. Il aurait trop envie de lui jeter le dragon dessus, mais il préférait ne pas attirer l’attention. Heureusement ses voisins semblaient tous préférer rester chez eux – certainement en partie à cause de l’alarme songea le jeune homme – et ils parvinrent à la voiture de Béatrice sans se faire remarquer.

Mesurant l’animal du regard, la jeune femme ouvrit le coffre de son véhicule, enleva la plage arrière et rabattit la banquette arrière. Valentin et Déa glissèrent doucement dans la voiture le dragon qui dormait comme le bébé qu’il était. La queue de l’animal participait beaucoup dans sa longueur. Elle était très grande et, heureusement, très souple. Ils purent la faire rentrer en l’enroulant. Sans cela, ils n’auraient jamais pu faire tenir la bête dans l’habitacle.

Déa grimpa d’autorité à l’arrière, sur la banquette rabattue, à côté du dragon endormi. Valentin s’apprêtait à lui dire que ce n’était pas prudent de monter ainsi sans ceinture, mais Béatrice le poussa vers le siège passager avec un regard explicite.

NaNoCamp Avril 2017 J+1 : Préquelles Arkhaiologia

L’animal cligna ses yeux rouges de plaisir sous les caresses.

« Ils ont déclenché l’alarme juste pour lui ? Se demanda tout haut Béatrice. Il ne paraît pas si dangereux en plus.
– Il n’est peut-être pas seul, supposa Valentin en grattouillant le cou de la créature. Je ne sais pas combien d’œufs pondent les dragons.
– Une douzaine, intervint Déa. Normalement peu d’entre eux parviennent à sortir du nid car la mère s’occupe de ne garder qu’un ou deux, parfois trois, parmi les plus aptes de sa portée. Les autres… Meurent.
– Cela voudrait dire qu’une dragonne adulte a pondu ses œufs dans le coin ? Reprit Béatrice.
– Si quelqu’un a repéré un dragon adulte en ville, je comprends mieux l’alarme. »

Ce disant, Valentin s’imaginait apprivoiser le dragonnet. « Je ne pense pas qu’il y ait de dragon adulte dans les environs, déclara Déa pensivement.
– Pourquoi ça ? S’étonna Béatrice. Un dragon adulte a bien dû pondre l’œuf de ce bébé, non ?
– Oui, acquiesça la femme aux yeux dorés. Mais je ne sens pas assez de magie pour qu’un dragon adulte puisse survivre. Il n’y en a probablement aucun. Et ça m’énerve de savoir ça sans savoir qui je suis ! »

Une volée de dragonnets passa au-dessus d’eux, poussant des cris dans la nuit qui les firent sursauter. Des drones les poursuivaient en bourdonnant. D’un commun accord, les deux amis enjoignirent à Déa de convaincre l’animal perché au balcon de rentrer à l’intérieur de l’appartement. Ni Béatrice, ni Valentin, ne tenaient à passer à côté d’un tel spécimen à étudier ; ils doutaient que les drones suivaient les dragonnets pour jouer avec eux. Ils ne savaient pas si c’était pour les abattre, mais ils préféraient ne pas prendre le risque de le perdre.

Déa attira la créature à l’intérieur avec un morceau de viande crue qu’elle venait de faire apparaître dans sa main et alla de nouveau s’installer sur le canapé. Le petit dragon se coula dans l’appartement à sa suite et la rejoignit, ouvrant la gueule avec espoir. La femme aux yeux dorés le récompensa avec la viande, qu’il avala goulûment. Les deux amis les rejoignirent aussitôt, après avoir fermé la baie vitrée. Tandis que Déa nourrissait le bébé, Béatrice prit Valentin à part.

« Qu’allons-nous faire d’eux ? Lui souffla-t-elle. Toi ou moi pourrions héberger Déa, mais le dragon ? Qu’en ferons-nous ? Vu sa taille il ne supportera pas de rester enfermé dans l’un de nos deux appartements. Et puis j’ose même pas imaginer la quantité de nourriture qu’il doit ingurgiter.
– Ton labo, je ne vois que cette solution.
– Ce n’est pas mon labo… Mais tu as peut-être raison. L’agrandissement est terminé et prêt à l’emploi. Je suppose que Massamba et Pommier pensaient plutôt y loger des banshees ou je ne sais quoi d’autre. Je ne pense pas qu’ils verront d’inconvénient à avoir un jeune dragon à observer. Je suis certaine qu’ils trouveront fascinant le fait que les dragons – comme les fées – possèdent trois paires de membres.
– Tant qu’ils ne le charcutent pas, ça me va.
– Tu sais que, maintenant, l’imagerie médicale a évolué et qu’on a plus à ouvrir les êtres vivants pour voir ce qu’il y a à l’intérieur, n’est ce pas ? » Le taquina Béatrice.

Valentin la chatouilla en guise de représailles, puis ils s’installèrent tous deux face à leurs hôtes. Le petit dragon s’était couché sur le canapé, sa tête dans le giron de l’étrange femme aux yeux dorés. « Vous êtes bien gentils de vous occuper de nous, les remercia Déa tout en couvant l’animal d’un regard attendri. Je ne suis pas sûre d’avoir compris toutes vos pensées, mais tout ce que j’ai perçu était positif à notre égard. Vous pensez vraiment que certaines personnes pourraient nous vouloir du mal ?
– Du mal, pas vraiment, la rassura Valentin. Mais je suis certain de nos intentions à nous, du moins.
– Par contre, compléta Béatrice, je doute que nous puissions laisser le dragon en liberté à l’heure qu’il est. Tout le monde va le considérer comme dangereux et je crains qu’il ne soit abattu si on le laisse dehors. »

Déa leur adressa un grand sourire : « Les dragons sont dangereux. Un dragon adulte peut détruire une cité à lui tout seul.
– Et comment fait-on pour empêcher ça ? S’enquit Valentin.
– S’en faire des amis, expliqua-t-elle en caressant le dragonnet. Ou avoir de puissants mages pour se protéger.
– Et tu ne sais toujours pas comment tu as connaissance de toutes ces choses ? Vérifia Béatrice. Parce qu’il semblerait que tu sois la seule personne au monde à savoir tout ça.
– Ce serait intéressant que tu nous dises d’où tu tiens toutes ces informations. » Renchérit le jeune homme.

