NaNoWriMo 2015 : Kit et Rielle Jour 5

Les deux plus jeunes s’assirent en tailleur à ses pieds et le contemplèrent, les yeux brillants d’expectative. Il les laissa mijoter un peu, son effet le faisant intérieurement jubiler, puis sortit un objet de derrière une racine. En regardant mieux, les enfants purent constater qu’il s’agissait d’une arme à feu ou, peut être, à énergie sculptée dans le bois. Bran était un habile sculpteur ; il offrait régulièrement de petites figurines sculptées par ses soins à ses apprentis. « Déjà un cadeau ? s’étonna Kit. Mais nous avons à peine terminé l’échauffement…
– Ce n’est pas un cadeau, le reprit l’adolescent en lui assénant un petit coup de son arme en bois sur la tête. C’est quelque chose que vous devrez mériter ! Aujourd’hui, nous allons commencer à apprendre comment désarmer quelqu’un qui a une arme de portée alors que vous, non. »

Comme à chaque fois, les balbutiements des deux débutants furent désastreux. Mais ils étaient déterminés et au fil des mois – ou des années pour certaines choses particulièrement complexes – ils parvinrent à exécuter tout ce que Bran leur demandait. Ce dernier avait également étudié les étranges capacités de Rielle. Plusieurs questions s’étaient posées à lui. Tout d’abord, si la fillette pouvait prendre une forme animale, pouvait elle en prendre d’autres ? Après de nombreux essais, il s’avéra que ce n’était pas le cas. En revanche elle pouvait moduler sa taille d’hippocampe à pattes. Elle pouvait devenir aussi petite qu’un rat ou aussi grande qu’elle même sous sa forme de petite fille. Elle était aussi capable de faire fluctuer ses degrés de transformation. Devenir une fillette avec une queue à nageoire ou un hippocampe qui parle par exemple.

Durant ces années – où Ed Hammerson et ses compagnons ne daignèrent même pas se montrer, au grand dam des deux enfants à qui ils manquaient beaucoup – certains contrebandiers un peu moins scrupuleux commencèrent à créer une certaine insécurité au sein de Bourgétoile. Mais ils apprirent rapidement à éviter le garçon à l’animal bleu et or. La bête, minuscule au premier abord, gonflait comme un poisson globe et était dotée de dents pointues. Quant au garçon, il ne fallait pas se fier à sa taille. Les deux inséparables purent ainsi continuer de profiter de leur enfance en toute insouciance. De manière un peu trop insouciante, même, considérait Rielle. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter à chaque fois que Kit en venait à provoquer des gens sans même s’en rendre compte. D’ailleurs, en constatant que la jolie créature était tout à fait apte à défendre son fils rassurait beaucoup Madame Granger, qui continuait à les laisser vaquer à leurs occupations à leur guise. Le fait que son rejeton soit capable de gérer lui même les problèmes n’entrait pas en ligne de compte. Bien sûr, il rentrait parfois avec un oeil au beurre noir ou des égratignures. Mais jamais plus. Kit lui même en était parfois surpris. Il y eût cette incartade où il était persuadé de ne pas avoir réussi à éviter un rayon tiré d’un pistolet à énergie d’un dadais particulièrement vindicatif. Mais il se vanta à sa mère d’être encore plus doué que ce qu’il pensait, puisqu’il n’avait qu’une légère brûlure là où le rayon l’avait frôlé. Pendant qu’il se pavanait, alors que Madame Granger essayait de soigner la plaie, le regard de cette dernière était tombé sur Rielle. La petite créature se léchait discrètement la patte au même endroit, estima la mère, que là où le rayon avait frôlé Kit. Le lendemain, Rielle ne portait plus de trace de blessure, tandis que le garçon arborait fièrement son bandage. Cette remarque sortit donc de la tête de Madame Granger.

Les années passant, le temps où Kit allait pouvoir postuler à l’Ecole Planétaire de Pilotage approchait. Il allait avoir ses seize ans dans quelques mois. Durant toutes ces années, Edward ne fit qu’une seule apparition pour voir comment se portaient les deux enfants. Il en avait profité pour expliquer aux contrebandiers un peu trop sûrs d’eux, que ce n’était pas une très bonne idée de provoquer le désordre dans un endroit où l’on souhaitait se cacher. Ses compagnons et lui s’étaient montrés tellement persuasifs que Bourgétoile entra de nouveau dans une période de calme après leur départ. Encore une fois, Kit et Rielle avaient déploré le peu de temps qu’il leur avait consacré. Comme excuse, il avait mis en avant ses activités très prenantes pour le moment et le fait qu’il ne serait pas très prudent qu’il s’attarde où que ce soit. Lorsque sa fille et son ami s’étaient enquis de ce qui le menaçait, Ed avait éludé. « Je ne savais pas que tu étais capable de parler, lorsque tu avais cette forme, s’étonna-t il néanmoins auprès de la petite créature bleue et dorée certainement pour changer de sujet.
– Nous nous sommes entraînés dur, expliqua fièrement Kit. Nous savons faire plein de choses tous les deux maintenant !
– Je n’en doutais pas, pouffa Hammerson d’un ton qui démentait quelque peu ses paroles. Mais je croyais que tu devais garder tes secrets, Rielle. » Ajouta-t il tout bas. La précaution était inutile, personne ne prêtait attention à leur conversation dans la salle.

« Je lui ai tout dit dès le premier jour, le provoqua l’hippocampe.
– Ah ben c’est malin… Lâcha Edward. Heureusement que je t’ai laissée sur une planète isolée si tu balances ta sécurité à tout va.
– J’aurais été plus en sécurité avec toi, pointa Rielle.
– Haha ! S’esclaffa le géant blond. Tu ne crois pas si mal dire ! Les choses ont été un peu… chaotiques pourrait on dire.
– Tu as toujours des problèmes avec maman ? S’enquit sa fille.
– Entre autre, confirma vaguement Ed.
– Pourquoi est ce que nous ne pouvons pas venir avec toi ? Répéta-t elle une ènième fois d’un ton irrité.
– Je te l’ai déjà dit, ma sirène, ce serait beaucoup trop dangereux.
– Nous sommes vraiment devenus des champions, plaida Kit tandis que Rielle approuvait d’un vigoureux hochement de tête.
– Ce qui ne suffit absolument pas pour monter sur mon vaisseau, balaya Hammerson d’une façon définitive.
– Pfff. »

L’hippocampe à pattes, sous ses airs dédaigneux, était désemparée. Elle aimait beaucoup Kit. Et sa mère aussi. Cette dernière avait appris un an auparavant qu’elle pouvait prendre forme humaine et elle n’avait pas eu l’air surpris ou effrayé. Elle avait accepté ce fait comme si c’était la chose la plus classique du monde. De temps en temps, elle lui jetait des regards pensifs, mais cela s’arrêtait là. Elle avait également tissé des liens profonds avec Bran qu’elle adulait plus que quiconque. Et cette situation convenait parfaitement à Rielle. Mais les voyages interstellaires et les lieux plus avancés technologiquement parlant lui manquaient. Les lieux avec plus d’eau aussi. Au final, la planète de Kit était assez aride par rapport à ce dont elle avait l’habitude. Et son côté animal aquatique se languissait de grandes étendues d’eau pour nager pendant des heures. Plus enfoui en elle, résidait l’envie de créer des liens avec ce père qu’elle n’avait que peu eu l’occasion de côtoyer. A son grand déplaisir, celui ci se montrait particulièrement fuyant.

Ed Hammerson était parti peu de temps après cette conversation. Il avait eu l’air de considérer que sa fille se portait suffisamment bien à son goût et que Kit grandissait de manière tout ce qu’il y avait de plus satisfaisante. Cela avait paru lui convenir. Madame Granger, elle, était surtout soulagée de voir que les choses allaient redevenir plus calmes, grâce à l’intervention de l’imposant Edward auprès de toutes les fripouilles qui zonaient dans le coin. D’ailleurs, une partie d’entre elles avaient décidé de carrément quitter la planète. L’atmosphère s’était faite beaucoup trop oppressante à son goût ; elle la ressentait d’autant plus qu’elle était en contact direct autant avec les gens du crû comme de ceux qui venaient d’ailleurs. Elle se permit donc de souffler, mais contempla, le coeur serré, les deux jeunes aller s’isoler ensemble après le départ du géant blond. Elle n’aimait pas les voir tristes. Enfin, c’était assez difficile de déterminer les émotions de Rielle avec sa tête d’hippocampe inexpressive. Mais toutes les émotions de Kit se marquaient sur sa figure et elle savait que les deux enfants étaient devenus particulièrement fusionnels.

