NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 12

— Enfin, je vous vois sourire. Voilà quelque chose qui n’arrive pas si souvent ces derniers temps. Bien ! Voici une deuxième nouvelle : l’incendie n’a pas causé de dégâts trop importants. Il y aura quelques menus travaux de réfection à effectuer, mais rien de bien grave. »

Arthur continua à expliquer qu’ils allaient en profiter pour redécorer cette partie du château et comment. Éléonore n’écouta les détails que d’une oreille distraite. [Introduire à un moment l’explication sur l’origine de l’incendie] Elle jeta un coup d’œil à Edmond qui lui rendit un regard impassible. Il n’était pas certain qu’elle puisse lui accorder sa confiance, mais il avait réussi sa part du marché et, lorsque les invités seraient arrivés, elle n’aurait plus qu’à tenir la sienne. Elle espérait qu’Arthur ne ferait pas fuir le prochain comme il avait, apparemment, fait fuir Lance.

Lorsque le repas se termina, Éléonore n’avait aucune idée de ce qu’elle avait mangé. Tous se levèrent et le seigneur Arthur suggéra à sa fille de s’habiller chaudement pour l’extérieur, car ils allaient devoir sortir. Jodie se tenait déjà là, juste hors de la salle à manger, avec gants, manteau, chapeau et tout ce qu’il fallait pour protéger Éléonore du froid. Cette dernière se promit de trouver une autre femme de chambre qui ne serait pas à la botte du seigneur du château. Elle refuserait toutes celles que lui proposerait Arthur.

Il l’emmena dans un bâtiment éloigné du château, mais — à la grande déception d’Éléonore — toujours sur le domaine. Les trois conseillers suivaient, même s’il fallait parfois détourner l’attention de Raymond des beautés de la nature hivernale qui l’émerveillaient. Éléonore s’apprêta à s’occuper du vieil homme, mais Sigismond s’en chargeait déjà avec prévenance.

Ils parvinrent à un grand pavillon circulaire aux couleurs éclatantes. Des cris s’en échappaient. Des cris humains. « Que se passe-t-il ? s’alarma Éléonore.
— Vous verrez, ma fille. C’est une surprise qui, je l’espère, vous endurcira un peu. » lui répondit Arthur sur un ton énigmatique, qui ne plut pas à son interlocutrice.

Lorsqu’ils parvinrent à l’entrée du pavillon, Sigismond les précéda pour sonner une petite cloche à l’entrée. Un individu maigrelet au visage chafouin vint soulever le battant. Voyant à qui il avait à faire, il s’inclina très bas. « Soyez les bienvenus, messeigneurs et madame. » Un nouveau hurlement l’interrompit. Il sourit. « Comme vous pouvez le constater, le bourreau Samedi est déjà à pied d’œuvre. Veuillez entrer. »

Arthur entra le premier. Éléonore considéra les trois conseillers. Raymond arborait un sourire absent. Sigismond, qui le maintenait dans la bonne direction en l’empêchant d’éparpiller son attention, avait pâli. Seul Edmond restait impassible et emboîta aussitôt le pas à son seigneur, comme si de rien n’était. « Qu’attendez-vous, ma fille ? » Elle n’osait pas poser le pied à l’intérieur ; étant donné les cris qu’elle entendait, Éléonore avait dépassé le stade du mauvais pressentiment.

Alors qu’elle essayait désespérément de faire abstraction du vacarme mâtiné de sanglots, Éléonore regardait tout autour d’elle. L’intérieur du pavillon était divisé en plusieurs parties par d’imposantes tentures richement brodées. Les invités se trouvaient dans une sorte de hall d’accueil, où étaient étalés de nombreux signes extérieurs de richesse [à décrire], certainement pour épater la galerie, supposa-t-elle.

Si tout cela appartenait bien au bourreau Samedi, celui-ci devait mener une véritable vie de patachon, songea Éléonore. Pourquoi, alors, officiait-il toujours comme bourreau ? La réponse lui parvint sous la forme d’un nouveau cri — de douleur ou de terreur, elle ne pouvait le déterminer — : cet homme aimait son métier. Éléonore, quant à elle, peinait à endurer ces hurlements et, pourtant, elle ne voulait pas quitter le pavillon.

« Bien bien bien, commenta Arthur au petit homme qui le regardait par en-dessous. Montrez-nous donc ce spectacle, dans ce cas. » Éléonore n’avait pas suivi leur conversation et espéra qu’elle n’en avait rien raté d’important. « Je suis impatient de voir œuvrer ce fameux bourreau Samedi dont j’ai tant entendu parler.
— Vous ne serez pas déçu, lui assura l’aide. Veuillez me suivre. »

Elle ne se sentait pas très vaillante et se demanda si son propre visage paraissait aussi décomposé que celui de Sigismond. Le petit homme les précéda dans le plus grand espace du pavillon, qui était aussi circulaire. Il était composé de quelques gradins entourant un espace vide, au centre duquel quelqu’un était attaché, nu, à un poteau autour duquel il pouvait bouger, mais pas s’enfuir. Il était ligoté de manière à présenter son dos au bourreau Samedi, qui s’amusait à le zébrer à l’aide d’un petit fouet.

Le tortionnaire était particulièrement massif et un peu bedonnant. Éléonore n’imaginait pas quelqu’un pouvoir s’échapper de son étreinte, une fois agrippé de ses mains puissantes. Il portait un capuchon classique de bourreau et possédait tout un arsenal d’outils dont elle ne voulait même pas connaître l’utilité. Pour le moment, elle avait les yeux écarquillés d’horreur en reconnaissant le supplicié. C’était Gaël, qui suppliait et poussait des cris de douleur. Un nouveau coup de fouet s’abattit sur son dos, l’ornant d’une nouvelle zébrure rouge. « Stop ! » hurla-t-il dans un sanglot.

Cette fois, il n’était plus possible de considérer qu’il s’agissait d’un jeu. Éléonore était effarée de tout ce que cela impliquait. Elle eut le tournis et se demanda si elle allait se sentir mal, mais Gaël poussa un cri éraillé qui la ramena à la conscience. « Comme vous pouvez le constater, commença le bourreau Samedi d’une voix si douce qu’elle détonnait avec la violence dont il faisait preuve, j’ai commencé les préliminaires avec mon sujet. Le fouet est un grand classique, parfait pour se mettre en jambe. »

Constatant qu’Arthur et ses conseillers avaient pris place sur les gradins, elle sentit une vague d’irritation l’envahir. « Comment pouvez-vous assister à ça comme si c’était normal ? leur lança-t-elle en s’efforçant de maîtriser sa voix qui tremblait de colère.
— Voyons ma fille, je vous avais pourtant dit que ce manant subirait ma sentence. Vous vous étiez beaucoup trop rapprochée de lui : et s’il vous avait transmis une maladie ou je ne sais quoi ? Je me dois de vous protéger.
— Me protéger ? » s’étrangla Éléonore.

Il ne servait à rien d’argumenter avec cet homme infect. S’il ne s’agissait pas d’un jeu, alors elle avait bel et bien à faire à un pervers de la pire espèce. « Et vous, comment pouvez-vous cautionner de telles actions ? » lança-t-elle aux conseillers. Aucun ne répondit. Elle n’avait pas besoin de leur réponse : elle avait conscience qu’ils ne faisait que suivre les ordres de leur seigneur. Se détournant d’eux, elle s’avança d’un pas décidé dans l’espèce de petite arène.

L’aide du bourreau Samedi voulut l’en empêcher, mais son maître l’arrêta d’un geste. « Laisse, dit-il de sa voix douce. Et voyons ce que me veut la dame. » Éléonore s’empara du premier objet qui lui tomba sous la main — un gourdin — et, le prenant à deux mains, elle en frappa le bourreau de toutes ses forces. Le coup ne parvint jamais à destination : Samedi avait attrapé ses poignets d’une seule main, bloquant ainsi son élan.

« Lâche-moi ! lui intima-t-elle en laissant tomber tout vouvoiement.
— Allons allons, je ne vous laisserai pas faire preuve de violence de bas étage, comme cela. Ce serait une insulte à mon art. » Le visage du bourreau était dissimulé sous son capuchon noir, mais Éléonore perçut à sa façon de parler qu’il souriait. Elle tenta vainement de se dégager, pendant qu’Arthur s’était redressé, la mine sombre.

« Que faites-vous ? s’enquit le seigneur d’une voix impérieuse.
— Je l’empêche seulement de me frapper, n’ayez crainte. Avec tout le respect que je vous dois, votre dame est impertinente. Je peux la punir pour vous, si vous le souhaitez. Ou vous montrer des moyens amusants de le faire. »

De voir Arthur songeur face à cette proposition alimenta encore plus la rage d’Éléonore. Voyant qu’elle ne pourrait pas dégager ses poignets, elle lança un puissant coup de genou en direction de l’entrejambe du bourreau. Puis, pâlit en constatant que cela avait à peine eu l’air de l’affecter. Il rit. « Monseigneur, intervint Sigismond d’une voix blanche. Vous ne pouvez pas laisser votre fille traitée de cette manière.
— Vous avez raison, Sigismond, concéda Arthur après un instant de réflexion. Lâchez donc ma fille ! »

Samedi libéra Éléonore, qui le fusilla du regard et s’empara d’une lame qui faisait partie de l’arsenal du bourreau. « Pourriez-vous lui demander de cesser de toucher mes précieux instruments ? plaida Samedi de sa voix douce où commençaient à percer quelques signes d’irritation.
— Ma fille, laissez cette lame, ce n’est pas un objet pour vous ! »

Ignorant tout le reste, Éléonore trancha les liens de Gaël, qui tomba à genoux. Elle le prit dans ses bras, prenant garde de ne pas toucher les zébrures du fouet. « J’ai pas pu m’échapper, souffla-t-il. Ils étaient trop nombreux à me chasser… » Dans tous les cas, se dit Éléonore, il ne pouvait plus aller nulle part dans son état. Elle se tourna alors vers son soi-disant père et ses conseillers, puis leur déclara, une lueur de défi dans le regard :

« J’ai décidé que sa vie m’appartenait, maintenant que je l’ai sauvée. Il est à moi. Ainsi, vous n’aurez plus à me trouver une nouvelle femme de chambre : il me servira de page ou de valet ou de je ne sais quoi et il ne quittera jamais mes côtés. Entendu ?
— Voyons ma fille… Arthur était pris de court.
— Ne vous avisez même pas de refuser ! Je ne demande que peu de choses, vous pouvez bien m’accorder celle-là.
— Mais, ma mie…
— Ma fille, corrigea-t-elle vivement.
— Ma fille, c’est un homme, il ne peut pas rester auprès de vous comme cela.
— Bien sûr que si. En tous cas, si vous souhaitez continuer à me voir au château, ce sera le cas. »

Sigismond était bouche bée, Edmond réfléchissait visiblement à toute allure à une façon de désamorcer la situation et même Raymond paraissait conscient de ce qu’il se passait autour de lui, pour une fois. « Et bien alors, pouffa-t-il d’ailleurs. Voyons, beaucoup de dames possèdent des pages sans qu’il y ait de souci. Ne lui faites-vous pas confiance ?
— Je… hésita Arthur. Bien sûr, je lui fais confiance.
— Vous vous souvenez certainement de ce qu’il s’est passé la dernière fois qu’elle avait ce regard-là, poursuivit Raymond. Ne risquez pas une nouvelle fuite de sa part pour quelque chose d’aussi trivial. Elle veut un serviteur, eh bien quoi ? La belle affaire ! »

 

1746 mots pour aujourd’hui, j’avais tellement peur de pas faire le quota avec ma journée nulle que je suis contente de l’avoir atteint ^^

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 11

Éléonore ouvrit la bouche, puis la referma. Refusait-il d’aller prêter assistance à Gaël parce que le prisonnier ne risquait rien ou parce qu’il avait vraiment peur de se retrouver au milieu des flammes ? Sa détermination se durcit et elle lança : « J’irai moi, puisque vous êtes trop peureux pour le faire.
— C’est juste un manant !
— C’est une vie. Donnez-moi les clefs tout de suite. »

Alors qu’André fouillait maladroitement ses poches pour en extraire le trousseau des cachots, Éléonore se dit qu’en agissant ainsi, ou elle rendrait l’histoire plus intéressante, ou elle sauvait véritablement quelqu’un. Elle arracha les clefs de la main du garde, qui avait fini par les trouver, et s’en fut en courant en direction de la porte extérieure, ignorant les appels de Sigismond. Si le feu brûlait près des cuisines, elle estimait qu’il était trop risqué de passer par l’intérieur.

Malgré le manteau de Sigismond sur ses épaules, elle percevait la morsure du froid et d’autant plus lorsqu’elle batailla contre la serrure avec ses doigts gelés. Lorsque la porte céda devant son acharnement, elle descendit les quelques marches quatre à quatre et rejoignit la cellule de Gaël. « Ah, enfin quelqu’un, s’exclama-t-il avec soulagement. Qu’est-ce qu’il se passe ? Il y a de la fumée qui arrive et les gardes se sont fait la malle…
— Il y a le feu, répondit succinctement Éléonore en cherchant quelle clef ouvrait la porte.
— Ah les connards ! Ils allaient m’abandonner là ! Où tu as trouvé les clefs ?
— Je les ai demandées à André. » lui expliqua-t-elle en ouvrant finalement la porte.