« Vous êtes des érudits je vois. » Déa sourit de nouveau et Valentin eut la désagréable impression qu’elle lisait toujours dans leurs pensées. « Toujours en quête de savoir, poursuivit rêveusement la jeune femme aux yeux dorés, vous voulez tout comprendre… Oh, et oui, je continue de capter vos pensées, mais c’est plus fort que moi, je ne fais pas exprès. » Elle leva fièrement la tête :

« J’aimerais bien savoir, moi aussi. Je ferai ce que je peux pour vous aider.
– Tant mieux ! S’exclama Béatrice. Parce que j’ai une question.
– Oui ?
– Tout à l’heure, tu as dit qu’il n’y avait pas assez de magie pour un dragon adulte, commença la jeune femme. Et tu m’as clairement l’air d’être une magicienne. Tu peux déjà faire des choses complètement folles, comme te régénérer, ou lire nos pensées, faire apparaître des trucs, ou parler aux dragons… Ou que sais-je encore. Penses-tu que tu pourrais faire encore plus de choses s’il y avait assez de magie pour entretenir des dragons adultes ? »

Déa resta silencieuse, comme si elle réfléchissait. « Je ne suis pas vraiment une magicienne, déclara-t-elle enfin. Enfin, j’ai certaines capacités et elles utilisent de la magie. Mais magicienne ne me semble pas le terme approprié.
– D’accord, acquiesça Béatrice, nous réfléchirons au terme approprié plus tard dans ce cas.
– Pour répondre à ta question, reprit Déa, je suis certaine que si ce monde possédait plus de magie, je serai plus puissante. Peut-être même que je ne serais pas amnésique !
– Tu penses que ça a un lien ? S’enquit curieusement Valentin.
– Non, je ne sais pas du tout, pouffa la femme aux yeux dorés. J’ai plutôt l’impression de m’être cognée la tête. »

NaNoCamp Avril 2017 J : Préquelles Arkhaiologia

Alors qu’ils questionnaient leur invitée sur les divers plats et boissons qu’elle avait fait apparaître et que celle-ci leur répondait la bouche pleine, une sirène retentit à l’extérieur. Ils s’interrompirent. « Qu’est ce que c’est ? S’inquiéta Déa après avoir avalé sa bouchée. Un danger ? » Les deux amis échangèrent un nouveau regard incertain. Leur réflexe suivant fut d’attraper leurs téléphones à la recherche d’informations. La jeune femme amnésique ne posa pas plus de questions, mais Valentin et Béatrice perçurent une petite piqûre dans un coin de leur esprit.

« Personne ne doit sortir et ceux qui sont dehors doivent se diriger vers l’abri le plus proche, résuma le jeune homme.
– Ce n’est pas une alerte toxique, renchérit Béatrice, mais il n’y a pas trop d’indications sur ce que c’est.
– Il faudra certainement attendre les infos pour savoir, soupira-t-il. De toutes façons… » Un barrissement assourdissant retentit, l’empêchant de terminer sa phrase.

« Quoi encore ? Lâcha Valentin avec nervosité.
– Pour une fois, je sais ce que c’est ! S’exclama joyeusement Déa. C’est un dragon. Un jeune je dirais.
– Un dragon ? S’étrangla Béatrice. Comment tu sais ça ? Ohlàlà, on avait pas encore vu de dragon… Il faut que je le voie !
– Tu veux aller voir un dragon ? S’ébahit son ami en roulant des yeux effarés. Tu es folle, c’est beaucoup trop dangereux !
– Oh non, ce n’est pas si dangereux si on sait comment s’y prendre, lui assura Déa. Et s’il est suffisamment jeune, il ne sait pas encore cracher.
– Comment sais-tu tout ça ? S’enquit Béatrice.
– Aucune idée. »

Sur ces mots, la femme aux yeux dorés se leva et, avisant que la porte-fenêtre de la cuisine donnait sur un balconnet, sortit à l’extérieur. Les deux amis se concertèrent brièvement du regard avant de la suivre. Une fois dehors, Déa inspira profondément l’air nocturne. « Je n’ai jamais vu une ville pareille, murmura-t-elle. Et l’odeur est bizarre. » Elle se racla la gorge, inspira une nouvelle fois et poussa un barrissement similaire à celui du dragon. Après quelques poignées de secondes, elle réitéra, mais sur un timbre légèrement différent. Le temps continua de s’écouler sans qu’il ne se passe rien. Une brise fraîche les effleura.