Le garçon laissa ses pas le guider tandis qu’il ruminait, en compagnie de la petite créature bleue et dorée qui broyait, elle aussi, du noir sur son épaule. L’inconscient de Kit les mena tout droit au ranch où travaillait toujours Bran. Au lieu de le harceler comme à leur habitude, les deux apprentis se perchèrent sur une barrière pour contempler leur professeur grand frère à l’oeuvre. Il débourrait un cheval. Ils se tinrent sage pendant toute l’opération, les mines mornes et le moral en berne. Lorsqu’il remarqua leur présence, il s’inquiéta. S’approchant avec son jeune cheval, il leur lança : « Et bien alors, vous êtes malades tous les deux ?
– Non, grommela Kit.
– Hmpf, renchérit Rielle.
– Vous vous êtes encore battus ?
– Même pas, déplora presque le garçon. On vient de voir Ed partir. »

Bran savait qui était Edward Hammerson, il savait également que Kit l’admirait beaucoup et qu’il était le père de Rielle, même si il ne ressemblait pas beaucoup à cette dernière physiquement. « Vous devriez être contents de l’avoir vu, reprit il. Alors pourquoi vous faites ces têtes ?
– Il n’a pas voulu rester, expliqua le garçon.
– Il n’a pas voulu nous emmener, se plaignit la fille en même temps.
– Mmmh, je vois… » Commenta platement Bran, embêté de les voir aussi déprimés. « Bien, voici ce que je vous propose, continua-t il d’un ton enjoué. Pendant que je termine mes corvées, vous allez prévenir votre mère que vous aller passer la nuit avec moi. Ensuite, vous revenez avec des couvertures et un pique nique. Ca vous va ? »

Les deux plus jeunes le fixèrent avec des yeux ronds, le temps que l’idée intéressante se fraye un chemin dans leurs esprits envahis par les idées noires. Une fois qu’ils eurent réalisé que Bran leur proposait de passer toute une nuit comme des adultes, ils s’entre regardèrent et un sourire se dessina sur leurs mines dépitées. « Wouhou ! S’écria Kit. Allez vient Rielle ! Dépêchons nous ! On revient vite Bran ! » La petite créature bondit prestement de nouveau sur l’épaule du garçon, qui se mit à courir à toute allure en direction de Bourgétoile. Il avait beaucoup d’endurance pour réussir un tour de force pareil, mais il n’en arriva pas moins complètement essoufflé au petit hôtel que tenait sa mère. « Maman ! Hurla-t il tellement fort que tout le pâté de maisons avait pu l’entendre. Rielle et moi, on va passer la nuit chez Bran.
– Mmmh, et il est sûr de ça, Bran ? S’enquit Madame Granger assez perplexe vu leur état d’excitation.
– Oh oui, c’est lui qui nous a proposé, se réjouit Kit.

1823 mots

NaNoWriMo 2015 : Kit et Rielle Jour 4

Les jours continuèrent de s’écouler puis les semaines, puis les mois. Kit et Rielle se languissaient de revoir Ed. Ils avaient mis à profit le temps passé ensemble à mieux se connaître. Ils se disputaient parfois mais, aucun des deux n’étant de nature rancunière, leur insouciance enfantine reprenait vite le dessus et ils redevenaient rapidement les meilleurs amis du monde. Durant tout ce temps, le garçon en avait profité pour faire visiter sa ville et ses alentours à son animal exotique. Ainsi que la fillette l’avait pressenti, dès que l’on quittait l’enceinte de Bourgétoile, tout signe de civilisation disparaissait assez rapidement. « Tu ne te sens pas un peu vulnérable au milieu de nulle part, comme ça ? avait demandé Rielle la première fois qu’il l’avait emmenée en balade dans la campagne.
– Ca veut dire quoi « vulnérable » ?
– Ca veut dire quelque chose comme sans défense.
– Bah, non, avait répondu le garçon. Je ne suis pas sans défense, moi. Je suis un homme et je sais me battre.
– Oui, mais si il nous arrive quelque chose, comment tu comptes prévenir quelqu’un ?
– Il ne nous arrivera rien ! »

Il avait ri, comme si cette idée lui paraissait complètement saugrenue. Petit à petit, sa compagne avait fini par s’habituer à cet environnement provincial, si nouveau pour elle. Leurs promenades en dehors de Bourgétoile les menaient la plupart du temps au ranch le plus proche. L’un des adolescents qui y était employé s’était pris d’affection pour Kit depuis belle lurette. Et il avait accepté de même Rielle. Ce grand gaillard se prénommait Bran, arborait une masse chaotique de cheveux noirs et souriait très peu. Malgré son jeune âge – même si il paraissait déjà adulte aux yeux du garçon puisqu’il avait au moins deux fois son âge – Bran avait déjà beaucoup voyagé et il disait qu’il avait appris les arts martiaux auprès d’un vieil ermite qui vivait dans un marais insalubre. Comme Kit voulait devenir fort dans tous les domaines, l’adolescent avait accepté de lui apprendre ce qu’il savait en terme de combat. « Hé Bran ! S’écria le garçon en voyant son aîné au loin qui s’occupait de chevaux. Tu nous apprends encore les arts maritaux ?
– Les arts martiaux, corrigea Bran en levant les yeux au ciel. Ca ne veut rien dire, ça, les arts maritaux !
– D’accord ! Acquiesça Kit en sautillant joyeusement à la rencontre du plus grand. Ca veut dire que tu veux bien ?
– Oui oui, mais il faut que je finisse de travailler d’abord. »

Le garçon s’installa sur une barrière pour regarder oeuvrer son aîné. Rielle, quant à elle, quitta l’épaule de Kit sur laquelle elle se perchait habituellement pour aller se poster sur celle de Bran. L’enfant n’étant pas très patient, il demandait régulièrement à l’adolescent si il avait bientôt fini. Pour le faire taire, celui ci lui envoya une pomme en espérant que cela le distrairait suffisamment longtemps pour qu’il soit tranquille. Bien évidemment, le fruit fut englouti en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Mais le garçon prit sur lui de rester silencieux un peu plus longtemps. Il avait cru comprendre que les plus grands pratiquants des arts « maritaux » – comme il les appelait – étaient de grands sages. Or, les sages se tiennent sages, cela lui paraissait évident. C’était plus facile à dire qu’à faire et il recommença bientôt à s’agiter. « Attrape ! » Lui cria Bran en lui jetant trois pommes cette fois. Ravi de ce défi surprise, Kit mit tout son coeur à les attraper. Il tomba même de la barrière pour cueillir la dernière in extremis. « Bien joué, le félicita l’adolescent. Maintenant, entraîne toi encore à jongler avec. » L’enfant n’était pas doué pour jongler. Mais il faisait toujours de son mieux et il entreprit de faire voler les pommes de son mieux. Cette tactique laissa à Bran le temps de terminer ses tâches et de prévenir les ranchers qu’il s’absentait un petit moment.

Il emmena les deux plus jeunes un peu à l’écart, dans un endroit suffisamment discret pour que Rielle puisse reprendre sa forme de petite fille. Kit avait tellement confiance en Bran qu’il lui avait dévoilé le secret de la fillette. L’adolescent avait juré de garder le secret. Depuis qu’elle était là, il ne se trouvait plus avec un seul mais avec deux petits disciples, qui l’adulaient autant l’un que l’autre et se disputaient régulièrement son affection. De plus, maintenant qu’il avait une rivale, Kit était d’autant plus motivé pour tous les exercices fatigants que Bran pouvait lui imposer. Lors de leurs sessions, ils eurent l’occasion de remarquer que Rielle avait une puissance musculaire et une vivacité largement supérieure à celle d’une petite fille normale. « Surhumaine » l’avait qualifiée Bran, tout en précisant que c’était certainement logique, puisque les vrais humains ne se transforment pas en animaux.

« Surtout en hippocrampe, s’était senti obligé d’ajouter Kit.
– Il n’a pas dit hippocrampe, mais hippoCAMPE, avait ronchonné Rielle.
– Du calme, du calme. » Etait tout de suite intervenu l’aîné, pressentant une nouvelle bagarre. Quoiqu’il en soit, avait il continué, il était tout à fait possible qu’elle soit d’une race surhumaine.

Elle rattrapa d’ailleurs très vite le retard qu’elle avait sur Kit et, lorsque ce dernier constata qu’elle était en passe de le dépasser, il donna un gros coup de collier. Dès lors, les deux progressaient à une vitesse ahurissante et, lorsqu’il se retrouvait tout seul, Bran avait même repris son entraînement personnel, de peur que les deux petits ne le rattrapent trop vite. Il tenait beaucoup à son rôle de professeur et il ne voulait pas être obligé de le quitter trop vite. Sans compter que ses deux apprentis seraient très certainement déçus de constater que leur maître n’était pas si bon que cela, tout compte fait.

En attendant, il avait fort à faire avec les caractères de Kit et Rielle. Comme ils avaient une forte propension à se chamailler lorsqu’un défi était en jeu, ils se dissipaient beaucoup. La majeure partie du travail de Bran consistait à les canaliser. Il se demandait souvent si il était aussi pénible lorsqu’il avait leur âge et qu’il s’était retrouvé sur cette planète misérable, obligé de loger chez un ermite excentrique au milieu d’un marais. Il se sentait beaucoup mieux sur cette planète ci, où l’air n’était pas vicié, où les plaines s’étendaient à perte de vue et où l’on pouvait voir le ciel où que l’on se trouve. « Hé, Bran, regarde, j’ai fini l’échauffement avant Kit ! Fit remarquer Rielle d’une voix enjôleuse, sortant l’interpellé de ses pensées.
– Même pas vrai ! Se défendit le garçon. J’ai juste pris mon temps.
– Allons, allons, vous n’allez pas recommencer, les gourmanda Bran d’un ton désabusé. Sinon je ne vous montrerai pas la surprise que j’ai pour vous.
– Une surprise ?! » S’exclamèrent les deux en choeur, des étoiles soudain plein les yeux.

L’adolescent ne répondit pas et se contenta d’arborer un fin sourire.

1161 mots, petite journée.