Gaël se précipita dehors. « Merci, vraiment, c’est très gentil de ta part d’être venue me sortir de là.
— De rien, mais nous devrions sortir d’ici avant de discuter.
— Oui oui, partons, j’ai pas envie de rôtir ici. »

Ils filèrent et, une fois éloignés du bâtiment, ils s’arrêtèrent pour souffler. « Bon, bah il fait pas chaud ici, commenta Gaël en se frottant les bras. Ça fait pas beaucoup de différence avec la prison, si ce n’est qu’ici il y a plus de vent glacial. Brrr…
— Et maintenant ? s’enquit Éléonore en frissonnant. Tu vas m’expliquer ce qu’il se passe ici et me dire quelle est la suite du plan ?
— La suite du plan est simple : je vais me tirer d’ici. Tu es la bienvenue, si tu veux.
— Sans vouloir te vexer, ça ne me parait pas très judicieux de partir comme ça dans la nuit glaciale. On pourrait tout à fait mourir de froid !
— Possible, mais je préfère risquer des engelures plutôt que de rester ici plus longtemps. Viens avec moi et je t’expliquerai tout en chemin. »

Éléonore hésita. L’offre la tentait suffisamment pour qu’elle envisage de passer la nuit à s’enfuir dans le froid pénétrant. « Je… Je ne sais pas ce que je dois faire, avoua-t-elle.
— Tu devrais venir avec moi, tu vas devenir folle ici sinon. Il faut s’échapper de l’emprise des détraqués qui ont mis tout ça en place et retourner à la vraie vie. Par contre, s’il te plait, décide-toi vite, parce que je vais congeler à rester là sans bouger ! »

Alors qu’elle allait poser une nouvelle question, ils furent interrompus par de nouveaux cris : « Ils sont là, monseigneur !
— Eh bien, qu’attendez-vous ? tempêta Arthur. Attrapez-les !
— Oh merde… » lâcha Gaël avant de se mettre à courir.

Éléonore n’essaya même pas de distancer les trois gardes qui se précipitaient dans leur direction. Comme elle se savait mauvaise à la course, elle se contenta de se mettre le plus possible en travers de leur route, afin de les empêcher de rattraper Gaël. Après tout, elle était la dame du château, personne ne lui ferait de mal. L’un des gardes s’arrêta à ses côtés et lui empoigna le bras. « Ne me touchez pas. » lui ordonna-t-elle en se dégageant. Il obéit, mais l’escorta tout de même auprès du seigneur Arthur.

Celui-ci fulminait. « Comment avez-vous osé libérer un prisonnier ? Et, qui plus est, comment avez-vous pu risquer votre vie pour un gueux pareil ? Vous, ma propre fille ?
— Il risquait de brûler vif, se justifia-t-elle.
— Plutôt lui que vous, je vous avais dit de ne plus côtoyer ce manant. Et voilà que j’apprends que vous lui avez rendu visite à plusieurs reprises et maintenant il s’est enfui par votre faute !
— J’espère qu’il ne se fera pas rattraper. Il ne méritait pas de se retrouver enfermé pour si peu.
— Je constate qu’il a su vous bercer de douces paroles, ma fille. Cette fois, ma sentence sera terrible.
— Oh ? Qu’allez-vous me faire ?
— À vous, rien. Mais lui prendra pour vos étourderies. Du moins, s’il ne meurt pas de froid avant. [Je vais faire venir un bourreau]. »

Éléonore pinça les lèvres et jeta un regard pensif dans la direction que Gaël et les deux gardes à sa poursuite avaient prise. Frissonnant, elle retourna en direction du château, où l’on s’affairait encore à éteindre l’incendie. Elle rendit son manteau à Sigismond, qui portait des seaux d’eau pour soutenir les effets de la pompe et l’imita. « Madame, s’étonna-t-il, vous ne devriez pas accomplir une telle tâche !
— Pourquoi ? Plus nous sommes à aider, moins il y aura de dégâts, non ?
— Certes, mais… ne vous abaissez pas à cela.
— J’ai envie. »

Ignorant désormais Sigismond, de même qu’Arthur, elle participa à maîtriser le feu, ce qui lui permit de constater qu’il s’agissait bel et bien d’un véritable début d’incendie. Heureusement, les habitants du château s’étaient montrés particulièrement efficaces et le feu avait été rapidement contenu. L’éteindre totalement avait pris un peu de temps supplémentaire, mais tout s’était terminé sans réduire l’édifice en cendres.

Après toute cette agitation nocturne, l’aube commençait à pointer. Éléonore était épuisée et à la fois transpirante de l’effort et frigorifiée par la température extérieure. Comme tout danger paraissait écarté et que le seigneur Arthur donnait l’impression qu’il tenait encore à lui faire la conversation, ou la morale, ou les deux, elle se retira dans ses appartements. Elle y fit un brin de toilette pour se débarrasser de la suie, ainsi que de l’odeur de fumée, et se réfugia dans le lit, espérant rattraper un peu de sommeil. Avant de s’endormir, elle songea au prisonnier qu’elle avait fait évader et se dit qu’elle aurait peut-être du le suivre dès le départ, sans poser de questions.

 

« Madame ? Êtes-vous réveillée ?
— Grmbl… Maintenant oui, Jodie. Que se passe-t-il ?
— Je me suis dit que vous aimeriez savoir que votre père a fait appeler le bourreau Samedi.
— Le bourreau… Samedi ? Mais pourquoi a-t-il fait appeler un bourreau ?
— Pas n’importe quel bourreau, madame. » précisa Jodie dont le visage exprimait un mélange de crainte et de ravissement.
« Oui oui, ça d’accord, balaya Éléonore qui décida d’agir comme si elle connaissait la réputation de ce fameux bourreau nommé Samedi. Mais pourquoi ?
— Pour le prisonnier, bien sûr.
— A-t-il été rattrapé ?
— Ah, ça, je ne sais pas, madame. »

Éléonore se sentit de mauvaise humeur de bon matin, ou de matinée bien avancée se corrigea-t-elle. Voilà donc ce que sous-entendait le seigneur Arthur lorsqu’il avait menacé Gaël d’une terrible sentence ! Elle ne pouvait pas laisser faire une chose pareille. « Quelle heure est-il et où puis-je trouver le seigneur Arthur ?
— Il est pas loin de dix heures, madame. Quant au seigneur Arthur, il est parti rendre visite aux métayers tôt ce matin. Mais il devrait être de retour pour midi ; il a dit que ce ne serait qu’une courte visite.
— Bon, alors j’ai le temps de me préparer. »

Éléonore eut en effet tout le temps de se laver, s’habiller et même de prendre un petit-déjeuner léger avant de quitter ses appartements. Elle n’osa pas demander de nouveau à Jodie si le prisonnier avait été capturé, de crainte que la servante rapporte ses inquiétudes au seigneur Arthur. Décidant de trouver la réponse à sa question par elle-même, elle abandonna une fois de plus Jodie pour se rendre aux cachots.

Ils étaient vides. Levant les yeux au ciel, elle songea qu’il était tout à fait normal de ne trouver aucun garde dans un endroit où il n’y avait plus rien à garder. Éléonore remonta, espérant que cela signifiait que Gaël courait toujours. Comme il restait du temps avant midi, où elle pourrait demander à Arthur ce qu’il en était, elle retourna dans ses appartements, d’où elle chassa Jodie, pour pouvoir écrire la suite de sa lettre à [Bidulon] en paix. Elle était au moins satisfaite d’une chose : elle produisait beaucoup moins de taches d’encre, tant sur le papier que sur elle-même.

Lorsque midi sonna, Éléonore descendit aussitôt à la salle à manger. Seul Raymond se trouvait là, assis et souriant dans le vague. Elle prit place à côté de lui et patienta. Lorsque, enfin, Arthur fit son entrée, elle n’eut pas le temps de lui poser sa question qu’il lui lança : « Ah ! Ma fille, je suis fort aise de vous voir. J’ai des nouvelles pour vous et j’ai également quelque chose à vous montrer après le déjeuner. Mais commençons par les nouvelles. »

Il s’installa à son tour, déploya sa serviette et commenta les premiers plats du repas. Éléonore maîtrisait son impatience de son mieux. Les nouvelles allaient-elles concerner le bourreau ? Ou Gaël ? Ou autre chose ? Et que pouvait-il bien avoir à lui montrer ? « Ma fille, j’ai eu de grandes discussions avec Edmond, dernièrement. Et j’ai fini par accepter qu’il organise une petite réception, qui pourrait peut-être conduire à vous trouver un partenaire. J’espère que si tel est le cas, vous cesserez de vous intéresser au moindre manant qui passe. »

Elle avait totalement oublié cette discussion avec Edmond. Éléonore se demanda quels arguments avaient fini par convaincre Arthur de lui laisser la possibilité de convoler avec quelqu’un d’autre que lui. « Quelle bonne idée ! s’exclama-t-elle d’un ton réjoui qu’elle espérait naturel.

 

1676 mots pour aujourd’hui. J’ai bien pas profité de mon jour férié pour avancer, hahaha !

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 10

Éléonore lui tendit le vin et il s’en empara avec avidité. Arborant un sourire satisfait, elle commença à avancer. « Il faudra m’en amener d’autres, madame, si vous voulez revenir. Par contre, pas plus de quelques minutes, hein ! Le sergent revient bientôt. » Elle acquiesça et se rendit à la cellule de Gaël, qui chantonnait tout bas.

« Tiens ! s’exclama-t-il en s’approchant des barreaux. Voilà ma plus chouette visiteuse, bonjour !
— Parce que tu as beaucoup de visiteuses ?
— Ouais, plein. Principalement des rattes. Elles sont pas farouches en tous cas ! Elles viennent tout le temps piquer dans mon assiette.
— De toute façon, je t’ai amené des choses meilleures que ce que tu partages avec les rats. » déclara Éléonore en extirpant la taie d’oreiller garnie.

Gaël rit en voyant ce qu’elle lui avait apporté. Il commença à engloutir un pâté en croûte, tout en remerciant Éléonore : « Je dois être le prisonnier le mieux nourri de toute cette époque, c’est vraiment sympa de ta part de t’embêter à venir jusqu’ici pour m’apporter tout ça.
— Je t’avoue que c’est un peu intéressé de ma part.
— Je me doute, déclara Gaël en mâchant. Je vois pas pourquoi tu viendrais dans ce trou à rats sinon : c’est pas très agréable ici.
— Je suis désolée pour ça, oui, je vais voir si je peux convaincre le seigneur Arthur de te laisser partir. »

Gaël pouffa de rire et manqua de s’étouffer. « C’est gentil, mais il ne le fera pas.
— Pourquoi ? s’enquit Éléonore. Tu as déjà eu à faire avec lui avant ?
— Ah non, je ne l’avais jamais vu avant. C’est juste à cause des connards derrière tout ça. Ils ont du lui dire de me garder enfermé, ou je ne sais quoi.
— Qui sont-ils ? Et ils sont derrière quoi, au juste ?
— Écoute, tout ça serait trop long à expliquer là maintenant, mais tu devrais faire attention à tout ce que tu dis et tout ce que tu fais. Vu ta façon de parler, tu n’es pas d’ici non plus. Il faut que tu te montres très très prudente. Parce que moi, je suis là de manière clandestine, je sais dans quoi je me lançais, même s’ils m’ont coupé toute retraite. Mais si toi, tu es là, c’est que tu fais partie d’une expérience.
— Une expérience ? s’étonna Éléonore. De quel genre d’expérience tu parles ? »

Des pas résonnèrent et Gaël s’empressa de dissimuler ce qu’il n’avait pas encore pu manger. André fit son apparition et lâcha : « Madame, il vous faut partir maintenant. Vous êtes restée trop longtemps et il n’y a plus de vin. » Éléonore se leva, pliant sa taie d’oreiller et l’enroulant autour de ses mains pour la porter comme un manchon. Elle lança un regard de regret au prisonnier et obtempéra, quittant les cachots à toute allure.

Éléonore commençait à nourrir de sérieux doutes sur sa propre situation. Les propos de Gaël avaient fait vibrer un écho chez elle, mais elle n’avait pas envie de le croire. Ce qu’il sous-entendait était beaucoup trop gênant à digérer. « Ah, ma fille, que faites-vous dans les corridors alors que vous auriez pu venir dîner avec votre vieux père ?
— Oh, je ne me sentais pas très bien sur le moment. J’allais mieux après avoir mangé un peu et j’ai eu besoin de marcher un peu. »

Éléonore espérait qu’elle paraissait suffisamment crédible. Elle se sentait secouée et elle avait du mal à se concentrer sur les apparences. « Vous ne me semblez toujours pas très en forme, vous devriez aller vous reposer au lieu d’errer dans ces couloirs battus par les courants d’air.
— Oh, euh, oui, je vais aller me mettre au chaud, vous avez raison. »

Elle amorça un mouvement, mais il la retint : « Et, ma fille, vous ne devriez pas quitter le château pour de telles escapades. Vous êtes encore faible et c’est dangereux pour vous.
— Je garderai cela en tête, merci. » Tout en s’en allant, elle ressentit de l’irritation du fait que Jodie ait rapporté leur promenade au seigneur Arthur. Et, de plus, quelque chose fit surface, qu’elle n’avait pas perçu depuis bien longtemps : son esprit de contradiction. Elle avait soudainement très envie d’aller voir ce qui se trouvait au-delà des limites du domaine.