Les deux amis commençaient à se demander ce qu’ils attendaient lorsque de lourds battements claquèrent au dessus du petit balcon. Leurs yeux s’arrondirent en voyant un dragon de la longueur d’une petite voiture s’accrocher à la rambarde et faire face à Déa. Cette dernière, souriante, flatta la tête de l’animal dont les écailles projetaient des éclairs rouges à la lumière des lampadaires et de l’éclairage de l’appartement de Valentin. « Je peux le caresser ? S’enquit Béatrice avec envie. Je n’aurais jamais cru voir un véritable dragon un jour.
– Bien sûr, l’invita Déa. Il était un peu perdu et paniqué, mais il se sent mieux à présent. Il ne mordra pas. »

L’amie de Valentin leva doucement la main en direction du petit dragon. Celui-ci se tourna vers elle et lui adressa un sifflement de mise en garde. La femme aux yeux dorés rassura l’animal, qui consentit à se laisser effleurer par Béatrice. « Ses écailles sont douces et chaudes ! Commenta-t-elle joyeusement. Essaie ! » Lança-t-elle ensuite au jeune homme. Ce dernier ne se fit pas prier et s’approcha à son tour du petit dragon. Après avoir étudié tous les mythes liés aux dragons, il était enchanté d’en voir un et avait même du mal à y croire.

NaNoCamp Avril 2017 J-1 : Préquelles Arkhaiologia

La femme aux yeux dorés semblait affectée par son incapacité à se remémorer quoique ce soit. Avec les questions de Béatrice, elle avait réalisé qu’elle ne se souvenait pas qui elle était. Elle avait pu donner le prénom – ou peut-être était-ce un surnom – de Déa, mais impossible de se souvenir de la personne qu’elle était. C’était une sensation perturbante. Et irritante, aussi.

« Il y a une chose qui me vient à l’esprit, déclara-t-elle. C’est que je ne suis pas seule : je fais partie d’un groupe. Ils peuvent m’aider, j’en suis sûre !
– Un groupe ? Quel groupe ? S’enquit Béatrice avec curiosité.
– Pas un grand groupe, précisa Déa. C’est plus… Je ne me rappelle pas. Un peu comme une famille je dirais.
– Mais pas ta famille ? » Vérifia Valentin qui cherchait désespérément ce qu’il pouvait noter à propos de tout ça. Il y avait eu bien peu de révélations et il ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu déçu.

« Je ne crois pas… Enfin, peut-être, je ne sais pas. Mes souvenirs sont vraiment très confus, c’est énervant ! » La jeune femme aux yeux dorés pinça les lèvres en une moue boudeuse. « L’un d’entre eux est médecin, murmura-t-elle. Il pourra m’aider.
– Tu sais où il travaille ? Demanda Valentin.
– Ou un numéro de téléphone qu’on pourrait appeler ? Poursuivit Béatrice.
– Un numéro de téléphone… Répéta pensivement Déa. Je connais les termes, mais j’ai du mal à voir à quoi ils correspondent. »

Cette déclaration prit les deux amis de court. Ils échangèrent un regard : la condition de l’inconnue était-elle plus grave que ce qu’ils avaient cru de prime abord ? Valentin désigna l’appareil qu’il avait en main pour prendre des notes. « C’est ça, un téléphone, déclara-t-il. Est ce que ça te dit quelque chose ?
– Non, je n’ai jamais vu un objet comme ça. » Déa fit rapidement le tour de la pièce du regard avant de reprendre : « D’ailleurs, je n’ai jamais vu une maison comme celle-là non plus. Je ne connais pas l’utilité de la moitié des choses qui se trouvent ici…
– C’est bizarre. » Commenta Béatrice.

Les trois restèrent un instant silencieux. Un courant d’air nocturne les caressa tendrement. Le jeune homme songea à la petite fée et jeta un rapide coup d’œil autour de lui à sa recherche. Ne voyant nulle part la douce luminosité qui nimbait la petite créature, il en conclut qu’elle avait dû s’envoler par la fenêtre qu’il avait laissé ouverte. Il se leva pour aller la fermer, un peu triste que la fée soit partie et espérant qu’elle était heureuse de profiter de sa liberté. Il se tourna de nouveau vers les filles, qui le considéraient calmement. « Tu avais froid ? » S’enquit Béatrice. Il acquiesça machinalement et retourna s’asseoir.

« Tu n’avais pas froid, corrigea Déa. Tu pensais à une petite faerie. Une fée.
– Comment sais-tu cela ? S’étonna Valentin.
– Tu ne lui as pas donné de nom, continua l’inconnue, même si tu penses à elle sous le nom de Clochette. Tu ne l’as pas nommée ainsi car elle ne tinte pas, elle pousse des trilles plutôt. » Déa se tut un moment, puis sourit : « Il semblerait que je puisse lire vos pensées. Mais je vais arrêter, ce n’est pas très sympa de faire ça sans autorisation.
– Waw, c’est impressionnant, balbutia le jeune homme. Je ne m’attendais pas à ça ! Et, euh, merci d’arrêter, c’est perturbant. »

Béatrice exhala bruyamment et se redressa pour aller ouvrir le réfrigérateur de son ami. « Hé, Val ! L’appela-t-elle. Tu n’as rien de plus fort que du lait ? Plus une seule bière ni rien ?
– Et non, je n’ai plus rien, c’est pour ça que j’étais si content de venir manger chez toi.
– Manger, quelle bonne idée, intervint joyeusement Déa. Je suis affamée ! » Comme elle avait fait apparaître ses vêtements, elle créa un petit festin sur la table basse devant elle. La pièce s’embauma instantanément de riches odeurs culinaires.

« Je pense que je risque de m’habituer un peu trop rapidement à ce genre de possibilité. » Commenta Béatrice en avisant une chopine remplie d’un liquide qui ressemblait un peu à de la bière. « Qu’est ce que c’est ?
– De la cervoise. » Répondit Déa la bouche pleine. Elle-même s’était jetée sur les plats comme si elle n’avait pas mangé depuis des jours. « Faites-vous plaisir, hein. » Ajouta-t-elle à l’intention des deux autres. Repus, ils avisèrent plutôt les boissons et découvrirent des goûts épicés auxquels ils n’étaient pas habitués.