NaNoWriMo 2015 : Kit et Rielle Jour 3

La petite créature colorée le gratifia d’un regard perplexe. Elle cligna plusieurs fois des yeux, toujours silencieuse. « Tu n’en as pas l’air très convaincue. » Commenta l’enfant un peu déçu. L’hippocampe secoua négativement la tête. « Tu me comprends, alors ? » murmura le garçon incrédule. Rielle hocha de nouveau négativement la tête, le plus innocemment du monde. « Je ne suis pas bête, tu sais. » La morigéna-t il. La bestiole fit mine de pouffer, avant de lui tirer la langue. « Je rêve ! s’exclama Kit. Mais tu te moques de moi ! » Il tenta d’attraper créature, qui l’esquiva lestement. « Tu ne perds rien pour attendre. » La menaça-t il. L’hippocampe émit un son entre le grondement et le roucoulement et se jeta sur lui. Ils roulèrent tous les deux à bas du lit, sur le sol, et Kit se mit à rire. « Tu me chatouilles ! Arrête ! » Mais Rielle n’arrêta pas et ils continuèrent de se chamailler en riant pendant de longues minutes jusqu’au moment où, haletants, ils se sentirent trop fatigués pour persister.

Ils s’enroulèrent en boule l’un autour de l’autre et sombrèrent pour une petite sieste à même le sol. Lorsque le garçon se réveilla, il se trouva tout ankylosé. Et la lumière qui baignait la pièce s’était faite orangée, annonçant l’arrivée du soir. Il s’étira longuement, gênant sa petite compagne dans l’opération. Elle émit un son sur un ton accusateur, puis s’étira à son tour, bâillant à s’en décrocher la mâchoire, permettant ainsi à Kit de remarquer de petits crocs pointus. « Tu es une petite guerrière, lui dit il. Je pense que Ed avait raison : tu me soutiendras jusqu’à ce que je devienne assez grand pour être le plus fort. » Elle le fixa silencieusement de ses yeux liquides. « Tu sais faire des tours ? » Rielle émit un reniflement dédaigneux et recula de quelques pas. Alors que le garçon, pensant l’avoir froissée, allait s’excuser, il s’étrangla en la voyant grossir et changer de forme. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il se retrouva face à une petite fille qui semblait avoir à peu près son âge. Elle avait les cheveux aussi dorés que les nageoires de sa forme d’hippocampe et elle avait gardé un teint légèrement bleuté. De même, ses yeux étaient toujours entièrement noirs de jais. A ces détails près, elle ressemblait en tout point à une petite fille normale.

« Oui, je sais faire des tours, lâcha-t elle en arborant un petit air supérieur.
– Je… Euh… Balbutia Kit avant de s’avouer vaincu et de rester bouche bée.
– Et bien quoi ? Tu as perdu ta langue ?
– Bien sûr que non, se défendit le garçon. J’ai été un peu surpris, c’est tout.
– C’est certain que tu ne dois pas voir ça souvent, dans ta campagne.
– Pourquoi tu te montres méchante tout d’un coup ? Je croyais qu’on s’entendait bien tout à l’heure, nous deux.
– Je ne suis pas méchante, corrigea Rielle. Je ne suis pas contente que papa m’ait abandonnée ici, c’est tout.
– Papa ? Répéta Kit en ouvrant des yeux aussi grands que des soucoupes.
– Oui, confirma la fillette comme si son compagnon était le dernier des imbéciles de ne pas comprendre. Edward Hammerson, le grand type qui m’a laissée là, tu vois de qui je parle ? Et bien c’est lui mon père.
– Wow. Il ne m’a jamais dit qu’il avait une fille !
– Ca ne m’étonne pas. Lui même ne l’a pas appris il y a très longtemps.
– Et pourquoi est ce qu’il t’a amenée ici ? s’enquit curieusement Kit à qui il semblait qu’il avait des milliards de questions à poser.
– Pour ne pas que ma mère me trouve, je suppose.
– Pourquoi ? S’étonna le garçon. Elle est méchante ?
– Je n’ai pas envie d’en parler, éluda Rielle. De toutes façons, maintenant je suis ici et je ne pense pas qu’elle pourra me retrouver.
– Je ne pense pas, confirma Kit. Et, si jamais elle venait ici, je te cacherai.
– Ah bon ? S’étonna à son tour la petite fille aux yeux entièrement noirs. Pourquoi ?
– Parce que ton père m’a confié la mission de veiller sur toi. »

Il ponctua sa phrase d’un sourire désarmant. En une expression, il parvint à museler la colère de Rielle. « D’accord, acquiesça-t elle d’un ton radouci. Dans ce cas là, je veillerai sur toi aussi. Il n’y a pas de raison. » La fillette s’approcha alors de lui et l’embrassa sur le front. Kit ressentit un frisson glacial dans tout son corps. « Voilà, conclut elle.
– Qu’est ce que tu as fait ? demanda le garçon qui tremblait presque de froid.
– Tu sauras peut être un jour, le taquina Rielle.
– C’était… bizarre je dirais, tenta-t il d’expliquer.
– Je ne sais pas. Ca ne m’est jamais arrivé.
– Je me demande si il faut que j’en parle à maman…
– Du baiser ? s’enquit la fillette.
– Bien sûr que non. Je parlais de lui dire que tu es la fille de Ed.
– Ca, je ne sais pas non plus, avoua Rielle. Je suis un peu perdue.
– Ce n’est pas grave, on décidera de ça plus tard, décida Kit. Je commence à avoir faim ! » Il jeta un coup d’oeil à sa fenêtre pour constater que le soleil était presque entièrement couché. « Je pense qu’il va être temps de manger, déclara-t il à l’intention de Rielle. Vient. » Elle se métamorphosa de nouveau en hippocampe bleu à pattes et le suivit docilement jusqu’à la salle commune, qui servait aussi de restaurant à l’hôtel.

Une fois installé à sa table habituelle – car il insistait pour manger avec tous les autres clients et non isolé à la cuisine – il disposa lui même le couvert pour deux personnes. « Tu as invité un ami à manger avec toi ? s’enquit sa mère.
– Oui, déclara pompeusement Kit. C’est Rielle. Et maintenant elle mangera tout le temps avec moi à ma table.
– Vraiment ? Et quand avons nous convenu de cela ?
– J’en ai convenu avec Rielle tout à l’heure, expliqua-t il.
– Avec Rielle ? » Madame Granger jeta un coup d’oeil à la petite créature sagement installée en face de son fils. L’hippocampe aux nageoires dorées lui rendit son regard, de ses grands yeux liquides empreints d’innocence. Elle considéra de nouveau son fils pensivement. Peut être se sentait il seul. Il se pouvait que ce soit du au fait qu’il était terriblement déçu que Ed Hammerson soit parti si vite. Et, comme l’homme lui avait laissé cette petite créature, il devait lui transférer son affection. Soit. Elle pouvait bien lui permettre une si petite chose. Et puis, après tout, le géant blond avait bien dit que cette petite bête se nourrissait comme les humains. Elle ne fit aucun commentaire supplémentaire. Néanmoins, de temps à autre pendant qu’elle vaquait à ses occupations hôtelières, elle jetait des coups d’oeil curieux en direction de son fils, qui paraissait en grande conversation avec sa petite Rielle. A plusieurs reprises, elle eût même l’impression que la bestiole répondait. Ce n’était certainement pas le cas – les animaux ne parlent pas voyons – mais il était vrai qu’elle regardait Kit comme si elle le comprenait et cela devait être important pour le garçon. Quoiqu’il en soit, son fils paraissait heureux et c’était bien tout ce qui comptait, au final.

Les jours suivants, Madame Granger put constater que la relation entre Kit et Rielle devenait complètement fusionnelle. Ils mangeaient ensemble, dormaient ensemble, jouaient ensemble, le garçon emmenait la petite créature partout où il allait et elle participait à tout ce dont il participait lui même. Ils avaient l’air tout à fait satisfaits de leur rencontre et ne se quittaient plus d’une semelle. La mère de Kit en vint même à se dire que, si elle avait su, elle aurait pris un petit chien ou un petit chat à son fils. Elle ne se doutait pas le moins du monde que l’hippocampe bleue était en réalité une petite fille. Le garçon se sentait vraiment content d’avoir Rielle avec lui. Ed avait eu raison quand il avait dit qu’ils deviendraient amis. Il n’aurait jamais pensé qu’il pourrait être aussi copain avec une fille. Ses amis et lui en avaient convenu plusieurs fois : les filles ce n’était pas intéressant. Après, celle là n’était pas n’importe quelle fille. Elle savait se métamorphoser ! Et ça, c’était terriblement intéressant. Il avait voulu en parler à ses copains, mais il s’était retenu car il avait compris qu’il était plus sage pour veiller sur sa petite compagne que personne ne sache sa véritable nature. Après tout, contrairement à ce que disait Rielle, Kit considérait que Bourgétoile n’était pas si perdu que ça et la mère de l’hippocampe pouvait très bien entendre parler d’elle. Il se contenta de devenir le garçon qui possédait un animal exotique. La fillette ne prenait une forme humanoïde que lorsqu’ils se retrouvaient seuls.