De retour dans ses appartements, Éléonore leva les yeux au ciel en apercevant Jodie. « Ah, vous êtes enfin revenue, madame. Je commençais à m’inquiéter. Je suis contente de voir que vous avez bien mangé ce que je vous ai apporté ; j’ai presque cru que vous étiez enceinte !
— Comment ça, enceinte ?
— Oh et bien vous avez mangé comme deux.
— Ah, d’accord, je vois. Et bien c’est surtout que notre promenade m’avait ouvert l’appétit. Maintenant, j’ai envie de dormir.
— Bien sûr, madame. »

Éléonore réussit à se défaire de sa robe tout en se rendant dans la chambre. Elle songeait que ces vêtements étaient plus faciles à enlever qu’à mettre, jusqu’à ce qu’elle entende un craquement. « Attention, vous l’avez déchirée, madame.
— Tant pis. » dit-elle avec humeur en finissant de se débarrasser de la robe. Laissant son habit tomber au sol, elle l’enjamba et alla se jeter sur le lit, ne gardant que la taie d’oreiller à la main. Elle la glissa sous les coussins, en même temps qu’elle y enfouissait son visage.

« Madame, ne voulez-vous pas passer votre chemise de nuit ?
— Non, laisse-moi, j’ai besoin d’être seule.
— Dois-je revenir plus tard, madame ?
— Non, ne reviens plus. »

Éléonore entendit la porte se refermer. Elle ne savait pas si elle reverrait Jodie au matin, mais pour le moment, elle était soulagée de ne plus subir sa présence. Bien sûr, elle n’avait jamais vraiment apprécié la servante — encore moins depuis qu’Arthur la lui avait assignée en tant que femme de chambre — mais maintenant qu’Éléonore savait que Jodie rapportait ses faits et gestes, elle la détestait cordialement.

Elle souleva son visage des oreillers pour se placer de côté et s’en voulut d’avoir été discourtoise avec Jodie. Pourquoi se sentait-elle si touchée de sa dénonciation, alors qu’il s’agissait juste d’un jeu ? Les propos de Gaël l’avaient marquée bien plus qu’elle ne l’aurait voulu. Frissonnant, elle s’enfouit sous l’édredon. Les câlins réconfortants de [Bidulon] lui manquaient ; Éléonore en avait bien besoin. Elle sombra dans un sommeil agité.

[j’ai complètement zappé de parler de l’éclairage intérieur, je crois]

Ses rêves ne lui furent pas agréables. Éléonore cauchemarda qu’elle se disputait de manière violente avec ses parents — chose qui ne lui était pas arrivée depuis des années — ce qui la mit mal à l’aise, surtout qu’elle était en retard pour un examen important. Puis, elle se retrouva poursuivie par quelque chose de vague, mais elle ne parvenait pas à courir car ses jambes ne lui répondaient pas, lourdes comme du plomb. Elle se redressa brusquement, aussitôt réveillée.

À présent assise et consciente, Éléonore se prit la tête dans ses mains, le temps de se calmer. Elle savait qu’elle venait de subir ce qu’elle appelait un rêve de stress. De fait, elle se sentait angoissée et se leva, blottissant ses pieds dans des chaussons, pour se rendre devant la cheminée. Assise sur une bergère, elle bâilla longuement, mais n’éprouvait plus aucune fatigue. Elle se gratta la tête et se dit que, puisqu’elle était debout, autant qu’elle continue le jeu. La nuit, la plupart des gens devaient dormir et elle aurait tout le loisir de visiter et fouiller.

En ouvrant la porte de ses appartements, Éléonore constata que le couloir baignait dans une obscurité presque totale. Elle retourna dans le salon éclairé par la cheminée et s’empara d’un chandelier, dont elle alluma les trois bougies, avant de retourner s’aventurer dans le corridor silencieux. Que c’était plaisant de profiter du calme de la nuit pour une petite promenade dans [arpenter] le château !

Elle visita des appartements et chambres vides, qu’elle supposa dédiées aux invités. Cela lui fit penser qu’elle devrait s’enquérir de l’endroit qui avait été attribué à Lance lors de son séjour au château. Il avait peut-être laissé des choses intéressantes. Songeant à son ancien prétendant, elle réalisa qu’il était étrange de ne rien avoir trouvé en terme de correspondance personnelle dans son secrétaire. La première fois qu’elle s’y était assise, il était neuf, de même que tout son contenu : les feuilles toutes vierges, les buvards tous immaculés, les fioles d’encre non encore ouvertes, les plumes impeccables… Elle devrait se renseigner sur ce mystère aussi.

Une cloche sonna frénétiquement, faisant sursauter Éléonore. Qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Elle retourna en direction de ses appartements, mais s’immobilisa en entendant des gens crier au feu. Des domestiques paniqués s’égayaient en direction des sorties, tandis que d’autres allaient dans l’autre sens, portant des seaux d’eau. Une odeur de brûlé parvint aux narines d’Éléonore, qui prit le parti de suivre le mouvement général vers l’extérieur.

Tout le monde grelottait dans la nuit hivernale, contemplant la bâtisse avec angoisse, à la recherche de signes de flammes. Éléonore sursauta lorsque quelqu’un posa un manteau sur ses épaules. Il s’agissait de Sigismond, l’intendant. Elle le remercia d’un sourire et lui demanda : « Où donc a pris le feu ?
— Je ne saurais pas trop dire, avoua-t-il. Peut-être des cuisines.
— Je crois que c’était à côté des cuisines, intervint une femme qu’Éléonore ne se rappelait pas avoir encore vue.
— Des cuisines ? » répéta-t-elle d’un air absent.

Elle faisait de gros efforts pour se convaincre que le feu était sûrement une simulation. Ce ne pouvait pas être un véritable incendie, n’est-ce pas ? Si c’était le cas, ils ne tarderaient pas à voir les pompiers arriver. « Installez la pompe ! » cria quelqu’un. Du monde se précipita à côté du lac pour suivre les ordres et en pomper l’eau. C’est alors qu’Éléonore aperçut des flammes, des vraies, de l’autre côté d’une fenêtre du rez-de-chaussée.

Si le feu avait pris près des cuisines, comme on lui avait rapporté, alors il pouvait très bien s’étendre aux geôles. Elle s’inquiéta pour Gaël et se mit à fouiller la foule du regard. Avisant André, elle s’approcha de lui pour s’enquérir de la santé du prisonnier. « Je ne sais pas où il est, répondit-il en haussant les épaules. J’étais pas de garde, moi. Je suppose qu’il est toujours dans sa cellule.
— Mais vous ne pouvez pas le laisser rôtir comme ça !
— Bah, je vais pas retourner là-dedans, hein. »

 

1751 petits mots, pas très reluisant pour un dimanche où j’aurais voulu prendre un peu d’avance ! Enfin, plus que ça en tous cas.

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 9

« Tout va bien, madame ? Vous n’avez pas froid j’espère ! » Éléonore leva les yeux au ciel. Jodie ne la lâcherait donc jamais ? L’eau du bain était encore chaude et elle ne comptait pas en sortir tout de suite. Elle n’avait pas envie de s’embêter à lui répondre, mais craignant que la servante ne fasse une irruption paniquée si Éléonore ne lui confirmait pas qu’elle était encore en vie, elle l’informa que tout allait pour le mieux.

Elle passa le reste de son temps dans l’agréable tiédeur à se vider l’esprit du mieux possible. Lorsqu’elle sortit du bain, Jodie était déjà à lui tendre de quoi s’essuyer et un peignoir tout chaud. Éléonore se blottit dedans et s’installa devant la cheminée. Elle dut s’en éloigner un peu, car les flammes produisaient trop de chaleur. « Jodie ?
— Oui madame ?
— Emmène-moi sur le lieu de mon accident.
— Êtes-vous sûre, madame ? »

La servante affichait son habituelle mine désapprobatrice. « Oui, certaine. » Jodie n’argumenta pas, ce qui parut lui demander un véritable effort. Elle aida Éléonore à revêtir une nouvelle toilette puis, une fois toutes les deux préparées à affronter l’hiver, elles sortirent dehors.

« Je vous préviens, madame, nous allons devoir marcher longtemps. Je ne sais pas si c’est une très bonne idée dans votre condition.
— Je pense que ça ira. Si jamais ça se trouve si loin, peut-être pourrions-nous y aller à cheval ? Ou avec une voiture ou quelque chose ?
— Oh, euh, non madame, je doute que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi ?
— Votre père ne veut plus que vous montiez à cheval, madame. Et il refuse de vous laisser prendre un quelconque moyen de transport sans qu’il soit présent pour vous protéger.
— Ah. »

Arthur se montrait décidément pénible. « Peut-être que vous serez en retard pour le dîner, ajouta Jodie.
— Nous allons si loin que ça ?
— Nous allons loin, oui, mais je serais bien en peine de dire combien de temps cela va nous prendre, madame.
— Nous verrons bien, dans ce cas. »

La servante ne semblait pas apprécier l’apparente insouciance d’Éléonore, mais cette dernière n’en avait cure. Elle ne pensait qu’au fait qu’elle pourrait peut-être trouver des informations intéressantes sur le lieu de l’accident [d’ailleurs, Éléonore aurait pu poser des questions sur le cheval dangereux au palefrenier quand elle est allée aux écuries] et peu lui importait la longueur de leur escapade. Bien sûr, ses vêtements ne paraissaient pas très indiqués pour une longue marche : la robe était lourde et encombrante, mais elle espérait qu’elle pourrait s’y habituer.

Elles parcoururent plus de trajet que ce à quoi s’attendait Éléonore. Le domaine paraissait immense et elle commençait à éprouver de la curiosité par rapport à ce qui se trouvait à l’extérieur. Elle doutait que Jodie accepte de l’accompagner explorer l’extérieur du domaine seigneurial, puisque le jeu s’y limitait certainement. « C’est là. » l’informa la servante, la tirant de sa rêverie. Le paysage était accidenté, avec des rochers qui affleuraient un peu partout dans l’herbe durcie par le givre et lui donnaient un air sauvage. Éléonore se dit qu’il n’était pas étonnant que le cheval ait trébuché et qu’elle ait vidé les étriers.

Enfin, les organisateurs avaient bien choisi le lieu en tous cas, se corrigea-t-elle. « Je pense que vous êtes tombée juste là. » supposa Jodie en désignant une pierre blanche tachée du marronnasse de sang séché. Et ils avaient pensé à tous les détails. Éléonore s’approcha du caillou et l’inspecta attentivement, ainsi que les alentours. Au milieu de cette plaine herbeuse balayée par le vent hivernal, elle se demanda s’il y avait vraiment quelque chose à trouver ici. Le temps menaçait de déverser de la neige. Si elle devait trouver quoi que ce soit, c’était maintenant.

À presque deux mètres de là, un éclat attira son regard au milieu d’une touffe d’herbe gelée. Éléonore s’approcha et s’empara d’un fin bracelet doré. « Il est très joli, souffla-t-elle.
— Oh, oui, pour sûr, approuva Jodie. C’est monsieur Lance qui vous l’avait offert.
— Je m’en souviens, oui. » mentit-elle. La servante sourit et hocha la tête, soulagée.

Éléonore réalisa alors qu’elle n’aurait pas eu à s’en souvenir. Un message était gravé sur l’envers du bracelet : « Ainsi, mon Amour vous suivra partout, où que nous soyons. Lance. » Elle esquissa un fin sourire, se disant qu’il se pouvait qu’elle rencontre ce fameux Lance avant la fin de la partie. Si leurs deux personnages étaient autant épris l’un de l’autre, il ne la laisserait pas ici.

Éléonore ne comptait cependant pas attendre sans rien faire. Qui, de nos jours, se contentait de jouer la princesse en détresse ? Elle voulut mettre le bracelet à son poignet, pour ne pas l’égarer, mais l’attache était brisée, sûrement à cause de la chute. Songeant au fait qu’il ne vaudrait mieux pas qu’Arthur tombe sur ce bijou, elle le glissa dans son corsage. Là, au moins, il ne risquait rien.

Elle resta encore quelques minutes à chercher d’autres traces. Le bracelet était une bonne trouvaille, mais somme toute assez maigre. Il y avait peut-être d’autres indices semés parmi les pierres blanches. « Madame, nous devrions rentrer, ne pensez-vous pas ? suggéra Jodie, transie de froid. Vous risquez de vous mettre en retard pour le dîner et cela va inquiéter votre père.
— Il ferait mieux de s’occuper de ses… Hum… Oui, vous avez sans doute raison. Rentrons. »

Éléonore se détourna de la plaine venteuse à regret et suivit Jodie dans la direction qui menait au château. Comme toujours, elle eut l’impression que le chemin du retour fut plus court qu’à l’aller. Il faut dire qu’elle avait encore eu matière à réflexion pendant la route ; elle se posait beaucoup de questions sur Lance, sur leur supposée relation et sur la réaction du seigneur Arthur à tout cela.