NaNoCamp Avril 2017 J-2 : Préquelles Arkhaiologia

Une fois chez lui, ils installèrent leur sauveuse sur le canapé. « Tu n’aurais pas quelque chose pour la couvrir ? » S’enquit Béatrice. Pendant que son ami se rendait dans sa chambre à la recherche d’habits, elle s’assit en face de l’ancienne blessée pour lui demander : « Ça va mieux ? » Son interlocutrice la fixa droit dans les yeux, sans répondre, mais sans se départir de son sourire. « Mon ami est allé chercher des vêtements. » Continua Béatrice. Elle n’obtint toujours pas de réponse et se fit la réflexion que cette étrange inconnue n’avait pas l’air particulièrement gênée par sa nudité. De plus, elle paraissait avoir un peu récupéré ses esprits ; ses yeux étaient moins vides et inspectaient la pièce autour d’elle.

« J’espère que ça ira… » Valentin revenait avec de vieux vêtements à lui. Il les déposa près de leur sauveuse, qui pencha la tête d’un air intrigué. « C’est pour toi, précisa le jeune homme. En attendant qu’on trouve mieux.
– Je devrais peut-être ramener des choses de chez moi, suggéra Béatrice.
– C’est surtout le moment d’appeler les secours, ou la police, ou je ne sais pas, non ?
– Je ne sais pas. » La jeune femme fit la moue en jetant un regard à leur sauveuse qui les considérait à présent calmement, toujours sans mot dire, en tortillant une mèche de cheveux châtains.

« Même avec tous ces êtres féériques dehors, je me vois mal dire à qui que ce soit que nous avons trouvé une femme blessée qui s’est régénérée en quelques minutes, plaida Béatrice. Elle était perdue, mais elle semble avoir presque entièrement retrouvé ses esprits. Dans les faits, il n’y a presque plus de raisons d’appeler qui que ce soit. Avec un peu de chance, elle va finir par retrouver la mémoire et la parole. N’est ce pas ? » Lança-t-elle à l’intention de l’inconnue.

Celle-ci lui répondit avec un sourire, puis inspecta les habits apportés par le jeune homme. Ce faisant, la veste que lui avait prêté Béatrice glissa de ses épaules. Elle inspecta alors sa propre nudité, comme si elle découvrait seulement maintenant son manque d’apprêts. Elle pouffa de rire et prononça quelques phrases de manière volubile. « Je suis désolé, s’excusa Valentin. Je ne comprends pas ce que vous dites.
– Moi non plus, renchérit Béatrice. Et je ne vois même pas de quelle langue il peut s’agir. Mais elle a l’air d’aller mieux ! »

L’inconnue lui sourit de nouveau et hocha affirmativement la tête. Elle se leva, la veste tombant totalement, et parut se concentrer tout en faisant un petit geste fluide. D’étranges vêtements firent leur apparition sur le corps de l’étrangère. [à déterminer] Les deux amis restèrent interdits face à ce spectacle. Ils venaient d’avoir la preuve que des humains magiciens existaient bel et bien, s’ils n’en avaient pas été convaincus en voyant une écorchée guérir à vue d’œil.

« Voilà qui est mieux ! Se réjouit l’inconnue qui parlait avec la précaution de ceux qui n’étaient pas entièrement à l’aise avec la langue.
– Ce n’est peut-être pas très discret, commenta Béatrice par devers elle.
– Mais vous parlez notre langue ? S’étonna Valentin.
– Maintenant oui, confirma l’étrangère. Je ne connaissais pas cette langue, mais j’ai l’impression de l’avoir apprise plutôt vite !
– Vite ? Ça fait combien de temps que tu es ici ? S’enquit curieusement Béatrice.
– Oh, je m’étais réveillée depuis quelques minutes lorsque je vous ai rencontrés. »

L’inconnue s’assit de nouveau sur le canapé, avec un froncement de sourcil, comme si elle réfléchissait. « J’ai du mal à recoller les morceaux, avoua-t-elle. Mon cerveau est un peu embrumé…
– Tu dois être chamboulée par ce qui t’est arrivé, supposa Valentin. Quand nous t’avons vue, tu étais à moitié écorchée.
– Écorchée ? Répéta l’étrangère.
– Oui, c’est sûr, tu vas beaucoup mieux maintenant, balbutia le jeune homme. Enfin bref… Comment tu t’appelles ?
– Déa, je crois. En tous cas, ça me dit quelque chose de m’entendre appeler ainsi. » Elle se racla la gorge. « J’ai soif. » Elle avait l’air étonnée.

Béatrice se leva et alla lui chercher un verre d’eau, puis vint s’assoir sur le canapé à côté de Déa, tandis que Valentin s’installait face à elles. La nouvelle venu intriguait beaucoup les deux amis. De plus, en tant que magicienne, elle faisait partie de leur sujet d’étude – tant à l’une qu’à l’autre – et ils avaient envie d’en savoir plus. Comme elle leur paraissait encore un peu perdue, ils décidèrent d’un accord tacite d’y aller doucement avec elle. Ce qui n’empêcha pas le jeune homme de prendre son téléphone en main pour prendre des notes de leur échange ; il doutait que Déa ait envie d’être enregistrée.