Malheureusement, certains enfants du quartier de Kit se firent jaloux de constater que ce dernier avait la chance de posséder un animal aussi étonnant que rare. Il importait peu au garçon que certaines personnes ne l’aiment pas. Cela inquiétait plus Rielle. Mais son compagnon lui avait assuré, avec un ton docte emprunté au Docteur Sam, que dans la vie on ne pouvait pas être aimé de tout le monde. En quoi il n’avait pas tort. Et la fillette fut impressionnée par la sagesse de Kit. Qui n’avait que huit ans. Cela faisait un an de plus qu’elle même, mais ce n’était toujours pas beaucoup. En parlant du Docteur Sam, il se montra surpris lorsque le petit garçon lui présenta Rielle. « Tiens donc, s’était exclamé l’homme de médecine. Je n’ai jamais vu un animal pareil !
– Elle est exothermique, lui avait expliqué fièrement Kit.
– Exotique, plutôt, avait corrigé le médecin. Et c’est exact ! Elle ressemble à un animal marin qu’on appelle un hippocampe.
– Elle sait nager alors ?
– Je suppose. En tous cas, elle a des nageoires, ce qui tend à indiquer que c’est une créature aquatique. Mais elle a aussi des pattes et elle ne semble pas perturbée de vivre sur la terre ferme. C’est stupéfiant ! »

1709 mots

NaNoWriMo 2015 : Kit et Rielle Jour 2

Kit poussa un cri de joie en voyant sa mère accepter qu’il recueille l’étrange créature bleue. « Elle n’est pas dangereuse, au moins ? voulut elle se rassurer.
– Pas le moins du monde ! » Lui promit Ed, qui paraissait presque aussi aux anges que le jeune garçon. Les deux adultes se gratifièrent d’un signe de tête entendu et Madame Granger retourna à ses affaires.

L’hippocampe à pattes, quant à elle, ne paraissait pas ravie de la tournure des évènements. Lorsque le géant voulut s’emparer d’elle de sa main libre afin de la mettre dans les bras du garçon, elle couina désespérément et s’accrocha le plus fort qu’elle put. Kit eut même l’impression d’entendre un « Non ! » au milieu de ses cris plaintifs. Mais elle ne pouvait rivaliser avec la force de Hammerson. Celui ci émit un glapissement surpris lorsque la dernière prise que trouva Rielle se trouvèrent être ses poils d’avant bras. « Lâche moi. » Lui enjoignit Ed d’un ton doux mais sans condition. Sur un dernier gémissement plaintif, la petite créature accepta de lâcher la pilosité fournie du géant. Il la déposa délicatement dans les bras d’un Kit émerveillé. Rielle se blottit machinalement contre le garçon et jeta un regard désespéré à Hammerson. Ce dernier arborait un air satisfait et un demi sourire se dessinait derrière sa barbe de trois jours.

« Ne t’inquiète pas Ri, rassura-t il la petite créature en lui caressant tendrement le dessus du crâne d’un doigt. Je te laisse entre de bonnes mains. Tu as entendu, il va devenir l’homme le plus fort de la galaxie ; il ne peut rien t’arriver ! » L’hippocampe à pattes émit un reniflement peu convaincu. « Je sais, je sais, convint Hammerson. Pour le moment il est encore tout petit. Mais je me suis laissé dire qu’il s’entraînait dur ! » Il y eut un soupir désabusé de la part de l’animal. « Allons allons, soit sage, la gourmanda Edward. Et puis, tu seras là pour l’épauler le temps qu’il devienne le plus fort. »

La petite créature bleue tourna le cou pour fixer Kit dans les yeux. Le garçon lui rendit gravement son regard, ne sachant pas si le géant blond faisait semblant de dialoguer avec Rielle ou si elle comprenait véritablement ce qu’il lui disait. Il trouvait les yeux noirs liquides de l’hippocampe bleue très particuliers. Cela lui semblait difficile de les lire. Il repensa au Docteur Sam, qui lui avait dit un jour que ce n’était pas les yeux qu’on lisait, mais les infimes mouvements de l’expression du visage selon le contexte, que l’on analysait inconsciemment. En considérant l’étrange créature, il réalisa que sa figure était assez statique. Comme elle ne montrait pas d’expression particulière, il ne pouvait pas essayer de déterminer ce à quoi elle songeait en le fixant ainsi. Elle pencha alors la tête sur le côté et il eut l’impression qu’elle lui souriait. Il écarquilla les yeux, surpris, et se rendit compte que la créature avait enroulé sa queue, ornée d’une magnifique nageoire caudale dorée, autour de son bras.

Ce qui était certain, en revanche, c’était que Ed souriait bel et bien d’un air aussi attendri que rusé. Derrière lui, ses compagnons continuaient de boire, discuter et rire entre eux, en faisant mine de ne pas suivre les évènements qui se déroulaient à côté d’eux. En réalité, ils n’en perdaient pas une miette. Mais, par considération pour Hammerson, ils lui laissaient un semblant de vie privée. Kit les connaissait tous par leur nom et il avait passé des moments privilégié avec chacun d’eux, depuis le temps qu’ils accostaient régulièrement sur la planète du garçon et logeaient invariablement à l’hôtel de Bourgétoile.

Les joyeux drilles de Hammerson avaient rapidement remarqué le petit Kit qui, peu farouche, était venu leur poser des questions sur l’endroit d’où ils venaient et sur la raison de certaines de leurs particularités physiques. Comme leurs cicatrices par exemple. Au début, les hommes du géant n’avaient rien répondu. Mais ce dernier, amusé par l’audace innocente du petit garçon, avait autorisé d’un rire les confidences. Sur le regard inquisiteur de la maman, ils avaient tout de même passé sous silence certaines choses pas très légales qui avaient mené à leurs cicatrices et qui les avaient poussés à parcourir l’espace intersidéral. Cela faisait à présent deux ans que, depuis leur rencontre avec Kit à l’auberge de Bourgétoile, ils revenaient régulièrement lui rendre visite. Les contrôles étant rares sur cette planète tranquille, ils s’étaient vite sentis comme chez eux. Quant à Kit, n’ayant pas de père – selon la formule consacrée concernant les enfants dont personne ne savait qui était le géniteur – il avait été enchanté de trouver autant de grands frères et d’oncles à sa disposition. D’ailleurs, Ed était devenu ce qui se rapprochait le plus d’un père pour lui. La considération familiale était réciproque et, tant que tous ces bandits se tenaient à carreau sous son toit, Madame Granger les considérait avec bienveillance.

« Nous n’allons pas pouvoir rester très longtemps cette fois ci, déplora Ed Hammerson à l’intention de son fils de coeur.
– Oooh ! » S’exclama l’enfant de déception. La petite créature fit écho à sa consternation avec un couinement plaintif. « Tu vois, Rielle est d’accord avec moi, vous devriez rester plus longtemps.
– Haha ! J’aimerais beaucoup passer plus de temps avec vous, les enfants, leur assura le géant blond. Mais le… devoir nous appelle.
– C’est nul, observa Kit d’un ton boudeur. Vous venez à peine d’arriver ! Vous pourriez rester un ou deux jours, quand même.
– Dis donc, je t’ai amené une nouvelle amie et tu trouves encore le moyen de te plaindre ? Ironisa Ed en couvant son jeune interlocuteur d’un regard moqueur.
– Je prends exemple sur toi, rétorqua le garçon avec un sourire insolent.
– Hahaha ! » Hammerson s’esclaffa bruyamment et tous les gens qui se trouvaient dans la salle tournèrent brièvement le regard vers lui, intrigués, avant de retourner à leurs affaires. « C’est quelque chose qui risque de t’apporter beaucoup d’ennuis, sais tu ? ajouta-t il ensuite avec une lueur malicieuse dans le regard.
– Ce n’est pas grave, balaya Kit. Je ferai avec ! »

Les hommes d’Ed se mirent à rire à leur tour. « Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes ! » Pouffa l’un d’eux qui répondait au nom de Sun Lee. L’enfant haussa les épaules, ne sachant quoi répondre. Il n’avait plus très envie de dire quoique ce soit, maintenant qu’il savait que Hammerson ne se laisserait pas convaincre. En fait, le géant blond ne s’était jamais laissé convaincre de rester. A chaque fois qu’il avait ordonné le départ, rien ne réussissait à le retenir. Kit avait tout essayé, les larmes, l’argumentation, la provocation… Mais aucune de ses tactiques, élaborées avec soin, n’avaient jamais porté ses fruits. Il avait même demandé à sa mère des conseils. Malheureusement, elle ne s’était révélée d’aucun secour. Elle s’était contentée d’essayer de le raisonner sur le fait que Ed avait des choses importantes à faire et qu’il reviendrait un jour prochain. En attendant, il était particulièrement déçu. Il aurait voulu aborder le sujet de l’entraînement avec le géant blond et comparer ce qu’il avait à dire aux propos du Docteur Sam.

Il perçut un mouvement sur son bras. Rielle avait entrepris de l’escalader. Elle se retrouva sur son épaule en un rien de temps, enroula délicatement sa queue autour du cou du garçon pour affermir sa prise, et se mit à pousser une série de sons sur un ton clairement accusateur. Kit resta perplexe en se demandant si il s’agissait d’un véritable langage. Dans tous les cas, cela y ressemblait fort et, avant que Ed ne prenne la peine de répondre à la tirade de la petite créature furieuse, le garçon s’empara d’elle pour la tenir à bout de bras, face à lui même. « Qu’est ce que tu racontes ? lança-t il à l’hippocampe bleu et doré tout en le secouant doucement. Tu ne pourrais pas plutôt parler une langue que tout le monde comprend ? » Rielle ne daigna pas lui répondre et se contenta de le gratifier d’un plissement de ses yeux noirs de jais. « Elle a l’air en colère. » Commenta un Kit toujours intrigué par la créature. Il pensait que Ed lui avait remis un simple animal de compagnie. Un animal précieux, certes, puisqu’il avait dit quelque chose qui ressemblait au fait qu’il y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

« Cela lui arrive, acquiesça Hammerson d’un ton étonnamment doux de la part d’un morceau tel que lui.
– Tu vois, continua le garçon. Tu ferais mieux de rester, même juste une nuit de plus. » Le géant blond caressa la joue du petit de son poing en souriant. Kit soupira. Il sentait bien que son ultime tentative n’avait pas fonctionné non plus. D’ailleurs, les compagnons de Edward commençaient déjà à se lever et l’un d’entre eux fouillait ses poches à la recherche de quoi payer toutes les consommations. « Cette fois ci, vous partez vraiment très très vite, constata tout haut le garçon.
– Bien sûr, j’étais juste venu pour te confier mon trésor, lui murmura Hammerson sur le ton de la confidence. A la revoyure ! » Lança-t il ensuite d’une voix de stentor, pour tous les clients présents.