Elle se réjouit de retrouver l’intérieur chauffé de l’édifice. Même si elle trouvait qu’il y faisait parfois frisquet vu la quantité de volume qu’il y avait à chauffer, la différence de température avec l’extérieur la fit transpirer et elle ôta bien vite les couches protectrices qu’elle avait revêtues contre le froid. Jodie s’empressa de lui dégager les bras de son fardeau vestimentaire. Éléonore la remercia et s’en fut retrouver le confort de ses fauteuils devant sa cheminée.

Pouffant de rire toute seule, elle se dit qu’une fois de retour à sa vie normale, ces fauteuils devant la cheminée allaient lui manquer. Heureusement qu’elle serait ravie de retrouver tout le reste. Et surtout [Bidulon]. Maintenant qu’elle pensait à lui, elle s’installa de nouveau à son secrétaire et s’employa à continuer la lettre qu’elle lui avait commencée.

Elle s’en sortit mieux avec l’encre et s’en macula beaucoup moins les doigts. Cette fois, il y en avait suffisamment peu pour qu’elle n’ait pas à demander de l’aide à Jodie pour s’en débarrasser. Éléonore ne tenait pas à ce que la servante se questionne sur ce qu’elle écrivait si elle la surprenait les mains pleines d’encre noire à chaque fois. Peut-être qu’elle s’inquiétait pour rien : après tout, elle ne savait pas si Jodie était censée avoir appris à lire. Mieux valait prévenir que guérir dans tous les cas.

Comme elle avait déjà dissimulé sa lettre dans le secrétaire, Éléonore décida de cacher le bracelet ailleurs, pour ne pas placer tous ses œufs dans le même panier. Elle trouvait compliqué de trouver une cachette où Jodie — ou quelqu’un d’autre — ne tomberait pas dessus par mégarde. Après réflexion, elle le coinça sous le sommier du lit ; elle pourrait toujours le déplacer si elle trouvait mieux. La longue excursion de l’après-midi l’ayant épuisée, Éléonore s’affala ensuite sur le lit où elle sombra dans un sommeil lourd.

« Madame ! » Quelqu’un la secouait, mais elle avait envie de continuer à dormir. « Madame, êtes-vous souffrante ? Faut-il que je fasse appeler des médecins ? » Éléonore poussa un grognement et ouvrit péniblement les yeux. Elle reconnut Jodie qui la secouait. Bien sûr. Qui d’autre ?

« Quoi ? lâcha Éléonore les yeux emplis de larmes de sommeil.
— Monseigneur se demande où vous êtes.
— Pourquoi ?
— Vous êtes en retard pour le dîner, madame. Et en plus, votre robe est toute froissée !
— Ah. Et bien je suis trop lasse pour descendre dîner avec monseigneur, je mangerai seule ici, ce soir. Comme ça, en plus, ce n’est pas grave si ma robe n’est pas présentable.
— Bien, madame. »

Jodie s’en fut pour prévenir Arthur que sa fille ne viendrait pas et pour organiser les préparatifs du repas d’Éléonore. Cette dernière s’étira et se frotta les yeux, puis se rendit dans le petit salon pour contempler les flammes claires dans la cheminée. Après avoir entièrement émergé de sa sieste, elle se sentit en pleine forme. Elle aurait même pu affronter un dîner en compagnie d’Arthur.

Son estomac gargouilla en même temps que Jodie revenait, ployant sous un énorme plateau, généreusement garni. Éléonore rit joyeusement et se précipita pour aider la servante à porter le plateau jusqu’à une table. « Je ne vais jamais pouvoir manger tout ça, commenta-t-elle. Merci en tous cas. J’espère que monseigneur Arthur ne m’en veut pas trop de rester dîner ici.
— Je ne pense pas, madame. Il avait l’air un peu déçu, mais il a dit qu’il préférait que vous vous reposiez.
— Fort bien. Vous pouvez me laisser manger seule maintenant. »

Jodie pinça les lèvres et s’en fut. Affamée par sa promenade, Éléonore mangea joyeusement. Alors qu’ayant trop mangé, elle arrivait au dessert, elle songea au prisonnier. Elle éprouvait l’envie de retourner discuter avec lui. Supposant qu’il accueillerait volontiers quelques douceurs, elle retourna chercher la taie qu’elle avait remise sur l’oreiller [je sais plus si j’ai parlé de ça, à vérifier] et la remplit de ce qu’elle put qui lui paraissait transportable dans un tel baluchon.

Avisant la bouteille de vin, dont elle n’avait pas abusé pour garder l’esprit clair, elle s’en empara. C’était bien beau de vouloir rendre visite à l’homme dans les cachots, mais il fallait bien trouver un moyen de se débarrasser ou d’amadouer les gardes ; elle ne pouvait pas toujours espérer qu’ils partent manger en laissant les geôles sans surveillance. La bouteille de vin ferait certainement l’affaire.

Éléonore s’en fut de ses appartements, son baluchon rempli de nourriture dissimulé sous ses jupes, comme le matin même. Cette matinée sembla s’être déroulée il y avait une éternité. À cette heure, elle rencontra peu de monde, hormis les servantes et serviteurs qui faisaient les aller-retour entre les cuisines et la salle à manger. Ils étaient tellement affairés que peu lui prêtèrent la moindre attention et elle parvint à la porte des cachots sans avoir plus de deux domestiques qui s’étaient inclinés sur son passage.

Elle descendit les escaliers à toute vitesse et faillit heurter André. « Qui va là ? » rugit celui-ci, prêt à la frapper, avant de la reconnaître. « Que faites-vous encore là, madame ? Je croyais que monseigneur votre père allait vous interdire de redescendre ici.
— Il me l’a plutôt déconseillé. Et je me disais que vous pourriez peut-être oublier ma présence en échange d’un petit cadeau, non ? »

Éléonore exhiba la bouteille de vin à peine entamée. Les yeux du garde brillèrent de convoitise.

 

1870 mots pour aujourd’hui. C’est faible pour un samedi ‘-_-

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 8

Tous ces livres paraissaient anciens et, pourtant, bon nombre d’entre eux paraissaient tout à la fois vieux et neufs. Elle réalisa qu’ils n’étaient anciens que dans leur style : les objets en eux-mêmes étaient récents. [tout ça, c’est tout pourri, il faudra reformuler] Cela ne l’aurait pas intriguée outre mesure s’il n’y en avait eu que quelques-uns. On parlait là de plusieurs centaines d’ouvrages et les plus motivés des participants des jeux de rôles grandeur nature n’auraient jamais pu en produire autant. Et puis, il y avait les chevaux. Sans compter la location du domaine. Tout cela devait avoir été très coûteux. Et puis, il y avait les bizarreries des gens.

Éléonore secoua la tête. Les gens agissaient étrangement, mais ils parlaient comme des personnes de son époque le feraient en imitant celles de la Renaissance. Son coup sur la tête l’avait déstabilisée, voilà tout. Quant au prisonnier qui paraissait complètement décalé par rapport au reste, ce devait aussi s’expliquer facilement. Les organisateurs avaient du introduire une composante voyage dans le temps, ou quelque chose d’approchant.

Elle se sentit mieux après toutes ses réflexions. Il lui restait un fond d’appréhension, mais elle l’étouffa de son mieux. Le fait de n’avoir toujours pas eu d’aperçu de [Bidulon] était ce qui l’embêtait le plus. Éléonore se sentirait entièrement rassurée s’il se trouvait dans les parages ; peu importerait le reste. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle ne l’avait pas vu, mais il lui manquait beaucoup. Malheureusement, cela ne donnait aucune indication de durée : [Bidulon] lui manquait dès qu’ils étaient séparés plus de quelques heures.

Elle eut le réflexe de chercher son téléphone pour lui envoyer un message. Se trouvant ridicule, elle pouffa de rire. Éléonore secoua de nouveau la tête, emprunta quelques livres et retourna dans ses appartements. À sa grande surprise, Jodie ne l’y attendait pas. Elle s’en réjouit brièvement, posa les livres sur une table, puis s’installa au secrétaire marqueté, dont elle ouvrit le battant et fouilla les tiroirs et compartiments. Il contenait du papier, des fioles d’encre, des plumes et tout le reste d’un attirail de papeterie.

Éléonore ouvrit une fiole d’encre, en inspira l’odeur et y trempa une plume, tout en s’emparant d’une feuille de papier. Elle fit quelques essais, puis commença à écrire une lettre à [Bidulon] pour lui raconter tout ce qu’elle avait vécu depuis son réveil. Cela lui prit quelques pages, jusqu’à ce que son horloge sonne midi. Bien qu’elle ait pris soin d’éponger l’encre, elle remarqua que ses mains en étaient maculées. Elle dissimula la lettre sous la réserve de feuilles vierges.

Alors qu’elle rangeait son matériel d’écriture, la porte du salon s’ouvrit sur Jodie. « Ah ! Madame ! Vous êtes ici !
— Oui, Jodie. Sauriez-vous où je peux trouver du savon et de l’eau pour nettoyer tout cela ? s’enquit Éléonore en montrant ses mains tachées.
— Je vais chercher ça, madame, vous ne pouvez pas aller déjeuner dans cet état. »

Ah, oui, le déjeuner. Éléonore n’y avait même pas pensé. Il faudrait certainement le prendre en même temps qu’Arthur, ce qui ne la réjouissait pas outre mesure. Bien sûr, elle pourrait prendre ses repas seule dans ses appartements, mais elle n’apprendrait rien d’utile ainsi. Elle se dit qu’elle devrait lui proposer d’inviter du monde, ce qui serait certainement plus intéressant que de l’écouter monologuer.

Une fois débarrassée de la majeure partie de l’encre qui maculait ses mains à présent rougies — Jodie n’avait pas réussi à tout enlever malgré son acharnement à frotter — Éléonore se rendit à la salle à manger. Les trois conseillers avaient été conviés à se joindre à eux et le vieux Raymond babillait à propos de sa femme Berthe. Les deux autres restaient silencieux et, pour cause, le seigneur Arthur arborait une mine sombre. Le repas commença, environné d’un silence de plomb.

« J’ai réalisé que nous possédions une bibliothèque très fournie, badina Éléonore pour essayer d’alléger l’atmosphère.
— Peut-être un peu trop, bougonna Arthur. J’ai peur que ces romans, que vous lisez, ne vous soient montés à la tête.
— Comment ça ?
— On m’a rapporté que vous vous étiez *promenée* dans les cachots cette nuit.
— Tout à fait. » Éléonore ne voyait pas de raison de le nier. « Je voulais vérifier la façon dont le prisonnier était traité. Étant donné la violence dont les gardes avaient fait preuve à son encontre, je tenais à m’assurer qu’il était encore entier. »

Le seigneur Arthur [il est comte au fait, lui, faut pas que j’oublie] lâcha un rire bref. « Qu’importe l’intégrité physique d’un manant comme lui ? Pourquoi vous préoccupe-t-il autant ?
— Parce que c’est juste un pauvre malheureux qui avait faim. Il ne mérite pas de se faire battre ainsi.
— Je vous l’ai dit, ma fille, vous êtes trop bonne. Cessez de vous préoccuper de lui.
— Qu’allez-vous en faire ?
— Je n’ai pas encore décidé. Oubliez-le. »

Éléonore ne continua pas plus la discussion, qui promettait de devenir vraiment houleuse. Elle ne comptait pas non plus obéir, au contraire. Retourner voir Gaël faisait partie de ses projets, mais elle allait devoir se montrer discrète. Elle ne se faisait pas tant de souci pour elle que pour le prisonnier. Il serait certainement considéré comme responsable si elle se faisait prendre.

Toute à ses pensées, elle n’avait pas remarqué qu’Arthur avait recommencé à parler. Il lui faisait la morale sur les risques de côtoyer des hommes et, à plus forte raison, des hommes de basse extraction. En entendant ça, Sigismond détourna la tête d’un air contrit, confirmant ainsi à Éléonore qu’il n’était pas noble. En plus de cela, il était le plus jeune des trois conseillers : il devait avoir du mal à faire entendre ses avis. Si tant est qu’Arthur écoutait un quelconque avis. Edmond, quant à lui, semblait n’écouter que d’une oreille distraite.

Les trois — même Raymond — semblaient avoir l’habitude des diatribes d’Arthur et n’intervinrent pas. Éléonore suivit leur exemple. Malgré le repas de qualité, elle trouva le temps terriblement long et se sentit soulagée lorsqu’Arthur décréta qu’il était terminé. Elle ne demanda pas son reste et s’en fut rapidement.