« Je n’arrive pas à me souvenir, souffla-t-elle d’un air contrarié.
– De quoi ? Demanda Béatrice.
– De rien, c’est bien le problème.
– Peut-être qu’on pourrait essayer de te poser quelques questions, suggéra Valentin à l’ancienne écorchée. Ça pourrait peut-être suffire à te rafraîchir la mémoire sur certaines choses. Après tout, ça a fonctionné pour ton prénom.
– Moui, lâcha Déa d’un air peu convaincu. D’accord, essayons.
– Chouette ! Se réjouit Béatrice. Je commence ! »

Elle se frotta les mains et plongea ses yeux noisettes dans ceux, presque dorés se rendit-elle compte, de Déa. « Alors, commença l’amie de Valentin, d’où viens-tu ?
– De… Je ne sais pas, réalisa l’étrangère. De partout et de nulle part j’ai l’impression.
– Mmmh, commenta brièvement Béatrice. Et quelle était cette langue que tu parlais tout à l’heure ? Elle ne me rappelle rien que je connais.
– Vu le nombre de langues que tu connais, ce n’est pas étonnant, la taquina son ami. »

Tandis que Béatrice ripostait en jetant un coussin en direction de la tête de Valentin, Déa prononça pensivement quelques mots dans la langue en question. Elle secoua la tête et déclara : « Je n’ai pas l’impression qu’il existe un mot dans votre langue pour la mienne… C’est bizarre, je ne comprends pas. »

Valentin ne saisissait pas ce que voulait dire la femme aux yeux dorés. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Les yeux dorés étaient-ils une manifestation des capacités surnaturelles de Déa ? Cette couleur n’existait pas naturellement, si ? L’amnésie de Déa était-elle temporaire ? Qu’avait-il pu lui arriver pour qu’elle ait apparu ainsi écorchée ? Quand pourrait-il le savoir ? Fallait-il l’emmener à la police ? Ou à l’hôpital pour son amnésie ? Tout se brouillait dans sa tête. Pendant ce temps, Béatrice avait continué de questionner la magicienne. Malheureusement, Déa n’avait pas grand chose à leur apprendre ; le peu dont elle se souvenait était confus.

NaNoCamp Avril 2017 J-4 : Préquelles Arkhaiologia

Son ami comprenait son désarroi. Embêté de ne rien pouvoir faire, il lui proposa une promenade digestive. Prendre l’air leur changerait peut-être les idées à tous les deux. Ils plièrent les cartons de pizza avant de les descendre et de sortir. Il était encore tôt, suffisamment pour que le soleil ne soit pas entièrement couché. « Où veux-tu aller ? s’enquit Valentin.
– Le parc est peut-être encore ouvert à cette heure-ci, supposa la jeune femme. On a qu’à aller voir. »

Le plus grand parc de la ville se trouvait au bout de la rue où habitait Béatrice. Leur discussion se fit plus légère au fur et à mesure de leur promenade. Ils furent très déçus lorsque les drones du parc se mirent à informer les visiteurs qu’ils devaient se diriger vers les sorties les plus proches, car le parc allait fermer pour la nuit. Les jeunes gens obéirent et sortirent de l’enceinte. Malheureusement, ils étaient sortis loin de chez eux. Ils entreprirent donc de rentrer par la ville. La nuit était noire à présent, mais l’éclairage citadin avait pris le relais.

Valentin et Béatrice se sentaient légèrement euphoriques après leur bol d’air et leurs plaisanteries. Marchant dans la rue bras dessus, bras dessous, ils rivalisaient de mots d’esprit peu recherchés qui les faisaient glousser. Occupés qu’ils étaient, les jeunes gens ne remarquèrent pas les deux individus louches qui se plaçaient derrière eux, tandis que deux autres venaient à leur rencontre.

« Alors le p’tit couple, il passe une bonne soirée ? S’enquit l’un des quatre.
– Bonsoir… Émit Valentin en prenant conscience du danger.
– Si vous voulez continuer de passer une bonne soirée, reprit le malfrat, il va falloir nous donner tout ce que vous avez qui a d’la valeur.
– Rien que de vous avoir rencontrés nous fait passer une mauvaise soirée, alors bon… » Ne pût s’empêcher de lâcher Béatrice.

L’un de ceux qui se tenait derrière plaqua brutalement la jeune femme contre le mur de l’immeuble voisin. « Quesstadi ? » S’emporta-t-il, une main autour du cou de sa proie qui émit un geignement tant surpris qu’étouffé. « Fais gaffe à c’que tu dis ! La prévint-il d’un ton énervé.
– Calmons-nous, tenta de tempérer Valentin.
– C’est un nerveux, expliqua doucereusement le premier malfrat qui paraissait être la tête pensante du groupe. Alors dépêchez-vous de nous donner tout c’que vous avez avant qu’il s’énerve. »

Alors que le jeune homme, ne voyant pas trop quoi faire d’autre et craignant pour son amie, s’apprêtait à obtempérer, l’atmosphère changea subitement. Une fine brise nocturne les effleura tous, suivie d’un infime instant de calme intense. Puis l’agresseur de Béatrice se retrouva violemment attiré en arrière et propulsé sur un poteau qui lui coupa le souffle. La jeune femme faisait désormais face à sa sauveuse, entièrement nue et à moitié écorchée. De la lymphe et du sang s’écoulaient des plaies. Béatrice aurait voulu crier face à cette vision d’horreur, mais rien ne sortit de sa bouche.

Les trois agresseurs restant se précipitèrent sur l’étrange nouvelle-venue pour venger l’affront fait à leur compagnon. Aussi vive que l’éclair, l’écorchée se tourna vers le plus proche et lui administra un magistral coup de poing qui l’envoya instantanément rouler quelques mètres plus loin, inconscient. Valentin vit avec horreur les deux derniers arriver jusqu’à leur sauveuse hors du commun, couteaux tirés. Mais celle-ci leur faisait déjà face, la paume levée dans leur direction. Une onde en jaillit qui heurta les deux derniers assaillants qui s’immobilisèrent un bref instant avant de tourner de l’œil. L’écorchée resta un moment sans bouger, avant d’attraper sa tête des deux mains en gémissant et de mettre un genou à terre.