Sur un pas nonchalant mais efficace, la troupe quitta bientôt le petit hôtel, sous le regard consterné de Kit et de son hippocampe à pattes qu’il serrait à présent contre lui. Une fois qu’ils eurent disparu, celle ci leva les yeux vers le garçon et poussa un petit gémissement. « Oui, ils sont partis. » Répondit l’enfant. Il ne savait pas ce que lui disait la petite créature, mais il s’imaginait la comprendre. Il la considéra un moment, puis monta avec elle dans sa chambre. Madame Granger et son fils logeaient dans une dépendance de l’hôtel. Ils y possédaient un petit appartement qui donnait directement sur la cour intérieure. Kit avait la chance d’avoir une chambre pour lui tout seul. Il en poussa la porte et pénétra avec soulagement à l’intérieur. Après avoir posé Rielle sur son lit, il alla fermer la porte pour être certain d’être tranquille, et s’assit à côté de la créature bleue et dorée. Sa mère essayait toujours de le faire parler quand elle le voyait triste. Mais elle ne comprenait pas : il n’était pas triste ! Il était grand maintenant, alors il n’était plus triste. Par contre, il était déçu de l’attitude de Ed. Parfaitement. Et il en fit part à l’hippocampe qui le considérait silencieusement, la tête légèrement penchée sur le côté.

« Alors, comme ça, tu es un trésor ? » S’enquit Kit pour changer de sujet.

1764 mots

NaNoWriMo 2015 : Kit et Rielle (-> Je suis une championne des titres pourris) Jour 1

Kit faisait des pompes. Avec acharnement. Il ne prenait même pas le temps d’enlever les mèches brunes qui pendaient devant ses yeux. Le garçon avait décidé qu’il serait le plus fort de toutes les nouvelles recrues de l’Ecole Planétaire de Pilotage lorsqu’il serait en âge de postuler dans cet établissement prestigieux. Comme il n’avait que huit ans, il avait encore quelques années devant lui – huit autres dans les faits – pour s’entraîner et avait décidé de mettre à profit la moindre minute de son temps pour parfaire sa musculature. En effet, il avait entendu dire que les pilotes devaient toujours être au meilleur de leur forme physique. Sa mère lui adressait toujours un regard doux accompagné d’un sourire attendri lorsqu’elle le voyait en train de se démener pour devenir plus fort. Lorsqu’il s’était plaint qu’elle se moquait de lui parce qu’il n’était qu’un enfant et que, par conséquent, personne ne le doutait capable de se tenir à un entraînement comme les adultes, elle lui avait assuré qu’elle croyait en lui et qu’il deviendrait le plus fort de toute la planète.

« Ce n’est pas suffisant, lui avait il répondu avec un reniflement de celui qui en sait plus que tout le monde. Il faut que je devienne le plus fort de la galaxie.
– Oh, fort bien, avait déclaré sa maman d’un air impressionné. Mais, surtout, n’oublie pas d’entrainer un peu ta cervelle.
– Pfeuh ! Ca ne sert à rien, la cervelle, avait ronchonné Kit.
– Bien sûr que si, lui avait elle assuré. Retiens bien que, sans cervelle, les muscles ne servent à rien. »

Il n’avait pas eu envie de contredire sa mère, parce qu’il aimait beaucoup lui faire plaisir. Mais il avait gardé par devers lui l’idée que, par exemple, on ne pouvait décemment pas gagner un combat avec un cerveau. Déjà, le cerveau était à l’intérieur de la tête. Il ne pouvait frapper personne. Et, en plus, il ne faisait que penser alors qu’il se faisait promener de partout par ses pieds. Peut être qu’en donnant des coups de tête, il pourrait mettre sa cervelle à contribution. Il avait alors essayé, mais ses velléités d’utiliser son crâne comme marteau s’étant avérées fort douloureuses, il décida rapidement d’abandonner cette idée. En réalité, il comprenait bien que sa mère lui conseillait de faire preuve de réflexion parfois, mais il avait l’impression de ne jamais réfléchir comme il fallait. Ce qui le décourageait rapidement.

D’ailleurs, il s’occupait un peu trop de ses pensées et pas assez de son entraînement maison qu’il s’était concocté lui même. Avec l’aide du Docteur Sam en fait. Il avait parlé de son projet au Docteur Sam lorsque ce dernier était venu le voir parce que le garçon avait de la fièvre. Ce jour là, le médecin passait justement par Bourgétoile, et la mère de Kit, un peu inquiète, avait fait appel à lui. L’enfant avait très rapidement balayé les questions de routine de Sam pour lui demander comment il pouvait s’entraîner pour devenir l’être vivant le plus fort de toute la galaxie. Le médecin avait commencé par lui adresser un regard scrutateur par dessus ses petites lunettes à verres rectangles. Voyant que le petit était on ne peut plus sérieux, il avait réprimé un sourire. « Il faut de l’exercice régulier, avait il alors professé.
– Régulier, comme tous les jours ? S’était enquis le garçon. Parce que je suis prêt à m’entrainer tous les jours, moi ! Et pendant plusieurs heures ! »

Cette fois ci, le médecin ne s’empêcha pas de rire. Depuis la dizaine d’années qu’il opérait dans le coin, partageant sa semaine entre cinq grosses bourgades, il avait pu voir beaucoup d’enfants. Et il avait pu constater que tous les enfants étaient toujours prêt à faire beaucoup d’efforts tous les jours et toute la journée, dans leur enthousiasme sans bornes. Enthousiasme rapidement douché par la difficulté, l’effort, ou juste par la persévérance nécessaire. Néanmoins, comme le Docteur Sam était toujours prêt à inculquer un peu d’hygiène de vie à ses patients – car, sur cinq bourgades, il en avait beaucoup, et il préférait venir les soigner lorsqu’ils ne tombaient pas malades de leur fait – il commença à expliquer à Kit quel genre d’entraînement il pouvait mettre en place pour devenir un homme fort.

« Pas seulement un homme fort, avait précisé le garçon. L’homme le plus fort.
– Pour devenir l’homme le plus fort, il faut que tu deviennes grand, avait alors continué le médecin sur un ton doctoral. Et aussi, que ton corps se développe correctement, parce que tu es en pleine croissance. C’est pour ça qu’il ne faut pas faire trop d’exercice d’un coup, mais qu’il faut en faire régulièrement.
– Maman dit que c’est pour ça que je suis tombé malade. A cause de la croissance.
– C’est possible, cela demande beaucoup d’énergie de grandir. Du coup, comme ton corps est fatigué, il est plus susceptible de succomber aux microbes et aux virus.
– Je les battrai aussi quand je serai fort. » Avait décrété Kit après un instant de réflexion, arrachant un sourire au médecin. Depuis qu’il avait établi un plan d’exercices à faire grâce au Docteur Sam, le garçon s’y tenait. A la grande surprise de sa mère et du médecin, il se tenait à ce qu’il appelait son entraînement depuis plusieurs mois avec une régularité effarante de la part d’un enfant de huit ans. Une fois qu’il eut terminé ses exercices, il retourna dans le petit hôtel dont sa mère était la tenancière.

L’établissement tenait plus de l’auberge que du grand hôtel de luxe, mais comme il servait également de restaurant et de débit de boisson à la bourgade alentours, il disposait d’une grande salle qui elle était toujours peuplée quelle que soit l’heure du jour et de la nuit. Bien entendu, la nuit seuls les clients de l’hôtel bénéficiaient de la salle, car Mme Granger était tenue de fermer son établissement après minuit. Elle disposait également de nombreuses chambres pour une aussi petite ville que Bourgétoile. Mais c’était là que se trouvait le spatioport de la région. A l’échelle des spatioports, celui de Bourgétoile était plutôt petit. Etant donné l’activité de la région, il n’y avait pas beaucoup de transit. Un vaisseau cargo venait régulièrement emporter ou apporter des marchandises. Il passait toutes les semaines. Au delà de ces vaisseaux cargo, il y avait peu de touristes. Mais certains venaient parfois profiter de l’air typique d’une campagne très provinciale où la technologie ne se trouvait pas si présente que cela. Ou montrer à leurs enfants comment sont élevés les animaux dans une ferme, puisqu’autour de Bourgétoile se trouvaient principalement des fermes. Vu leur taille et les étendues de terrain qu’elles couvraient, les personnes sur place les appelaient plutôt des ranchs. Du au fait qu’il y avait peu de circulation, la sécurité se laissait un peu aller dans le petit spatioport et des contrebandiers y faisaient régulièrement escale. Tant qu’ils ne causaient pas de grabuge, tout le monde fermait les yeux sur leurs activités pas toujours très légales. La plupart de ces personnes arrivant au petit port interstellaire de Bourgétoile logeaient à l’hôtel de la mère de Kit.