Edmond la rattrapa. « Madame, l’interpella-t-il. Je sais que je rase tout le monde à suggérer sans arrêt de vous marier, mais vous devez bien constater que ce serait une véritable échappatoire pour vous.
— Comment donc ?
— Voyons voyons, vous n’avez nul besoin de jouer l’ingénue avec moi, madame. Tout le monde, au château, a bien remarqué à quel point monseigneur continuait à vous accabler depuis votre retour.
— Depuis que je me suis réveillée, vous voulez dire ?
— Oh, non, depuis que vous êtes revenue, après votre séjour chez le bas peuple. »

Éléonore accorda toute son attention à Edmond ; elle espérait qu’il allait lui dévoiler de précieuses informations. « Je suppose qu’il avait initialement promis de se comporter correctement avec vous, reprit le conseiller. Mais, vous savez, les gens trop habitués au pouvoir ont parfois l’impression qu’ils peuvent n’agir qu’à leur guise. Ma foi, il doit se dire que sa parole était plus en l’air que véritablement promise. » Edmond la considéra un moment puis, comme ne répondait pas, il reprit :

« Enfin, peu importe, passons. Je vois bien que vous n’êtes pas une idiote. Vous devez bien savoir, au fond de vous, qu’il serait mieux pour votre bien-être de vous éloigner de lui. En vous mariant, vous seriez obligée d’aller vivre avec votre époux.
— Encore faudrait-il en trouver un qui survive jusqu’au mariage, pointa Éléonore. Est-ce donc seulement parce que vous vous souciez de mon bien-être que vous insistez pour me trouver un mari ? »

Edmond sourit. « N’avais-je pas dit que vous étiez intelligente ? Évidemment, j’ai quelque chose à gagner dans cette histoire, moi aussi. Il serait plus simple pour vous et moi que nous nous allions.
— Très bien, concéda Éléonore après quelques instants de réflexion. Je vous laisse me trouver des partis. Il en faut plusieurs. S’ils sont nombreux, j’espère que le seigneur Arthur n’osera pas à s’en prendre à eux.
— Voilà une bien sage remarque. Il me faudra quelques jours pour convaincre votre père et organiser tout cela, puis encore quelques jours supplémentaires pour les laisser tous arriver jusqu’ici. Il vous faudra faire preuve de patience, madame.
— De quoi parlez-vous ? » les interrompit Arthur qui avait tardé à sortir de la salle à manger.

« Je lui disais que je la trouvais encore un peu pâle, répondit Edmond avec un naturel qui impressionna Éléonore. Et qu’elle devrait plus se reposer. Après tout, son accident est encore tout récent.
— C’est tout à fait vrai. Allez donc vous allonger dans votre chambre, ma fille. Je vais vous raccompagner.
— Ce sera inutile, refusa Éléonore. Je préfère m’y rendre seule, merci. »

Elle leur tourna le dos et se pressa de rejoindre ses appartements. Jodie se trouvait encore là, à repriser des vêtements à côté de la cheminée. Éléonore se souvint alors qu’elle avait voulu prendre un bain la veille, que la servante lui avait refusé. Elle lui en fit de nouveau la demande. « Comment ça, madame ? Juste après manger ? Mais vous n’y pensez pas, sauf votre respect.
— Il y a toujours une excuse pour refuser mes demandes, avec vous. J’ai besoin d’un bain, maintenant. »

Jodie s’exécuta et, bientôt, Éléonore put profiter d’un bain très chaud. Elle soupira de bien-être dans l’eau savonneuse et ferma les yeux pour se détendre. Cela n’eut pas l’effet escompté puisque tous les propos tenus par Arthur pendant le repas et sa discussion avec Edmond repassèrent dans sa tête. Elle s’admonesta [comme ça elle se morigène ou se gourmande pas, BIIIM] : elle aurait dû prendre de quoi lire pendant sa baignade, cela lui aurait évité de se questionner sur ce qu’Edmond avait à gagner si elle se mariait.

Une autre chose l’avait profondément angoissée dans ses propos. Il avait parlé de plusieurs jours pour organiser une rencontre — des festivités probablement — et de plusieurs jours encore pour que tous ses prétendus prétendants arrivent. Au bout du compte, cela faisait vraiment un très long séjour à passer ici. Elle n’allait pas se plaindre de la vie de château, c’était intéressant et agréable en tant que dame, aussi. Mais combien de congés avait-elle pris pour venir là ? D’ailleurs, elle ne savait toujours pas où se trouvait ce « là ».

 

1718 mots pour aujourd’hui, ça va. Même si des fois j’aime pas ce que j’écris. MAIS IL FAUT PAS SE RELIRE, C’EST LE NANOWRIMO !

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 7

Lorsqu’elle se réveilla, Éléonore se délecta de se constater seule dans la chambre. Elle s’étira avec un grand sourire, qui se figea presque aussitôt : quelqu’un frappait à la porte. « J’entre, madame. » l’informa la voix de Jodie. Le battant s’ouvrit sur la servante qui portait un plateau chargé. « J’espère que vous avez bien dormi, madame. » ajouta-t-elle en posant son fardeau au-dessus des jambes d’Éléonore et avant d’ajuster les oreillers.

« Très bien, merci. Et maintenant que je ne suis plus blessée, vous n’avez plus à vous occuper des coussins. » Jodie pinça les lèvres, mais ne répondit rien, se contentant d’un signe de tête pour indiquer qu’elle avait compris. « J’aimerais manger seule à présent. » continua-t-elle et, à sa grande surprise, la servante s’exécuta sans protester, mais non sans afficher une moue désapprobatrice.

Tout en mangeant, Éléonore songeait qu’elle aimerait bien se passer totalement de Jodie. Le seul problème était de s’habiller sans elle, car les robes étaient compliquées et elle ne savait pas les enfiler seule. Du moins, pas encore. Elle comptait bien comprendre comment se rendre autonome à ce niveau-là ; elle espérait que c’était possible.

Le petit déjeuner était vraiment copieux et elle fut bientôt rassasiée. Il restait encore tellement de victuailles sur son plateau, qu’elle se dit qu’elle pourrait en profiter pour amadouer le prisonnier. Peut-être qu’une fois le ventre plein, il se montrerait plus volubile et qu’elle pourrait apprendre plus de choses. Elle pressentait qu’il détenait des réponses dont elle avait besoin, même si elle n’avait pas encore compris quel était son but à elle en tant que personnage.

Et ses souvenirs n’étaient toujours pas de retour ; cela la chiffonnait un peu.

Se concentrant de nouveau sur son objectif, elle tartina quelques tranches de pain frais qu’elle disposa en sandwichs, pour pouvoir les transporter plus facilement sans mettre de confiture de partout, et récupéra un œuf dur avec quelques tranches de lard, puis une pomme. Après avoir réfléchi à la meilleure manière de transporter toutes ces choses, elle enleva la taie d’oreiller de l’un des coussins — qu’elle dissimula sous le monceau de ses congénères — et fourra la nourriture à l’intérieur. Puis, poussant le plateau sur le côté, elle cacha son baluchon de fortune derrière le lit.

Satisfaite, elle se leva et ouvrit l’armoire pour en inspecter le contenu. Le meuble renfermait une grande quantité de vêtements et Éléonore eut l’impression d’être submergée par une marée de tissus. Elle extirpa une robe pour l’étudier et soupira : les pantalons allaient lui manquer avant longtemps. Après avoir tâté et examiné plusieurs autres toilettes, Éléonore capitula et appela la servante.

Cette dernière, qui était restée dans le salon à portée de voix, arriva presque aussitôt et l’aida à s’habiller avec diligence. Même si Éléonore la trouvait irritante, elle devait bien admettre que Jodie se montrait efficace. Elle s’efforça donc de la remercier, avant de lui demander de quoi se couvrir pour sortir. « Encore, madame ?
— Oui, il fait jour maintenant, j’espère que cela ne perturbera pas autant tout le monde.
— S’il vous plait madame, il neige à gros flocons pour le moment, ne pouvez-vous pas attendre ? »

Éléonore hésita : Jodie avait l’air terrorisée. Elle jouait très bien la comédie. Encore une fois, cela paraissait presque trop réaliste. Perturbée, Éléonore capitula. « Très bien, je ne sortirai pas pour le moment, mais j’ai tout de même envie de rester seule. Vous pouvez disposer et vaquer à vos occupations. Hors de mes appartements, cela va sans dire. » Jodie obtempéra, après avoir récupéré le plateau du petit déjeuner.

Après avoir attendu un moment que la servante se soit éloignée, Éléonore retourna vers son lit, s’empara de son baluchon et le dissimula sous ses jupons. Elle fit quelques pas pour vérifier qu’il était correctement fixé et, satisfaite de son subterfuge, elle quitta ses appartements. Tout en se rendant en direction des cuisines, proches de l’accès aux cachots, Éléonore se demandait comment elle allait convaincre les gardes de la laisser accéder à la cellule du prisonnier. Quelqu’un pourrait peut-être l’informer sur les horaires de relève de la garde. [il va aussi falloir parler des horloges, partout, qui font du bruiiit]

En arrivant en vue de la porte qui menait aux geôles, Éléonore aperçut deux hommes d’armes qui entraient dans les cuisines. Elle n’avait pas eu le temps de les voir suffisamment pour les reconnaître et elle espéra qu’il s’agissait d’André et du gradé qui allaient chercher de quoi se sustenter. S’ils avaient veillé toute la nuit, ils devaient certainement partir se reposer ensuite. Haussant les épaules, elle décida de tenter sa chance.

Elle se dirigea droit vers la porte qui menait aux cellules, de la manière la plus naturelle possible pour ne pas attirer l’attention, et poussa la porte, espérant qu’elle n’était pas verrouillée. En réfléchissant aux évènements de la veille, Éléonore se souvint que [je ne sais plus quel garde] n’avait pas pris la peine d’utiliser une clef. L’état de la porte lui confirma qu’elle était défectueuse et nécessitait des réparations. Sans se poser plus de questions, elle descendit rapidement les quelques marches jusqu’au sous-sol sans laisser à ses yeux le temps de s’habituer à la pénombre. Une fois tout en bas, il y avait plus de lumière grâce aux petites ouvertures des cellules placées sur le côté du bâtiment.

Elle extirpa son baluchon de sous ses jupons et rejoignit la cellule de l’unique prisonnier. « Hem, bonjour. » le salua-t-elle. Affalé par terre, il tourna brièvement le regard dans sa direction, mais ne répondit pas. « Je vous ai amené un petit quelque chose, ajouta-t-elle sans s’émouvoir. Je me suis dit que ça serait meilleur que ce qu’ils vous servent ici. » Une lueur d’intérêt étincela dans le regard de l’homme, qui se redressa et s’approcha d’elle.

Éléonore lui fit passer ce qu’elle avait ponctionné sur son plateau matinal par les barreaux et il s’en empara avidement. Il croqua dans l’œuf et, pendant qu’il mâchait, il la considéra pensivement. « Pourquoi tu as fait ça ? [le faire tutoyer depuis le début]
— Parce que j’avais envie de discuter et que je me suis dit que vous… — ou tu ? — seriez mieux disposé à parler le ventre plein.
— Tu peux dire “tu” si tu veux. » Il attaqua ensuite le lard. « Eh ben, parlons dans ce cas. De quoi tu veux parler ? »

Éléonore ne répondit pas tout de suite. Elle n’osait pas demander si elle se trouvait bien dans le monde réel. Rien que de penser à une question aussi ridicule la fit rougir. Le prisonnier, occupé à dévorer son repas supplémentaire, ne remarqua rien. « Pourquoi tu as dit que je n’étais pas réelle hier soir ? » s’enquit-elle finalement en adoptant sa façon habituelle de s’exprimer.

Son interlocuteur termina d’avaler sa bouchée en cours et répondit : « Parce que rien n’est réel ici, du coup je pensais que toi non plus.
— Je suis réelle.
— Haha oui, enfin ça, c’est ce que tout le monde dit, hein.
— Comment je peux le prouver ?
— Je ne sais pas. » avoua-t-il en croquant dans une tartine. « Ch’est très bon. »

La conversation ne menait nulle part et Éléonore sentait la frustration monter. Elle ne pouvait pas rester longtemps : il fallait absolument qu’elle mette cette occasion à profit pour en savoir plus. Elle demanda : « Vous savez des choses en particulier sur mon… hem… mon père ?
— Pas du tout. Enfin, c’est le seigneur des lieux et il a une tête de pervers, mais c’est tout.
— Pourquoi tu es venu là ?
— J’étais venu foutre la merde, mais ça s’est pas vraiment passé comme prévu. Je te raconterai volontiers toute l’histoire, mais comme je ne suis pas certain que personne nous écoute, je préfère en rester là.
— Qui nous écouterait ? s’étonna-t-elle.
— Les deux gus qui m’ont coupé de l’extérieur.
— Qui sont-ils ?
— Deux grands malades. Ils étudient les gens, mais quelqu’un devrait contrôler ce qu’ils font. Je vais garder la pomme pour plus tard. Merci en tous cas ! Comment tu t’appelles, dame du château ?
— Éléonore.
— Enchanté, moi c’est Gaël. »

Il lui sourit et elle le lui rendit. « Tu ne devrais pas trop t’attarder ici, Éléonore. Même si tu es la dame du château, quelque chose me dit que tu risques d’avoir des ennuis si on te surprend ici.
— C’est vrai, approuva-t-elle en se levant et en époussetant sa robe.
— Tu peux revenir quand tu veux. J’ai l’impression que ta conversation sera plus intéressante que celle d’André et, comme tu peux le voir, je risque d’avoir du mal à te rejoindre ailleurs. »

Éléonore sourit de nouveau. « Je reviendrai, oui. Je suis sûre que je trouverai d’autres questions à poser.
— Parfait ! File maintenant. Et encore merci pour le petit déjeuner. »

Elle récupéra la taie d’oreiller et s’en fut rapidement. En arrivant à la porte, elle s’ouvrit et Éléonore eut tout juste le temps de se dissimuler derrière le battant et de se baisser. Les deux gardes passèrent, encombrés de victuailles, et André fit claquer la porte sans regarder. Lorsqu’ils eurent disparu à son regard, elle réalisa qu’elle avait retenu son souffle et le relâcha doucement. Elle prit une nouvelle inspiration, avant de se redresser et de filer hors des geôles.