La voyant en détresse, les deux amis quittèrent leur torpeur pour lui prêter assistance. Ils voulurent la soutenir, mais ils craignaient l’un et l’autre de lui faire mal s’ils touchaient ses plaies ouvertes. Valentin eut l’impression que leur sauveuse semblait moins blessée que lorsqu’elle était intervenue. Pendant que Béatrice ôtait sa propre veste pour en recouvrir l’étrange inconnue, le jeune homme essaya d’initier le dialogue : « Merci d’être intervenue, mais… Vous n’avez pas l’air bien ; mon amie et moi allons vous emmener à l’hôpital, d’accord ? » La blessée paraissait avoir perdu toute sa vitalité et avait désormais du mal à focaliser son regard sur un point précis. Elle laissa échapper des mots incompréhensibles, ce qui parut lui demander beaucoup d’énergie.

« Regarde ! Lança Béatrice à l’intention de son ami. On dirait qu’elle se régénère, non ? » Valentin regarda l’écorchée plus attentivement. Effectivement, ses plaies se refermaient peu à peu. « Je pense que ce n’est pas une très bonne idée de traîner ici, ajouta la jeune femme en jetant un coup d’œil appuyé aux quatre malfrats qui gisaient au sol. Emmenons-la vite.
– Tu penses qu’on peut la porter jusqu’à l’hôpital ?
– C’est un peu loin, réfléchit le jeune homme en se grattant la tête. On devrait appeler les secours plutôt.
– Mmmh… Émit Béatrice. On ne va peut-être pas avoir besoin finalement. »

L’inconnue était presque entièrement guérie, mais paraissait toujours apathique. Elle secouait doucement la tête d’un côté et de l’autre, comme si elle essayait de se souvenir de quelque chose. Son regard restait tout de même absent. « Je ne sais pas, hésita Valentin. Elle est presque guérie, mais elle n’a quand même pas l’air bien du tout…
– Ça, c’est vrai, convint Béatrice. Elle a l’air beaucoup plus perdue que lorsqu’elle est arrivée pour tabasser ces quatre là.
– Nous sommes très proches de chez moi ; on pourrait l’emmener et appeler les secours de la maison. Je n’ai pas envie de rester ici plus longtemps. »

Son amie acquiesça. Ils encadrèrent l’inconnue, qui leur adressa un sourire absent, et l’aidèrent à se relever avec précaution. Elle les suivit machinalement, mais ils devaient la soutenir car sa coordination motrice laissait parfois à désirer et elle trébuchait souvent. À chaque fois, le jeune homme lui demandait si elle allait bien et, à chaque fois, elle se contentait de lui répondre avec un sourire absent. Valentin se demandait si elle comprenait ce qu’il lui disait. Il trouva les quelques dizaines de mètres jusqu’à son immeuble infinies. Pourtant, l’inconnue était à présent complètement guérie et marchait avec plus de facilité.

NaNoCamp Avril 2017 J-5 : Préquelles Arkhaiologia

[Spoil sur la suite d’Arkhaiologia]

L’amie de Valentin avait eu l’air désemparée. Malheureusement, celui-ci n’avait pas eu d’explication satisfaisante à lui proposer ; rien dans les diverses légendes ne donnait d’explication. Tout cela n’empêchait pas le jeune homme d’être fasciné par les petites fées. Béatrice le laissa en emporter une chez lui. Son laboratoire en détenait beaucoup trop et des gens continuer d’en apporter. Personne ne remarquerait la disparition de l’une d’entre elle. La jeune femme en relâchait même régulièrement. Ces jours-ci on trouvait de ces fées de partout. Sauf que personne ne connaissait le moment où elles étaient apparues et les spécialistes n’avaient aucune idée de ce qui avait causé leur apparition.

Les fées n’étaient pas les seuls êtres folkloriques à être subitement apparus. La plupart des antiques sites de culte et autres zones archéologiques avaient été fermés au public et étaient désormais sous surveillance. Les régions un peu isolées qui dépendaient de ce tourisme pour vivre commençaient déjà à subir le contrecoup de ces fermetures et à doucement péricliter. Ne venaient plus chez eux que les curieux écervelés en quête de sensations fortes.

La fascination pour l’apparition des créatures légendaires était teintée de beaucoup de craintes. De partout on ressortait les vieux livres de contes pour tenter d’en savoir plus ou de deviner quelles allaient être les prochaines apparitions. Beaucoup craignaient l’avènement de monstres comme les dragons, ce qui était une perspective pour le moins inquiétante. Le bruit courait aussi que certaines personnes commençaient à développer certaines aptitudes surhumaines. Des vidéos de démonstrations et de témoignages fleurissaient partout sur la toile, mais là-dessus il était toujours difficile de démêler le vrai du faux.

Valentin ne savait trop que penser de tout cela. Concentré sur son travail, il avait l’impression de vivre un peu isolé de toutes ces choses, comme s’il vivait sur un autre monde et qu’il n’était qu’un lointain spectateur. Et pourtant une petite fée se tenait, assise en tailleur, sur sa table basse. Du bout du doigt, il caressa délicatement la tête de la créature, qui poussa une trille de plaisir. Le jeune homme esquissa un sourire attendri, qui s’élargit lorsque la fée attrapa d’un air péremptoire le doigt qui avait arrêté de lui grattouiller la tête, pour lui signifier de continuer. Valentin s’exécuta.