Malgré son jeune âge, le garçon avait donc déjà rencontré beaucoup de personnes différentes et de différents horizons. « Mon chéri, lui dit sa mère en le voyant arriver après sa séance d’exercices, Monsieur Hammerson est ici. » Le visage de Kit s’illumina et il ne perdit pas une seconde pour se précipiter dans la salle commune. Il balaya rapidement la pièce du regard pour repérer la silhouette familière de l’homme avec qui il avait tissé des liens si particuliers. « Ed ! s’écria-t il en courant vers Hammerson.
– Hé ! Salut petit ! » L’homme adressa un grand sourire au jeune garçon, tandis que ce dernier se jetait sur lui. Il le souleva d’un bras comme si c’était un fétu de paille. Il faut dire que le dénommé Hammerson était gigantesque, en plus d’arborer une abondante chevelure blonde, une barbe de trois jours et de poser un regard vert pétillant sur le monde qui l’entourait. « Mais dis donc, on dirait que tu as encore grandi et forci depuis la dernière fois, ajouta-t il pendant que le petit lui serrait le cou à lui en couper le souffle.
– Oh, oui, confirma Kit. Je suis tombé malade à cause de la croissance et je m’entraîne pour devenir l’homme le plus fort de la galaxie.
– L’homme le plus fort ? S’esclaffa le géant. Mais pourquoi donc ?
– Pour devenir pilote, expliqua l’enfant.
– Et tu as besoin d’être le plus fort de la galaxie pour devenir pilote ? S’enquit Edward Hammerson avec un large sourire.
– Oui, appuya Kit en arborant un sourire tout aussi large.
– Mais pourquoi donc ?
– Parce que je veux être le meilleur pilote. »

Le géant attendit un instant pour voir si il y avait une suite d’explication. Mais l’enfant gardait son sourire, et aucun mot ne semblait plus devoir sortir de sa bouche à ce propos. Hammerson rit de nouveau. « Tant mieux, dans ce cas, tonna-t il. Parce que je vais avoir grand besoin de l’homme le plus fort de la galaxie.
– Ah bon ? » Les yeux de Kit s’emplirent d’étoiles. Ed allait avoir besoin de lui, quelle fièreté ! « Tu as une mission pour moi ?
– Un peu ! » Le géant lui adressa un clin d’oeil et le posa à terre. De son autre bras qui, venait de se rendre compte le garçon, lui avait été dissimulé tout du long, Hammerson lui tendit une petite créature qu’il n’avait jamais vue. Elle se tenait à quatre pattes, palmées, toutes fermement accrochées au bras de l’homme. Elle tendit son long cou pour croiser le regard brun de Kit avec de grands yeux liquides, noir de jais. Le garçon n’avait jamais vu d’hippocampe, mais c’était bel et bien à cela que ressemblait la créature : un hippocampe avec des pattes, au corps bleu ciel moiré de bleu roi et aux nageoires dorées. L’enfant contempla la petite créature, bouche bée.

« Elle te plait ? S’enquit Hammerson qui regardait la bestiole d’un air attendri.
– Oh oui, répondit Kit en hochant la tête pour appuyer son propos.
– Tant mieux. Parce que j’aurais besoin que tu me la gardes, pendant quelques temps.
– Que je te la garde ?
– Oui, telle est la mission que je te confie, déclara le géant sur un ton pompeux.
– Oh maman, je peux la garder ? » Supplia le garçon auprès de sa mère qui venait servir des pintes à Ed et ses acolytes qui discutaient bruyamment à côté. Madame Granger posa un regard curieux sur la créature qui, elle, s’était retournée en direction de Hammerson et lui adressait des petits bruits sur ce qui paraissait être un ton accusateur. « C’est une mission de Ed, argumenta-t il à tout hasard.
– Une mission d’importance sans aucun doute, susurra sa mère. Dangereuse ?
– Oh non m’dame, promit Hammerson. Je tiens juste à cette petite bête comme à la prunelle de mes yeux et je pense que notre grand Kit sera tout à fait capable d’en prendre soin pendant quelques temps.
– Mmmh, réfléchit elle tandis que son fils faisait preuve de toute sa science en terme d’yeux suppliants pour la convaincre. Et qu’est ce que ça mange ces petites bêtes là ?
– La même chose que nous, ronronna Ed. Il n’y a pas plus facile à s’occuper que cette charmante petite.
– C’est une elle ? vérifia Kit.
– Oui, c’est une elle, confirma Hammerson.
– Comment elle s’appelle ? s’enquit ensuite le garçon.
– Elle se nomme Rielle, révéla le géant en gratouillant tendrement la tête de l’hippocampe bleu arrimé à son bras.
– Oh, maman, s’il te plait, est ce que Rielle peut rester avec nous ? »

Face au regard suppliant de son fils, qui faisait écho au regard suppliant de Hammerson, Madame Granger capitula et accepta que son fils prenne en charge la prunelle des yeux du géant. Elle ne savait pas si elle faisait bien car, contrairement à son petit, elle se doutait que Edward Hammerson faisait au moins de la contrebande. Mais le regard dont il couvait l’étrange créature était empreint de tendresse et non de cupidité. Le même genre de tendresse dont il gratifiait Kit, ce qui faisait qu’elle avait plutôt tendance à lui faire confiance, malgré ses réserves.

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NaNoWriMo de 2015

Salutations !

Comme vous vous en souvenez peut-être, le mois de Novembre est dédié au NaNoWriMo, le National Novel Writing Month. Même si, dans les faits, ça concerne le monde entier. Comme je l’avais fait l’année dernière pour Bård, je recommence cette année.
Comme l’année dernière, je vous mettrai jour par jour ma production quotidienne.
Si vous avez des questions, n’hésitez pas, et venez participer avec moi l’année prochaine ! (Ou pour les NaNoCamps d’Avril et de Juillet)

NaNoWriMo : fin

Nous ne sommes pas encore le 30 novembre, mais j’ai atteint le quota des 50 000 mots en 30 jours d’un petit roman avec un début, un milieu et une fin. Alors bien sûr ce n’est qu’un premier jet. Mais c’est quand même la première fois que je finis un roman (même un petit qui est tout à revoir) alors je suis bien contente ! Jusqu’ici, je l’avoue, passé le stade du petit texte type nouvelle, je n’avais jamais réussi à aller jusqu’au bout d’un roman, même si j’en ai plusieurs de commencés et des centaines de pages d’écrites.

Bref ! Comme j’ai dépassé les 50 000 mots, j’ai le droit d’afficher cette magnifique bannière :

Winner !

Plein de bisous à ceux qui m’ont encouragée !

NaNoWriMo 2014 jour 24 et 25 : Bård

Fin du chapitre surnuméraire :