Craignant d’y retrouver Jodie, Éléonore décida de ne pas retourner dans ses appartements tout de suite. Elle avait besoin d’un peu de temps pour réfléchir à sa discussion avec Gaël. À la place, elle décida d’essayer de retrouver la grande bibliothèque du château. Les livres devraient lui laisser le loisir de la réflexion en paix. Elle mit un peu de temps avant de retrouver la salle. Lorsqu’elle s’y était rendue en compagnie de Jodie, elle n’avait pas encore l’esprit très clair.

Lorsqu’enfin, elle parvint à destination, Éléonore ne put s’empêcher d’afficher un immense sourire. Tous ces livres rangés sur leurs rayonnages lui donnaient une impression de sérénité. D’humeur à présent guillerette, elle commença à s’emparer de volumes pour les parcourir. Si elle en croyait des sonneries de l’horloge de la bibliothèque, elle passa plusieurs heures à passer d’un livre à l’autre, les prenant au hasard, regardant quel sujet ils abordaient, et les rangeant de nouveau avant d’attraper le suivant.

Une nouvelle pensée désagréable traversa son esprit.

 

1710 mots pour aujourd’hui, c’est à peu près le quota du jour à faire pour arriver au bout du NaNoWriMo dans les temps, donc ça va.

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 6

Quelques lanternes illuminaient les abords du château, mais dispensaient une bien piètre luminosité pour contrecarrer la nuit hivernale de manière efficace.

Les pas d’Éléonore la menèrent à s’éloigner un peu de la bâtisse, jusqu’à un ensemble de constructions. D’après les sons de sabots et les odeurs caractéristiques de paille mêlée de crottin, elle supposa qu’elle était parvenue aux écuries. Elle s’en trouva surprise, car des chevaux étaient un véritable investissement pour un jeu de rôles grandeur nature, et qui s’avérait rarement possible.

« Qui va là ? » tonna une voix. Éléonore se retourna et aperçut un palefrenier armé d’une pelle. « Oh, ah, je ne vous avais pas reconnue, madame, veuillez m’excuser !
— Il n’y a pas de mal, le rassura-t-elle.
— Que faites-vous ici ?
— J’avais besoin de m’aérer un peu l’esprit et mes pas m’ont menée jusque là.
— Vous devriez rentrer, madame, les nuits ne sont pas sûres, même dans l’enceinte du domaine. Rien qu’aujourd’hui, on a attrapé un maraudeur. J’ai entendu dire qu’il était dans les cachots maintenant. Sûr que le seigneur Arthur va le faire pendre !
— Pourquoi en êtes-vous si certain ? s’étonna Éléonore.
— Ah ben c’est ce qu’on fait avec les maraudeurs en général.
— Mais et s’il n’a pas commis de crime ?
— Je… je sais pas, madame, ça dépend pas de moi. »

Éléonore décida de ne pas perturber plus ce personnage. Elle lui demanda s’il pouvait lui faire faire le tour des écuries. La requête le rendit perplexe, mais il s’exécuta. Cette écurie comportait beaucoup de chevaux, pas juste trois ou cinq pour faire illusion. Le palefrenier se mit à décrire les quelques désagréments qu’avaient subi quelques-uns des animaux et ce que le maître d’écurie et ses aides faisaient pour les soulager, puis il se mit à raconter les derniers évènements qui l’avaient marqué à l’écurie. Éléonore était impressionnée. Tant de précisions la mirent même un peu mal à l’aise. Par certains côtés, tout ici lui semblait un peu trop réaliste. Elle chassa très vite ces pensées désagréables et prit congé, au soulagement visible du palefrenier.

Comme elle commençait à grelotter sous l’effet du froid, Éléonore décida de rentrer. Avec un peu de chance, cette nuit Jodie ne resterait pas à la surveiller. Sur le chemin du retour, elle aperçut une porte aux multiples ferronneries sur une façade un peu dissimulée du château. Curieuse, elle s’en approcha et tenta de l’ouvrir. Elle fit la moue ; ainsi qu’elle le pressentait, la porte était solidement fermée à clef.

Alors qu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, quelqu’un déverrouilla la serrure de l’autre côté et ouvrit le battant avec brusquerie. Le garde dénommé André écarquilla les yeux en la reconnaissant. « Madame ? Que faites-vous là ?
— Je venais m’assurer que le maraudeur était bien traité, répondit Éléonore avec à peine un instant d’hésitation.
— Ah, euh… Bah, il est traité comme un prisonnier normal. Il a eu un peu de gruau en plus du pain sec et de l’eau, c’est suffisant pour un rat pareil.
— Puis-je le voir ?
— Le voir ? » André avait l’air abasourdi. « Mais pourquoi ? »

Éléonore se contenta de le fixer droit dans les yeux. En grommelant, André s’effaça pour la laisser descendre les quelques marches, puis passa devant elle, prenant une lanterne au passage, pour la guider jusqu’à la cellule. Il y en avait très peu dans ce château, qui avait plus un but esthétique que militaire, et seule celle de l’intrus était occupée. « Il est là, indiqua le garde à sa maîtresse. Mais restez pas trop longtemps ni trop près : il pourrait vous contaminer avec un sale truc. »

Elle l’ignora et s’approcha des barreaux. Constatant qu’André restait posté à côté, elle lui fit signe de s’en aller. Comme il restait là, elle attendit qu’il s’en aille en le fixant d’un air sévère. Il finit par s’exécuter en ronchonnant. Lorsqu’elle estima qu’il était assez loin, elle s’approcha un peu plus de la cellule et s’éclaircit la gorge. « Bonjour ? » lança-t-elle. Les geôles n’étant éclairées que par la faible lumière extérieure qui se glissait péniblement par les soupiraux et André étant parti avec la lanterne, Éléonore peinait à distinguer le prisonnier.

Une ombre bougea et s’approcha d’elle. « Vous êtes la dame du château, vous, non ?
— Euh, oui, on peut dire ça comme ça.
— Qu’est-ce que vous faites là ?
— Je suis venu voir si vous étiez bien traité. »

L’intrus pouffa de rire. « Ouais bah super, je vais probablement mourir de dysenterie ou d’un autre truc sale. La seule chose qui me réjouit, c’est d’avoir toujours ma main : comme ça je vais pouvoir crever entier.
— Vous pourriez montrer un peu plus de reconnaissance pour votre main.
— À quoi bon ? De toute façon, vous n’êtes pas plus réelle que les autres. Enfin bon, merci quand même.
— Comment ça, je ne suis pas réelle ? »

Des pas coupèrent la parole du prisonnier. André revenait, accompagné de l’autre garde qu’Éléonore avait déjà vu et qui paraissait plus gradé. « Vous devriez retourner dans vos appartements, madame, lui dit-il. Ce n’est pas un endroit convenable pour une dame et encore moins de nuit. Je pense qu’à présent vous avez largement eu le temps de voir qu’il était bien traité et que vous n’avez pas très envie que je parle de votre escapade à votre père. »

Elle était déçue d’avoir été interrompue dans sa discussion avec le prisonnier, mais le garde avait raison : elle n’avait aucune envie qu’il rapporte ses faits et gestes au seigneur Arthur. « Je suis lasse, je vais me reposer. » déclara-t-elle avant de s’en aller. Pour lui éviter de devoir braver de nouveau la nuit glaciale, les gardes la guidèrent jusqu’à l’issue qui menait à l’intérieur du château. Éléonore ne reconnut pas tout de suite l’endroit où elle avait débouché, puis repéra les cuisines au loin. Soulagée, elle retourna rapidement jusqu’à ses appartements.

Jodie se trouvait là, dormant à moitié dans une bergère de laquelle elle se releva brusquement. « Madame ! Où étiez-vous ? J’espère que vous n’avez pas pris froid, vous avez l’air gelée ! » Ce disant, elle se précipita sur Éléonore pour lui ôter son manteau et la frictionner en la menant près de la cheminée. « Monseigneur me ferait pendre s’il savait que je vous ai laissée si longtemps dehors. Toute seule en plus ! »

Éléonore laissa Jodie s’affoler et se plaindre, tout en la déshabillant pour le coucher. Elle se contentait de repenser aux évènements de la journée. « Je prendrais bien un bain. » déclara-t-elle finalement. Elle réfléchissait toujours mieux dans un bain ou sous une douche, mais elle doutait que ce château soit pourvu de douches. « C’est possible ?
— Madame, vous n’y pensez pas, un bain vous achèverait ! Vous pourriez en prendre un demain, qu’en pensez-vous ? »

Fatiguée par les inquiétudes de la servante, Éléonore acquiesça. Cela parut calmer un peu Jodie, qui enleva la bouillotte et redisposa les oreillers pendant que sa maîtresse se couchait. Une fois la servante partie, Éléonore tourna longtemps dans le lit chaud et douillet. Elle se sentait très bien installée, mais tout ce qui s’était passé durant la journée tournait dans sa tête, l’empêchant de s’endormir. Elle se demandait notamment ce que le prisonnier avait bien pu vouloir signifier lorsqu’il lui avait dit qu’elle n’était pas réelle. De plus, il avait l’air beaucoup moins dans son rôle que les autres et cela lui paraissait particulièrement décalé.

***
« Alors, que penses-tu de l’expérience jusqu’ici ? s’enquit une femme d’âge mûr en rehaussant ses lunettes.
— C’est difficile d’en dire quoi que ce soit, chérie. Elle commence tout juste à explorer son nouvel environnement. Ce qui m’inquiète, c’est le prisonnier.
— Il n’était pas prévu, c’est vrai. Cela dit je pense qu’il sera intéressant de les voir interagir.
— Oui, allez, viens, elle dort maintenant. Allons nous coucher aussi. »
***

 

1313 petits mots pour aujourd’hui, mais en vrai c’est plutôt pas mal pour un mercredi ! Par contre ça y est : je n’ai plus d’avance.

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 5

Avisant un siège aux côtés du trône d’Arthur, Éléonore supposa qu’il s’agissait du sien et s’y dirigea pour s’y installer, remarquant que de nombreux employés du château étaient venus assouvir leur curiosité. Le seigneur l’accueillit avec un sourire et elle voulut, elle aussi, assouvir sa curiosité : « Pourquoi toute cette agitation ?
— La garde a appréhendé un individu suspect qui rôdait sur nos terres et me l’a amené pour jugement.
— J’ai rien fait je vous jure ! Aïe ! »

Ledit individu suspect, qui était maintenu à genoux sur le sol de pierres, se roula en boule pour encaisser un deuxième coup de pied d’un des gardes. Lorsque le prisonnier se redressa, Éléonore constata qu’un coup précédent l’avait fait saigner du nez. Alors qu’il reniflait et s’essuyait difficilement de son avant-bras, puisqu’il avait les poignets liés, Éléonore se demanda s’il jouait vraiment la comédie. Cela paraissait tellement réel qu’elle s’en trouva mal à l’aise et décida d’intervenir :

« Hum… Sei… Euh, père, voyons, vous ne pouvez pas les laisser se montrer si violents avec lui tant que vous ne savez pas s’il est coupable ou pas.
— Il a tout de même été trouvé, errant sur nos terres, ma fille. Juste pour cela, il mérite d’être puni.
— Je le trouve déjà bien assez puni, regardez dans quel état ils l’ont mis…
— Vous avez le cœur trop tendre, ma mie. »

Éléonore ne savait pas si « ma mie » pouvait s’appliquer à autre chose qu’à une compagne. En tant que terme très désuet, elle ne l’avait rencontré que dans ce sens en lisant de vieux contes. Dans le doute, elle corrigea : « Ma fille. » Le seigneur Arthur tiqua et sa mine s’assombrit. « Quels sont les crimes commis par cet homme ? poursuivit Éléonore.

— Eh bien, mademoiselle, commença l’un des gardes, nous faisions notre patrouille, lorsqu’André — lui, là — a repéré ce manant près du château. Il fouinait du côté des réserves, sûrement pour vous voler.
— Vous lui avez demandé ? lâcha Éléonore. Vous me paraissez un peu prompt aux accusations.
— Il nous a dit qu’il s’était perdu, pas vrai, maraud ? » intervint le garde dénommé André, en bousculant l’homme à ses pieds.