Il fut interrompu par son téléphone. L’appareil lui indiqua qu’il s’agissait de Béatrice. Il fit glisser son doigt vers le haut de l’écran pour projeter l’appel au dessus du téléphone, sur un hologramme représentant son écran. Le visage de son interlocutrice s’afficha dans les airs. La jeune femme avait la tête appuyée sur une main, tenant visiblement son téléphone de l’autre. Plusieurs mèches brunes s’échappaient de la barrette qui maintenait ses cheveux relevés. « Salut ! Lança-t-il à son amie.
– Coucou, lui répondit-elle d’un ton fatigué. Tu t’amuses bien avec ta nouvelle amie ? » La petite fée était en train d’essayer d’attraper l’hologramme. Elle était visiblement frustrée de constater qu’elle ne pouvait pas le saisir et pépiait son mécontentement en voletant furieusement autour.

« Oui, je crois qu’elle s’adapte petit à petit.
– Tu lui as trouvé un nom ?
– Pas vraiment, avoua Valentin. Je l’appelle souvent râleuse. Elle ronchonne tout le temps ! Tu aurais pu me trouver une fée de meilleure composition.
– C’est toi qui l’a choisie, rétorqua la jeune femme en plissant les yeux avec un sourire en coin.
– Il faut croire que j’aime bien les râleuses. » Acquiesça le jeune homme avec un clin d’œil.

Son amie pouffa de rire et reprit : « Puisque tu aimes bien les râleuses, ça te dirait de venir manger une pizza à la maison ?
– C’est une bonne idée, surtout que mon frigo est vide.
– Dépêche-toi alors. » Lui enjoignit Béatrice en coupant la conversation. L’hologramme se coupa automatiquement, pour le plus grand plaisir de la fée qui pensait que c’était de son fait.

Valentin ne se leva pas tout de suite. Il fixa la petite créature qui se pavanait en se demandant à quel point ce serait une mauvaise idée de la laisser hors de sa cage pendant son absence. Elle paraissait tellement plus contente dehors ! Sur une impulsion, il se redressa pour aller ouvrir une fenêtre. Valentin échangea un bref regard avec la fée qui le contemplait d’un air perplexe, la tête penchée sur le côté. Puis il attrapa ses affaires et s’en fut rejoindre son amie.

Alors qu’il était en bas de son immeuble, son téléphone se mit à vibrer. Le jeune homme jeta un œil à l’appareil. Il s’agissait d’un message provenant de la centrale de son appartement, qui lui indiquait qu’il avait laissé une fenêtre ouverte et lui demandait s’il voulait que la centrale la ferme pour lui. Il appuya sur « non », suite à quoi un deuxième message l’informait que son ordre avait bien été pris en compte et que l’application lui poserait de nouveau la question en cas d’intempéries. Valentin haussa les épaules et rangea son téléphone.

Béatrice n’habitait pas très loin ; en marchant d’un bon pas, il n’en eut que pour quelques minutes. La porte de l’immeuble de la jeune femme s’ouvrit automatiquement à son approche et, quelques secondes plus tard, il se retrouvait assis sur un pouf moelleux, devant une énorme pizza fumante. C’était beaucoup mieux que la précédente perspective du lait et de la boîte de conserve. Les deux amis paraissaient aussi las l’un que l’autre, mais de manger leur rendit un peu de leur vitalité.

Une fois qu’ils furent un peu rassasiés, Béatrice s’enquit : « La rédaction avance bien ?
– Oh oui, je vais avoir terminé dans les temps, répondit Valentin en cherchant comment changer de conversation.
– Ça n’a pas l’air de te réjouir.
– Pas vraiment, c’est vrai. Tout cela m’ennuie…
– Pourtant, tu aimes bien ton sujet, non ?
– Oh oui, il est passionnant ! Il y a tellement de choses intéressantes à étudier dans le folklore, surtout depuis toutes ces… Apparitions.
– Ne m’en parle pas, se plaignit la jeune femme. Aucune de ces créatures ne fonctionne comme un animal normal, c’est perturbant.
– Tu exagères, la gourmanda Valentin.
– Oui oui, j’exagère, concéda-t-elle. Ce sont surtout ces petites fées qui me perturbent.
– Certainement parce que ce sont elles que tu étudies en ce moment…
– Oui, mais comment se fait-il que certaines aient des ailes de papillon, plusieurs espèces de papillons qui plus est, et d’autres de libellules ? Il y en a même d’autres d’espèces que je ne connais pas, mais qui ont des caractères plus primitifs.
– Tu rumines encore ?
– J’aimerais comprendre surtout. » Soupira Béatrice en terminant sa pizza.

NaNoCamp Avril 2017 J-7 : Préquelles Arkhaiologia

[Spoil sur la suite d’Arkhaiologia]

Valentin se laissa partir en arrière sur sa chaise intelligente, qui s’adapta aussitôt à sa nouvelle position. Toute la bibliothèque universitaire avec été équipée de ces chaises ergonomiques qui faisaient partie de tous les bureaux, mais manquaient aux étudiants du campus. Toutes les salles de l’université ne pouvaient pas être ainsi équipées. Seule la bibliothèque disposait de ces sièges intelligents. Malgré tout le confort de sa chaise, le jeune homme poussa un profond soupir, passant plusieurs fois ses mains sur son visage jusqu’à son cuir chevelu, qu’il gratta machinalement. Une grande lassitude l’habitait.

Tout se passait pourtant bien pour lui. Il n’avait plus que quelques mois avant de devenir un docteur à part entière. En attendant, il avait pratiquement terminé la rédaction de sa thèse et s’en sortait plutôt bien en tant que chargé de travaux dirigés. Ce n’était pas le cas de tous ses camarades ; il devrait se sentir satisfait au lieu de se sentir las. Valentin n’avait pas l’impression de s’épanouir et craignait de s’être déjà enferré dans une routine ennuyeuse, ce qui était dommage à son âge. Tout l’ennuyait de toutes façons.