Les nuits, Siegfried chantait souvent avec les loups. Plus il se sentait préoccupé, plus il répondait à leurs appels. C’était ce qu’il avait l’intention de faire pour fuir les questions dérangeantes de Riulf. Peut être parce qu’il avait la tête ailleurs, l’aelfe ne perçut pas le danger, lui d’habitude si attentif, jusqu’à ce qu’un filet lui tombe dessus. Il sortit instantanément sa lame en corne de narval pour en trancher les mailles, mais des cordes vinrent rapidement en renforts au filet et de bouger l’entortillait plus que cela ne le délivrait. En quelques secondes à peine, il se retrouva totalement immobilisé et encerclé de chasseurs goguenards, fiers de leur prise. Les aelfes étaient difficile à capturer. Ils commençaient déjà à se taper dans le dos et à rire de satisfaction.
Siegfried maudit son inconscience. Que ne s’était il pas été montré plus prudent ? A quoi servirait le sacrifice de sa mère si il se faisait attraper par Ull sans avoir pu mettre fin à son horrible moisson ? Ecumant, il fut emmené sans autre forme de procès, comme une bête de somme, sa précieuse lame confisquée. Ses ravisseurs n’eurent pas le temps de se réjouir de leur capture que des voix se mirent à retentir dans les bois. « Hoho qu’avons nous là ? claironna une première voix.
– De petits êtres qui s’aventurent dans nos bois sans vergogne, ajouta la deuxième voix sur un ton moralisateur.
– Ceux qui entrent sans autorisation s’exposent à notre colère, tonna une troisième voix beaucoup plus grave et caverneuse que les deux premières.
– Et que leur fait on à ceux qui s’exposent à notre colère, hein ? Que leur fait on ? reprit la première voix avec des accents hystériques. Hein ? Qu’allons nous leur faire ? Ha ha ha ha haaa ! » La voix continua de rire encore et encore, d’un rire fou apparemment sans fin. Les braconniers ne paraissaient pas très courageux tout d’un coup. Des voix dont ils ne pouvaient déterminer l’origine avaient de quoi les inquiéter. Surtout l’hystérique. Les petits humains se pelotonnaient les uns contre les autres, inquiets. Ses geôliers se montraient bien pitoyables, l’aelfe serra les dents. Néanmoins ils ne se débandaient pas, malgré les efforts de Svart, Mørk et Riulf pour les effrayer.
Constatant que malgré les menaces il ne se passait pas grand chose, les chasseurs commencèrent à reprendre contenance. Siegfried jura intérieurement. En se rendant compte que leur stratagème ne fonctionnait pas, l’ours et les corbeaux allaient passer à l’attaque et l’aelfe n’aimait pas cette idée. Ils allaient devoir beaucoup trop s’exposer et cela l’inquiétait. Mørk continuait inlassablement de faire retentir les bois de son rire de forcené. Tous s’arrêtèrent de nouveau lorsque Riulf lança d’une voix tonitruante : “Vous allez tous périr !” Une énorme masse brune fit irruption et bouscula les humains comme de vulgaires fétus de paille. Mais ceux ci étaient nombreux et paraissaient très expérimentés. Les chasseurs restés debout s’attaquèrent immédiatement à l’ours. “Va-t-en ! C’est dangereux !” cria l’aelfe au vane. Ce dernier l’ignora, enragé qu’il était par le combat. Alors qu’il s’apprêtait à aller aider son ami malgré ses mains liées dans le dos, Siegfried sentit des griffes se planter dans ses mains. Svart – ou peut être Mørk – s’employait à cisailler la corde à grand renfort de coups de bec.
Le temps que l’oiseau parvienne à délivrer son maître, Riulf avait déjà écopé de plusieurs blessures. Les chasseurs apeurés avaient plus l’intention de sauver leurs vies que de capturer le fauve qui les attaquait. L’aelfe sentit ses liens se distendre. Il ne perdit pas un instant et se mit à l’oeuvre, avec ses poings puisqu’il ne disposait plus de sa lame. Siegfried avait subi un entrainement de guerrier et, même désarmé, il se montrait un adversaire redoutable. Il libéra rapidement le vane ours de ses assaillants. Le sang du jeune Riulf gouttait d’innombrables blessures, mais il tenait bon. Face à l’aelfe et à l’ours, sachant que Mørk continuait à rire de manière hystérique pour déconcerter les braconniers, ces derniers commencèrent à battre en retraite. Un seul ne parvint pas à disparaitre dans les bois ; Riulf le maintenait de ses puissantes pattes. Alors que l’homme criait de peur, l’ours approcha sa gueule sanglante et lui arracha la corne de narval recouverte d’acier qu’il tenait de ses deux mains. Il laissa s’enfuir le chasseur effrayé et tendit la précieuse lame à Siegfried. « Merci mon ami, déclara chaleureusement l’aelfe. Partons d’ici et trouvons un endroit calme où je pourrai m’occuper de tes blessures. »
Ainsi firent ils. Certaines des plaies de Riulf parurent profondes à Siegfried. Il le soigna comme il le put, mais le jeune ours avait besoin de repos pour sa cicatrisation. « Riulf, lui dit alors l’aelfe. Tu ne peux pas continuer de me suivre avec ces blessures.
– Bien sûr que si, elles ne me dérangent pas pour marcher, argumenta l’ours.
– Je le sais bien, repartit Siegfried. Ce n’est pas de cela que je m’inquiète. Mais j’ai besoin d’un puissant guerrier à mes côtés. Ce que tu seras sans conteste une fois guéri. » Le vane ne répondit pas, mais l’aelfe sentit que ses mots avaient fait mouche. Ce jeune là avait envie de se rendre utile et il avait aussi grandement apprécié le compliment. L’aelfe reprit : « Une fois que je serai prêt à repartir en guerre contre Ull, je ferai appel à toi. En attendant, va reprendre des forces.
– Et vous, qu’allez vous faire ? s’enquit l’ours.
– Je vais aller me mesurer une fois de plus à Ull, répondit Siegfried. Et puis, j’irai retrouvai Fen.
– Fen ? Qui est ce ? demanda Riulf.
– C’est la nounou de son petit frère Bård, gloussa Mørk.
– Oh. » Le vane avait compris que Siegfried rechignait toujours à parler de son frère, mais qu’il comptait néanmoins faire appel à lui. Il trouvait cela réjouissant. Il hocha solennellement sa grosse tête brune.
Ils firent leurs adieux. Mørk se répandit en pleurs et reniflement. Svart le consola en lui promettant qu’ils retrouveraient très bientôt leur ami Riulf. Leurs chemins se séparèrent. « Maître, l’interpella Svart alors qu’ils se dirigeaient vers le bois d’ifs de l’ase Chasseur.
– Qu’y a-t-il ?
– Comptez vous réellement faire appel à Riulf lors de votre prochain combat contre Ull ?
– Bien sûr que non Svart, répondit Siegfried. Ses blessures étaient l’opportunité rêvée pour l’envoyer au loin en sécurité.
– Il risque d’être vexé, nota le corbeau.
– Sa sécurité m’importe plus que son amour propre, balaya l’aelfe.
– Ce n’est pas gentil gentil gentil ! Oh non, pas gentil gentil gentil ! » chantonna Mørk en voletant joyeusement d’arbre en arbre. Siegfried l’ignora.
Une fois sortis des bois, ils arrivèrent rapidement en vue de la forêt d’ifs qui changeait de place selon les caprices de Ull. Ils se postèrent en vue de la lisière, attentifs à la présence de Skadi, la géante qui protégeait l’accès au bois d’ifs. Ils restèrent en surveillance pendant de longues heures, jusqu’à ce qu’enfin un convoi de braconniers viennent rendre compte à la géante au fouet de leur butin pour Ull. Siegfried saisit cette occasion de pénétrer dans la forêt magique de l’ase, en compagnie des deux corbeaux. Une fois entre les ifs, il savait que d’autres dangers l’attendaient. Il envoya les oiseaux en éclaireur et glissa comme une ombre au milieu des arbres. A cause des meutes du Chasseur qui vagabondaient de partout, l’aelfe dut emprunter plusieurs chemins détournés. Attentif au moindre bruit suspect, il progressait avec circonspection. Au bout d’un très long moment, Siegfried arriva enfin dans la clairière centrale de la forêt d’ifs, où Ull rêvassait, une main soutenant sa tête et sa chevelure noire flottait dans la brise. Ce dernier se redressa immédiatement lorsque l’aelfe fit irruption dans son sanctuaire. « Que le jour te soit bon, fils de Doelyn, le salua-t-il de sa voix charmeuse. As tu enfin décidé de te soumettre comme le fit ta mère ?
– Elle ne s’est jamais soumise, s’énerva Siegfried. Ne prononce plus jamais son nom devant moi, tu le souilles et je ne le tolère pas.
– Bon, l’apaisa Ull. Que viens tu faire ici alors, si ce n’est pour me prêter ta force ?
– Je viens de nouveau mesurer ma force contre toi, répondit l’aelfe d’un ton dur.
– Tu sais que tu ne peux pas lutter contre moi, lui dit l’ase de sa voix toujours charmeuse. Je vais te vaincre et absorber ta force. Pourquoi cherches tu à compliquer les choses ?
– Tu ne comprendrais pas. »
L’aelfe se mit en garde face à Ull, qui lui sourit gentiment. Irrité de ne pas être pris au sérieux, Siegfried attaqua le premier. L’ase l’esquiva sans peine, comme si il s’agissait d’un jeu. Ils échangèrent quelques passes d’arme en guise d’échauffement. Puis Ull fit accélérer le mouvement. Petit à petit d’abord, puis de plus en plus rapidement. L’aelfe étant un guerrier agile – même pour ceux de sa race – il parvint à suivre la cadence pendant un bon moment. Mais l’ase restait un ase et personne ne pouvait surpasser un ase. Siegfried commençait à se fatiguer. Svart et Mørk, perchés sur une branche voisine, s’apprêtaient à intervenir. L’aelfe trébucha et les corbeaux se jetèrent à la rescousse. Mais Ull les balaya. « Pensiez vous vraiment que vous arriveriez à vous en sortir de la même façon que la dernière fois ? » L’ase paraissait sincèrement étonné. Les oiseaux, qui avaient été projetés contre des troncs, reprenaient difficilement conscience. Ull hocha la tête d’un air navré et tourna de nouveau son attention sur Siegfried. « Prépare toi, enfant de Doelyn. » L’ase brandit son couteau de chasse.
Une masse brune et poilue posa sa grosse patte devant l’aelfe, en signe de protection. Ull hésita à peine et planta sa lame dans le cuir de l’ours. « Mais, que… ? balbutia Siegfried.
– Part, souffla Riulf. Tu ne peux plus rien pour moi. » Il fallut un simple coup d’oeil à l’aelfe pour se rendre compte que le vane avait raison. L’ase avait tranché une artère vitale et l’ours perdait rapidement de ses forces, en même temps que son sang qui se répandait au sol, sous le regard de convoitise de Ull. Il n’eût qu’une seconde d’hésitation avant de faire volte face et de courir, attrapant les corbeaux sonnés au passage, avant de disparaître dans la forêt. Il jeta un bref regard en arrière. Riulf avait repris sa forme humanoïde, un genou en terre. Ce fut la dernière image qu’il emporta du jeune vane ours. Pourquoi ne l’avait il pas écouté et n’était il pas allé passer sa convalescence dans un endroit en sécurité ? Pourquoi était il venu se mettre sous la lame de Ull ? Siegfried jura, alors que la culpabilité montait dans son coeur. Pourquoi ne l’avait il pas directement rabroué lorsqu’il l’avait sauvé de ces braconniers humains ? Le sentiment que cet ours dévoué était mort par sa faute commençait déjà à ronger l’aelfe. Son orgueil lui jouerait des tours, lui avait un jour dit Fen. Il avait la prétention qu’il pouvait lutter seul contre Ull et il avait eu tort. Il n’en courut que plus rapidement, animé par l’énergie de la rage.