« Mais c’était une excuse à mon avis, dit-il d’un ton dédaigneux.
— Madame, je vous assure que je le pensais pas à mal ! s’écria le prisonnier en s’approchant d’Éléonore avant qu’André l’attrape par le col. J’avais froid et faim, je suis arrivé dans la région depuis peu, et je cherchais juste quelque chose à me mettre sous la dent. Je me disais que personne ne remarquerait la disparition d’une pomme et d’une miche de pain, j’avoue. Pitié, je demande votre pardon, je ne recommencerai pas !
— Tous les voleurs disent la même chose, soupira Arthur. Qu’on lui tranche la main, dans le doute.
— Ah non ! s’exclama Éléonore. C’est un traitement barbare ; or je pensais que nous étions des gens raffinés ici.
— Vous dites vrai, ma fille. Témoignons d’un peu de douceur dans ce monde de brutes. Jetez-le dans un cachot en attendant ! »

Les deux gardes obtempérèrent aussitôt, traînant sans ménagement le malheureux hors de la salle de doléance. Éléonore était satisfaite d’avoir évité qu’un pauvre hère se fasse trancher la main. Elle se demanda comment cela se serait passé si elle n’était pas intervenue, ce qui avait été prévu. Il y avait peu de chances que quiconque ait sorti une lame séance tenante, bien sûr.

Ses pensées furent interrompues par le seigneur Arthur qui avait posé sa main sur la sienne. « Votre clémence vous honore, ma fille. Mais souvenez-vous qu’un peu de fermeté est primordiale. » Éléonore acquiesça en retirant sa main de l’accoudoir. Tandis que d’autres sujets à traiter se présentaient les uns à la suite des autres, elle se laissa aller à ses pensées. Toutes les nouvelles interventions lui paraissaient triviales. Elle nota tout de même une redite de la maladie des poulets : trois paysans venaient quémander au seigneur de faire demander des remèdes, surtout s’il voulait continuer à profiter de volailles sur ses tables.

Une fois tous les suppliants entendus et mis dehors, Éléonore sauta à bas de son siège et s’apprêta à trouver un manteau pour découvrir l’extérieur. « Que faites-vous ? s’étonna Arthur.
— Je… retournais vaquer à mes occupations.
— Mais voyons, ma chère, il est bientôt l’heure de dîner [c’est ptêt plutôt midi, sinon il faudra dire que le repas de midi est passé et en parler, on verra]. Allez plutôt vous apprêter en conséquence et retrouvons-nous pour le repas. »

Un peu déçue d’avoir été coupée dans son élan, elle acquiesça et retourna dans ses appartements en se demandant en quoi consistait une tenue de dîner. En ouvrant la porte, elle se figea : Jodie l’attendait. La servante s’inclina en la voyant entrer. « Que faites-vous là ? s’enquit Éléonore, un peu fraîchement elle devait bien l’avouer.
— Comme vous n’avez plus de femme de chambre, je suis là en remplacement, madame, le temps que vous en ayez une nouvelle.
— Ah bon ? Qu’est-il arrivé à ma femme de chambre ?
— Elle a eu un accident. » répondit Jodie en lui jetant un coup d’œil en biais.

Éléonore se morigéna [OUI, ELLE SE MORIGÈNE ET JE VOUS CACA !]. La servante allait encore trouver étrange qu’elle ne se souvienne pas de sa femme de chambre. Une autre pensée désagréable s’insinua dans son esprit. « Qui vous a demandé de me servir de femme de chambre ? demanda-t-elle en commençant à se diriger vers la chambre où se trouvaient armoire, paravent et coiffeuse.
— Votre père, madame. Enfin, son valet de pied. »

La supposition d’Éléonore était confirmée, son soi-disant père voulait la surveiller. Elle décida de prêter particulièrement attention à ses propos en présence de Jodie. Au moins, cette dernière paraissait savoir quel genre de tenue convenait à un dîner et Éléonore n’en demandait pas plus pour le moment.

Les conversations lors du repas l’ennuyèrent grandement. Le seigneur Arthur aimait bien monopoliser les discussions, remarqua sa fille. En revanche les plats l’intéressèrent grandement. Elle avait le droit à un véritable dîner de château et elle goûta à tout avec ravissement, sans plus prêter attention au monologue paternel. Celui-ci afficha une mine déçue lorsqu’elle prit congé dès la fin du repas.

Elle n’en avait cure.

Pleine d’enthousiasme, Éléonore retrouva Jodie dans ses appartements pour lui demander de lui trouver quelque chose de suffisamment chaud pour aller se promener à l’extérieur. « Mais madame, il fait nuit en plus de faire froid, pourquoi voulez-vous vous infliger ça ? Surtout que vous devez encore vous reposer, si vous me permettez. Ce sont les médecins qui l’ont dit.
— Vous vous répétez, lui reprocha Éléonore. Et vous devriez cesser de discuter à chaque fois que je vous demande quelque chose. »

Jodie s’inclina de mauvaise grâce et s’en fut trouver le manteau le plus chaud possible dans la garde-robe. Puis, alors qu’elle s’apprêtait à suivre sa maîtresse dans son escapade, Éléonore la congédia pour se retrouver seule. La servante afficha une mine offusquée, mais elle commençait à avoir l’habitude et s’en fut sans s’en préoccuper. Jodie l’irritait. Cela s’avérait certainement réciproque. Elles se trouveraient beaucoup mieux en restant éloignées l’une de l’autre.

En quittant les murs du château, Éléonore frissonna. Le froid perçait l’épaisseur de son manteau, mais elle ne se laissa pas décourager pour autant. Elle espérait même qu’il neige, car l’effet des flocons sur le joli paysage du domaine devait offrir un spectacle féérique. Tout en exhalant de la buée, elle entreprit de faire le tour de la bâtisse. [petite description du château. Penser aussi à faire des descriptions de personnages un jour]

Après avoir longé tout un côté, elle se dit que le château était peut-être un peu trop imposant pour qu’il soit raisonnable d’en faire le tour complet, surtout la nuit tombée. Le chemin gravillonné lui semblait sûr, mais elle y voyait de moins en moins : le seul éclairage était dispensé par celui qui s’échappait des fenêtres de la demeure seigneuriale.

 

1334 petits mots pour aujourd’hui. Petite forme, un peu comme dimanche, mais en moins de temps. Du coup c’est plus positif, non ? Haha ! J’ai presque mangé toute mon avance par contre.

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 4

Elle nota cependant tout ce qu’elle put des conseillers. Ils n’étaient pas nombreux, le seigneur Arthur régnant seulement sur un Comté de moindre importance. Il y avait bien sûr Edmond, celui qui voulait la marier. Éléonore ne savait pas si elle aurait dû intervenir lorsqu’il avait abordé l’idée du mariage. Elle trouvait difficile de réagir sans connaître les tenants et les aboutissants d’une telle proposition. Si son père tenait autant à la garder juste pour lui, elle aurait peut-être dû appuyer les propos d’Edmond, mais elle n’était pas une novice en matière de jeux : les choses n’étaient jamais aussi simples.

Ensuite il y avait le vieux Raymond, qui n’avait pas prononcé un seul mot de toute la réunion. Éléonore le soupçonnait d’avoir somnolé tout du long. Et enfin, Sigismond, qui lui avait paru être une sorte d’intendant du château. Visiblement de moins haute extraction que les autres, il parlait peu et en prenant beaucoup de précautions.

Tout en se remémorant la séance à laquelle elle avait assisté, Éléonore, qui était de retour dans son propre salon, fouillait partout à la recherche de n’importe quel signe technologique : fils électriques, micros, n’importe quoi. Elle ressentait encore un peu le besoin de se rassurer quant à sa santé mentale et sa présence au sein d’un jeu organisé. Et puis, elle était contente de pouvoir fouiner sans que Jodie s’en offusque. Ses maux de tête avaient presque disparu et cela aurait été un véritable soulagement si ses souvenirs étaient aussi revenus.

Elle ne trouva aucune installation électrique. Peut-être y en avait-il derrière les lambris ou entre les pierres, mais elle ne comptait pas s’acharner au point de tout casser. Dans tous les cas, elle finirait bien par savoir quand tout cela serait terminé. Maintenant qu’elle se sentait moins lasse et que ses douleurs avaient disparu, elle décida de visiter le château et ses alentours toute seule.

Éléonore adressa la parole à toutes les personnes qu’elle croisa dans son escapade. Elle ne put pas tirer grand-chose des domestiques, qui se contentaient de répondre le strict minimum à ses questions. La cuisinière en chef accepta cependant de lui faire la conversation, mais refusa catégoriquement de lui faire visiter les cuisines et les réserves. « Ce ne sont pas des endroits pour une dame, vous risqueriez de vous faire bousculer et salir ! Certains de mes aides ne savent pas regarder où ils vont. Vous vouliez faire une commande particulière pour le repas de ce soir ?
— Oh, euh, non, je vous fais entièrement confiance pour décider des plats. »

La cuisinière afficha un sourire ravi. Éléonore sentit une chance d’en savoir plus et reprit : « Vous savez, je suis encore un peu perdue depuis que je me suis heurtée la tête en chutant de cheval. Pourriez-vous m’aider à me rafraîchir la mémoire sur les évènements qui ont précédé mon accident ?
— Pauvre enfant, c’est terrible ce qui vous est arrivé. Mais pourquoi vous autres, de la haute, persistez-vous à monter sur ces bêtes du diable ? Ouhlàlà, elles m’effraient foutrement, sans vouloir vous manquer de respect, madame. Comme je dis toujours : les chevaux, c’est juste bon aux labours et à manger ! »

Éléonore sourit à son tour. Enfin quelqu’un qui ne prenait pas de pincettes avec elle et elle trouvait ça agréable. « Hum, voyons voir, dit la cuisinière en se grattant pensivement la tempe avec une louche. Je n’ai assisté à rien, mais j’ai entendu des choses. Il paraît que vous étiez furieuse contre votre père, vous savez comment il est, et vous vous êtes précipitée aux écuries pour vous vider l’esprit. Quelle drôle d’idée, sauf votre respect, madame. Sauf que vous n’avez pas pris le bon cheval. Et la suite, vous la connaissez. »

Éléonore hocha la tête. Heureuse d’obtenir enfin des réponses, même parcellaires et dont elle ne pouvait pas voir l’utilité pour le moment, elle continua : « Je me suis trompée de cheval ?
— Oui, il y en avait un déjà sellé et vous l’avez enfourché sans demander votre reste, pendant que votre père vous suivait en criant. Vous n’aviez pas le temps de demander à ce qu’on vous en prépare un, je suppose.
— Savez-vous pourquoi j’étais furieuse contre mon père ? »

La cuisinière la considéra un moment avec un regard pensif, mêlé de compassion. « Bah, comme d’habitude, madame. C’est un peu toujours la même rengaine, vous savez. Cette fois-ci, vous aviez fini par vous enticher d’un joli petit seigneur de passage au château — ça, je ne pense pas que vous l’ayez oublié — et c’était réciproque. Vous aimiez tous les deux les livres ; encore un truc de nantis qui me dépasse. Bref. Tout le monde jubilait, ici, en suivant votre histoire ! Vous preniez bien soin de cacher vos désirs à messire votre père et je peux vous assurer que personne ne lui a rien dit. »

Le visage ouvert de la cuisinière s’assombrit. « Continuez, l’encouragea Éléonore qui était impatiente de connaître la suite.
— Je ne sais pas comment monseigneur a su, madame. Mais il a su et… » Elle s’approcha d’Éléonore pour lui dire tout bas : « Certains disent que votre père lui avait tendu un piège.
— Quoi donc comme piège ?
— Eh bien, le cheval pardi !
— Je ne comprends pas. » avoua Éléonore.