Il avait peut-être juste passé trop de temps dans cette bibliothèque. Pas qu’elle était désagréable puisqu’elle était spacieuse, lumineuse et récemment rénovée ; il devait juste avoir passé trop de temps enfermé. Rassemblant rapidement ses affaires, il se sentit plus las que jamais. L’air extérieur fut le bienvenu et le jeune inspira profondément, espérant se libérer l’esprit. Il était encore tôt dans l’après-midi et, ne sachant que faire, il s’installa dans l’herbe du campus qui s’étendait devant la bibliothèque, sous un arbre. Après quelques minutes à contempler les déambulations des étudiants, Valentin sentit ses paupières s’alourdir. Il se laissa aller sur l’herbe, utilisant son sac comme oreiller, et s’endormit presque aussitôt.

La sieste lui fit du bien, mais il s’était couché sur un caillou et avait quelques côtes endolories. En grommelant, le jeune homme se leva pour se rendre chez lui, quelques rues plus loin. « Hé, salut toi ! » Lança-t-il en ouvrant la porte de son domicile. Depuis la cage posée sur la table, un petit bruit entre le couinement et le roucoulement lui répondit. Il s’avança pour jeter ses affaires sur le canapé et, alors qu’il progressait dans son appartement, la centrale mit la musique en route. Valentin songea brièvement qu’il devrait programmer d’autres pistes ; il commençait à se lasser des airs qui se lançaient à chaque fois qu’il rentrait.

Le jeune homme se pencha sur la cage pour en libérer la petite créature. À peine eut-il ouvert la porte qu’une boule dorée s’en échappa comme une balle. « Ne fais pas de bêtises ! » Lança-t-il tout en sachant que son ordre était inutile : elle n’en ferait qu’à sa tête. Avec un sourire attendri, il s’étira machinalement et se dirigea mollement vers le coin cuisine pour inspecter le contenu de son réfrigérateur en quête de quelque chose à boire. Comme il avait fait une sieste au lieu de faire des courses en rentrant, il ne restait qu’un demi-litre de lait. Il décida que cela ferait bien l’affaire et ouvrit ensuite un placard à la recherche de quelque chose à grignoter pour accompagner son lait.

Il n’y avait pas grand chose. Valentin réfléchit un instant à ouvrir une conserve quelconque, avant de réaliser que s’il buvait son lait maintenant, il n’en aurait plus pour le petit-déjeuner. Poussant un grognement, il se gratta la tête en se demandant s’il avait envie de ressortir. Tout à ses réflexions, il faillit ne pas remarquer la masse légère qui avait atterri sur son cuir chevelu et se frayait un passage à travers ses boucles brunes. Tout paraissait se liguer contre lui : il ne pouvait pas sortir maintenant que la petite créature qu’il s’échinait à apprivoiser depuis des semaines semblait enfin s’attacher à lui. Il s’assit précautionneusement sur son canapé après avoir rangé son lait à regret. Délicatement, il passa la main dans ses cheveux pour cueillir sa petite compagne et la poser sur la table basse.

La créature s’assit en tailleur et lui rendit son regard. Nue, elle avait une apparence humanoïde féminine lorsque l’on n’y regardait pas de trop près. Lorsqu’on l’inspectait plus avant, le corps paraissait avoir été modelé par quelqu’un qui aurait voulu copier une femme de mémoire, sans savoir à quoi servaient les seins, ni ce qui était sensé se trouver entre la ceinture et les jambes. De plus, la créature était totalement glabre. Les cheveux et les sourcils n’en étaient pas vraiment. Les sourcils semblaient finement dessinés, comme pour une poupée de porcelaine et les cheveux ressemblaient plutôt à du duvet. Le plus étonnant du point de vue anatomique étaient la légère lumière que la créature émettait en permanence et les ailes de papillon qui jaillissaient de son dos. Les omoplates étaient doubles et se répartissaient entre les épaules et les ailes.

Toute cette étrange faune qui se multipliait depuis quelques années rendait sa consœur Béatrice, qui étudiait sous la férule des – récents – spécialistes en nouvelles espèces animales, perplexe. Plus qu’une consœur, elle connaissait Valentin depuis le collège. À cette époque ils voulaient tous les deux être vétérinaires. Au fil des ans, l’une s’était dirigée vers l’étude des nouveaux spécimens et l’autre était devenu spécialiste en bestiaire folklorique. Contrairement à ce qu’ils pensaient en choisissant leurs filières respectives, leurs spécialités les amenaient à travailler régulièrement ensemble. Il faut dire que, lorsqu’ils avaient choisi leurs voies, l’apparition des créatures de contes de fées n’était encore qu’une rumeur.

Les mentors de Béatrice avaient créé de nouvelles familles pour pouvoir classer cette faune issue des mythes et légendes. La jeune femme avait été vraiment décontenancée en étudiant les petites fées – pour reprendre leur dénomination folklorique – comme celle qui vivait à présent chez Valentin. Elles n’étaient pas des mammifères malgré leurs apparences féminines pour les unes et masculines pour les autres. Mais leurs mamelles n’étaient pas fonctionnelles et ces créatures, celles d’apparence féminine, pondaient des œufs mous par grappes.

Rien ne les rapprochait des reptiles, ou des batraciens, ou des oiseaux, ou même des poissons. Béatrice avait essayé de démontrer qu’ils étaient plus proches des insectes en se basant sur leurs ailes et d’autres détails qui dépassaient un peu Valentin, mais force avait été de constater qu’ils ne faisaient pas partie de cette famille là non plus. « On dirait que quelqu’un a à moitié modelé ces créatures et à moitié collé des morceaux de créatures existantes, s’était-elle plainte un jour. Ils n’ont pas l’air totalement… naturels, pour ainsi dire, mais je ne connais personne qui ait la connaissance ou la technologie pour créer des bestioles pareilles. »