La cuisinière secoua la tête d’un air affligé, ouvrit la bouche pour expliquer, puis la referma en voyant une servante passer à côté d’elles. Une fois la femme hors de vue, elle reprit : « Voyons mon petit, on dirait bien que cette sale bête vous a fichu un sacré coup. Je vais vous expliquer, mais surtout, ne rapportez à personne ce que je vous raconte ! Croyez-moi, ça vaudra mieux : autant pour vous que pour moi.
— Bien sûr.
— Le cheval n’était pas fait pour être monté. Enfin, selon moi y en a aucun qui devrait l’être, hein. Mais celui-là, particulièrement. C’était une bête terrible et sournoise. Votre père l’avait faite préparer pour Lance, le joli petit seigneur qui vous aimait bien, là. Il devait retourner chez lui — il avait reçu un message préoccupant, mais personne n’a su me dire ce qu’il y avait dessus — et monseigneur comptait bien que le cheval se débarrasse de votre prétendant. Sauf que, ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que vous auriez une dispute au sujet de ce même petit Lance et que, comme vous étiez furieuse, vous alliez prendre le cheval qui devait le… enfin vous savez. »

Éléonore se sentit bête. C’était effectivement évident : le seigneur Arthur voulait le faire tuer tout en déguisant la mort en accident. Les scénaristes étaient allés fort sur la dangerosité de ce personnage, se fit-elle la remarque. « Et ce joli seigneur, Lance, où se trouve-t-il à présent ?
— Ah, ça, il est parti, l’informa la cuisinière. Plus personne ne l’a revu depuis votre accident, madame. Une bien triste histoire, si vous voulez mon avis. Tout le monde, ici, était à la fois déçu qu’il vous ait laissée et à la fois soulagé qu’il soit parti loin de monseigneur, sauf votre respect. »

Éléonore était déçue de ne pas pouvoir rencontrer ce fameux Lance. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il reviendrait ; il ressemblait fort à un allié. Elle trouverait amusant que ce joli seigneur soit joué par [Bidulon], qui lui manquait. Jodie passa, saluant Éléonore, et s’en fut aussitôt. La cuisinière gratifia la servante d’un regard suspicieux. « Je me méfie d’elle, commenta-t-elle. Elle est bizarre. » Une cloche sonna. « Oh ! Je parle, je parle, mais je vais être en retard pour préparer le dîner. Je vais vous concocter votre plat préféré, ça vous rendra des forces, vous verrez ! »

Éléonore la remercia avec chaleur, mais fit tout de même quelques pas plus avant dans les cuisines. « Tetete ! s’exclama la cuisinière. Vous devriez retourner dans les parties présentables du château madame, ne croyez pas que je ne vous vois pas : j’ai des yeux derrière la tête ! » Cela fit rire Éléonore, qui obtempéra, un peu à contrecœur. Les cuisines se trouvaient au rez-de-chaussée et son futur objectif était de se rendre à l’extérieur : elle n’avait plus qu’à trouver la porte.

Elle faillit se heurter à Raymond, le plus vieux conseiller d’Arthur, qui était en admiration béate devant une armure d’apparat exposée dans le corridor. Elle le salua avec un sourire. « Oh, mademoiselle, lui dit-il avec un petit rire ravi, regardez donc ce petit bijou de ferronnerie. Je suis chevalier, vous savez, je portais une armure comme celle-là avant. Peut-être même que c’était la mienne… Mmmh… Qu’ai-je fait de mon armure ? Il faut que je demande à Berthe. Elle sait toujours tout, Berthe.
— Et pourquoi ne la rejoindriez-vous pas ?
— Parce qu’il fait froid dehors. Et le cimetière est loin. Je crois même qu’il neige un peu. Je n’aime pas la neige. C’est glacé et c’est fourbe : ça s’insinue dans le col et après, Berthe meurt de pneumonie.
— Je suis désolée.
— Oh, ce n’est rien, je lui demanderai tout à l’heure pour mon armure, dès qu’il fera un peu soleil. Et je lui amènerai des tournesols. Ces fleurs sont hideuses, mais elle les aime bien. Allez comprendre les femmes… »

D’humeur à présent maussade, Raymond tourna les talons et s’éloigna en maugréant. Éléonore se demanda pourquoi Arthur le gardait comme conseiller. Il ne devait plus être très pertinent dans ses conseils. Néanmoins il avait mis le doigt sur quelque chose : il devait faire froid dehors [vérifier quand même si c’est bien censé être l’hiver] et elle n’était pas habillée pour sortir. Sa robe était chaude, mais il lui fallait un manteau, ou une cape, ou quoi que ce soit que les dames mettaient à cette époque pour vaincre la bise hivernale.

« Madame ! » l’appela une voix. En se retournant, Éléonore aperçut le même valet qui lui avait apporté un message de la part de son soi-disant père. « J’ai un message pour vous de la part de votre père. » Décidément, l’histoire se répétait. « Il veut vous voir de toute urgence dans la salle des doléances.
— Fort bien, je m’y rends de ce pas. »

Elle se souvenait de cet endroit, qu’elle avait visité en compagnie de Jodie. D’après la servante, la salle de doléances avait été nommée ainsi par un ancêtre du seigneur Arthur qui était très proche du peuple. Dans les faits, cette pièce servait à traiter toutes les affaires courantes en plus des doléances. Éléonore n’eut besoin que de quelques secondes de réflexion pour retrouver le chemin du lieu de rendez-vous. Durant le trajet, elle se demanda si Arthur comptait souvent faire appel à elle. Si tel était le cas, elle finirait certainement par refuser de se rendre à plus d’une ou deux convocations par jour. Il devait avoir la consigne de lui faire perdre du temps et elle ne comptait pas se laisser ainsi phagocyter.

La salle des doléances était peuplée de gens agités. Arthur siégeait sur son trône, balayant l’assistance d’un regard sévère.

 

1834 mots pour aujourd’hui, voilà qui est quand même mieux qu’hier ! Il faut dire que certains trucs commencent à se mettre en place dans ma tête et ça aide un peu.

NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 3

Éléonore eut à peine le temps de réaliser que quelqu’un toquait, que Jodie avait fusé en direction de la porte pour l’ouvrir. « Oui ? s’enquit-elle d’un ton suspicieux à la personne dans le couloir.
— J’ai un message de la part de monseigneur pour madame, l’informa une voix masculine.
— Très bien. » lâcha la servante en s’écartant pour laisser entrer un valet.

Ce dernier se posta devant Éléonore, s’inclina, et lui expliqua : « Monseigneur a ouï dire que madame se portait beaucoup mieux, au point de faire quelques pas dans le château, et il tient à s’entretenir avec vous dès que possible.
— Dès que possible, c’est à dire maintenant ? demanda-t-elle avec lassitude.
— Dès que possible madame, vous connaissez votre père. Il se trouve actuellement dans ses appartements, à se détendre avant la séance du conseil. »

Sur ces mots, le valet prit congé et Jodie referma la porte. « Bien, me prêterez-vous votre bras ? » demanda Éléonore à la servante. Elle pensait réussir à marcher toute seule, mais elle n’avait aucune idée de comment se rendre aux appartements de son soi-disant père. Et, comme Jodie devenait nerveuse dès qu’elle montrait des troubles de la mémoire, Éléonore préférait trouver d’autres excuses pour se faire guider.

Les appartements du seigneur des lieux étaient situés à l’autre bout du château. Le trajet parut terriblement long à la convalescente, malgré toutes les choses à voir et à assimiler en chemin. Elle s’efforçait de se constituer une carte mentale de l’endroit. « Comment a-t-il su que j’étais sortie de ma chambre ? se questionna tout haut Éléonore.
— Nous avons rencontré beaucoup de monde, expliqua Jodie. Vous savez bien que votre père a des yeux et des oreilles partout. » Cela paraissait logique, mais la blessée se disait qu’elle allait très vite être irritée de s’entendre répéter des « vous savez bien que ».

Elles furent introduites dans un salon plutôt ressemblant à celui d’Éléonore, en plus grand et décoré de manière beaucoup plus ostentatoire. Jodie fut priée d’attendre à l’extérieur par un valet de pied, pendant que la blessée prenait place sur un divan — avec soulagement étant donné la fatigue qu’elle ressentait — regardant partout autour d’elle pour patienter en attendant la venue du seigneur. Elle était un peu contrariée de n’avoir repéré de caméra nulle part. Bien sûr, il devait être facile de les dissimuler vu la quantité de meubles, de tentures et de boiseries un peu partout. Éléonore refusait de se dire qu’elle avait pu voyager dans le temps : c’était ridicule. Cependant, elle s’inquiétait de l’hypothèse du délire comateux.

L’homme considéré comme son père entra bientôt dans la pièce. Éléonore réalisa qu’elle ne savait pas comment elle devait réagir : se lever et s’incliner ? Rester assise ? Aller lui témoigner de l’affection ? « Ne vous levez pas, ma fille, lui dit-il sur un ton bienveillant et en venant prendre place à côté d’elle sur le divan. Vous avez meilleure mine et cela me réjouit. J’ai eu très peur de revivre le décès de votre mère. »

Il se leva et commença à faire des allers-retours devant Éléonore. « Je n’oublierai jamais ce moment douloureux. Et je n’ai toujours pas réussi à accéder à sa dernière volonté. » La blessée le trouvait un brin théâtral. « Je crois que jamais je ne trouverai une épouse aussi merveilleuse qu’elle, ainsi qu’elle me l’a expressément demandé. Et… puisque vous ne voulez pas prendre sa place, je pense que je finirai seul mes vieux jours.
— Pardon ?
— Ne vous affolez pas, je ne vous le redemanderai pas… Toute cette mascarade avec votre fugue et puis aussi ces semaines où vous vous êtes cachée au milieu des gens du peuple, non, je ne pourrai pas revivre une telle chose non plus. »

Une référence à un conte — Peau d’Âne en l’occurrence — voilà qui sentait le scénario à plein nez pour Éléonore. À tous les coups, elle n’était pas vraiment blessée et avait juste été droguée. Cela aurait été un peu extrême comme façon de procéder pour un jeu de rôles, même surprise, mais cela s’avèrerait aussi rassurant concernant ses souvenirs perdus : ils reviendraient d’un instant à l’autre. Un sourire de soulagement étira ses lèvres.

« Ne vous moquez pas de votre malheureux père, voyons. Enfin. Comment vous sentez-vous ?
— Je suis encore fatiguée, mais je me porte beaucoup mieux.
— C’est ce que je constate. Vous êtes encore un peu pâle malgré que vous soyez sortie du lit. Ne forcez pas trop. Cependant, j’aimerais vous voir de nouveau siéger à mes côtés lors du prochain conseil ou des prochaines doléances ou de n’importe quel autre évènement.
— Oh, oui, je serai ravie de participer.
— Participer, n’exagérons pas tout de même. Je serai très heureux de vous voir assister au conseil de tout à l’heure. Il ne devrait pas durer longtemps : nous n’avons que des affaires courantes à examiner.
— Et quand commence la séance du conseil ?
— D’ici quelques instants, dès que nous aurons rejoint la salle. »

Le seigneur se leva et présenta son bras à Éléonore pour l’aider à se redresser. Une fois debout, elle voulut retirer sa main, mais il la retint. « Je vais vous aider à vous déplacer jusque là-bas. » déclara-t-il. Un peu mal à l’aise, Éléonore espéra que ses velléités de mariage dont il lui avait parlé étaient bel et bien de l’histoire ancienne. En sortant du salon, il aperçut Jodie et lui lança : « Vous pouvez disposer, vous n’avez plus besoin de suivre ma fille partout dorénavant. » Éléonore s’en trouva soulagée ; elle avait vécu la présence de Jodie de plus en plus pesante. Quelle joie d’en être débarrassée ! Plus personne pour lui faire des remarques ni la surveiller pendant son sommeil.

Elle se sentait guillerette en arrivant dans la salle dévolue au conseil. Les conseillers présents se levèrent de la table ronde, autour de laquelle ils étaient assis, en les voyant entrer. Le seigneur leur fit un petit geste clément leur permettant de se rasseoir et installa Éléonore sur le siège à côté du sien. La blessée était contente de se retrouver là. Quel que soit le jeu où elle avait été parachutée, un conseil était un bon moyen d’apprendre des choses sur l’univers, la situation générale et sur ce que l’on attendait d’elle.

« Commençons ! ordonna le seigneur.
— Seigneur Arthur, initia le premier conseiller à sa gauche. Nous sommes tous ravis de voir que madame est sur pied. Et, puisqu’elle nous a été rendue en bonne santé, je débuterai ce conseil comme d’habitude : elle vieillit et il est temps de consolider votre position en la mariant, à…
— Il suffit Edmond ! l’interrompit Arthur. Cessons ces enfantillages, je n’écouterai plus votre petite plaisanterie récurrente à tous nos débuts de réunion. Le seul prétendant que je voyais pour ma fille était moi-même. Et si je ne peux pas l’avoir, personne ne l’aura, mettez-vous le bien en tête, sinon je vous la fais trancher. »

Le dénommé Edmond se tut et inclina la tête en signe qu’il avait bien compris. Éléonore se sentit gênée que son père parle de relation incestueuse comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle au monde. Elle avait du se mordre la lèvre pour ne pas rire lorsqu’elle avait appris que les seigneur de céans se nommait Arthur et présidait une table ronde. Les scénaristes, ou qui que ce soit qui avait prévu tout ça, s’étaient laissés aller sur les références lourdes. Elle se demanda brièvement si elle était censée s’appeler Éléonore, mais retourna bien vite son attention sur le conseil.

Après de longues minutes où était abordé le sujet d’épidémie parmi les poules de la région, puis presque une heure sur la mise en place de stratégies pour réduire le brigandage sur les routes avoisinantes, Éléonore se demanda si elle devait s’attendre à des informations intéressantes ici. Plusieurs autres sujets, de natures toutes aussi triviales, furent également abordés et la blessée devait mobiliser toute sa volonté pour ne par bâiller et s’endormir sur la table.

 

 

1337 mots pour aujourd’hui : j’ai pas fait le quota du jour, j’ai donc mangé sur la petite avance que j’avais accumulée les deux jours précédents. Bilan très mitigé pour un dimanche !