Et puis un bébé prologue est sorti subrepticement de son oeuf sans que je m’en rende compte :

« Il est dit qu’un jour, l’hiver verra son temps tripler et qu’il sera sans lumière. Qu’une immense bataille aura lieu. Que les ases eux mêmes y participeront et mourront sur ce champ de mort qui les attend. Que le monde sera submergé par les flots et transformé en cendres par les flammes.
“Cette fin du monde tel que nous le connaissons, tout le monde lui donne le nom de Ragnarök. Tout sera sans dessus dessous. Les frères et soeurs se battront entre eux jusqu’à la mort. Tous attendront en vain le printemps. Ce sera un temps où l’acier règnera, par les haches et les épées, mais aucun bouclier ne parviendra à protéger quiconque de la mort. Tous seront pris dans la tourmente, les tempêtes et les hurlements des loups. Personne ne sera épargné, tous auront à souffrir du Ragnarök. La plupart en mourront et n’assisteront pas au monde nouveau qui suivra la fin de l’ancien monde. »
Doelyn l’aelfe soupira.
« Et pourtant, un ase rebelle refuse ce destin sombre et tout tracé qui s’offre à lui et aux autres. Il se propose de nous sauver tous. Il veut éviter Ragnarök. Pour cela, il a besoin de puissance. De beaucoup de puissance. »

NaNoWriMo 2014 jour 23 : Bård

Suite du chapitre supplémentaire :

Il repoussa ses pensées. Ce dont il avait le plus besoin à présent, c’était de concentration. Il étudia la configuration du camp. La plupart des humains dormaient. Seuls trois d’entre eux montaient mollement la garde. Siegfried en soupçonnait même un de dormir aussi profondément que ceux dont il était sensé garantir la sécurité. L’aelfe avait deux objectifs : délivrer le jeune vane ours qui grondait dans sa cage et saupoudrer la nourriture humaine avec une poudre de sa composition, ce qui les rendrait aveugles pour les semaines à venir, en espérant que cela leur servirait de leçon. Bien évidemment, tout en délivrant la créature prisonnière, il en profiterait pour faire fuir les chevaux qui tiraient la charrette sur laquelle était montée la cage. Pour le moment ces animaux somnolaient paisiblement. Il signifia aux corbeaux de ne pas bouger ni faire le moindre bruit. Il avait l’habitude de leur faire prendre le moins de risque possible, ce qui impliquait souvent d’agir seul.

Aussi silencieux qu’une ombre, il se glissa subrepticement jusqu’à la réserve de nourriture. Il saupoudra rapidement sa poudre qui s’éparpilla de partout. Sans s’attarder, il s’approcha de la cage de l’ours. Ce dernier releva la tête en le sentant arriver. Ils échangèrent un regard de connivence. Le vane lui fit signe de s’arrêter. L’aelfe obtempéra, se dissimulant prestement dans les ombres. Ainsi à l’abri des regards, il put voir l’ours diminuer de taille et prendre une forme humanoïde. Même sous cette forme et malgré qu’il soit à peine adulte, il restait imposant et terriblement poilu. « Hey ! » Appela doucement l’ours. Les deux hommes éveillés tournèrent la tête dans sa direction. Siegfried était trop loin pour distinguer ce que leur dit le vane ensuite, mais il vit les deux gardes s’approcher de la cage. Une fois qu’ils se trouvèrent assez près de lui, l’ours se redressa. Il sortit vivement ses bras poilus et musculeux de sa prison et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, attrapa leurs deux têtes et les heurta l’une contre l’autre, les assomant efficacement. L’aelfe resta immobile le temps de déterminer que le bruit n’avait alerté personne. Puis il s’approcha de la cage à son tour et en crocheta l’ouverture pour laisser sortir le vane. Ce dernier, qui avait recouvré sa forme de fauve, s’enfuit à pattes de velour à peine la porte ouverte. Siegfried, lui, tissa une illusion pour faire croire qu’un ours dormait dans la cage. Puis il s’approcha des chevaux pour les entrainer au loin avant de leur rendre leur liberté. Ceci fait, il rejoignit toujours aussi silencieusement les frères corbeaux, qui se trouvaient à présent accompagnés du jeune vane. Tous les quatre se fondirent dans la forêt.

« Merci de m’avoir sorti de ce mauvais pas, déclara l’ancien prisonnier. C’est bien aimable à vous d’être intervenus.
– Avec nous tu peux dormir sur tes deux oreilles p’tit, lança Mørk au hasard.
– C’était un plaisir, répondit l’aelfe en ignorant l’oiseau. Dorénavant tient toi loin des humains et des sbires de Ull.
– J’essaierai. » Assura le vane. Il avait la taille adulte d’un ours normal, ce qui trahissait sa jeunesse. En tant que vane, il allait devenir encore bien plus gros. En attendant, il montrait encore certaines attitudes pataudes de l’enfance. « J’ai cru que personne ne viendrait à ma rescousse, ajouta-t-il.
– N’as tu pas de famille qui serait venue te secourir ? s’enquit poliment Svart.
– Si si j’ai de la famille. Mais… mais vous savez les vanes hésitent à marcher contre les ases depuis la grande guerre où les ases sont sortis vainqueurs. » Svart hocha la tête d’un air entendu.

“Tu peux rentrer chez toi retrouver ta famille, indiqua Siegfried.
– Ah… euh… oui et bien…
– Et bien quoi ? s’enquit l’aelfe.
– Et bien… hésita timidement la grosse bête. J’aimerais bien rester avec vous.
– Avec nous. » Siegfried se trouvait surpris de la requête, mais n’en montrait rien. « C’est trop dangereux, tu devrais aller te mettre en sécurité.
– Je peux me montrer utile, argumenta l’ours. Je sais me montrer silencieux, je peux faire peur et je sais aussi me battre. » Svart se posa sur l’épaule de l’aelfe et lui chuchota à l’oreille :
« Maître, je pense qu’il va nous suivre de toutes façons. Et cette situation s’avèrerait plus dangereuse à la fois pour lui, mais aussi pour nous. » Comme souvent, ce corbeau faisait preuve de sagesse. Heureusement d’ailleurs, songeait Siegfried, que l’un des deux se montrait futé. Mørk, totalement étranger à la situation, fredonnait quant à lui une chanson à propos d’ours et de miel en gloussant tout seul. Après tout, un compagnon tel que ce vane ours pouvait s’avérer une aubaine. L’aelfe fixa ses yeux violets dans ceux, bruns, de l’ours. « Soit. Tu peux venir avec nous. Je veux juste savoir comment tu te nommes.
– Riulf ! Je m’appelle Riulf. » S’épanouit le gros vane. Dans son enthousiasme, il adressa un coup de langue affectueux au guerrier qui venait de l’accepter dans ses rangs. Siegfried ignora cet affront fait à sa dignité et repartit, suivi par ses compagnons oiseaux et ursidé.

Riulf se montra par la suite un compagnon hors pair et hautement dévoué. Plus d’une fois, lors des raids visant à sauver des créatures magiques de braconniers, il se montra plus un atout qu’un handicap. Il n’avait pas menti lorsqu’il avait affirmé qu’il savait aussi bien se battre que se montrer silencieux et intimidant. Dès lors, Siegfried n’attendit qu’une chose, c’était de tomber de nouveau sur le groupe mené par le vane renard. Grâce à Riulf, il pourrait venir à bout de cette bande de chasseurs. De plus, l’ours n’avait pas son pareil pour dénicher gibier et baies avec lesquels il régalait ses compagnons. Néanmoins, malgré toutes leurs exactions à l’encontre des gens de Ull, l’aelfe se rendait bien compte que tant qu’il ne s’attaquerait pas à la source, ses efforts resteraient vains. Bien sûr, il avait déjà sauvé moult personnes de l’ase, mais cela restait une larme dans l’océan : le pouvoir de Ull continuait de grandir de jour en jour. Et, au fond de lui, il savait qu’il finirait par avoir besoin de son demi frère Bård pour en venir à bout. Mais ce vermisseau était encore bien trop jeune pour une telle entreprise. Le fait que Siegfried ne se sentait pas d’aller quérir son aide n’entrait pas en ligne de compte, bien évidemment.

Le vane s’était montré enchanté lorsque Mørk lui avait étourdiment expliqué que leur maître possédait un jeune frère, un peu comme Svart l’avait lui même en guise de fratrie. “J’ai eu un frère mort né durant l’hiver de ma naissance, raconta Riulf. Depuis je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un frère. Que faisiez vous avec votre frère ?
– Je ne l’ai jamais considéré comme mon frère, balaya rapidement Siegfried irrité à chaque fois que quelque chose lui faisait penser à Bård.
– C’est un sujet sensible, intervint Svart en voyant que l’ours ne se satisferait pas de cette réponse.
– Je ne vois pas pourquoi, protesta un Riulf rendu curieux. Toi par exemple, tu t’entends plutôt bien avec ton frère malgré tes remontrances à son égard. Je le sens que c’est pour son bien que tu lui fais la morale.
– C’est vrai ça Svart, c’est pour mon bien que tu fais ça ?” s’enquit Mørk avant de se mettre à sangloter bruyamment sur l’épaule de son frère. Ce dernier adressa un regard noir à l’ours avant de s’employer à calmer Mørk. L’aelfe en avait profité pour disparaître, au grand dam du vane qui ne s’avoua pas vaincu pour autant.

NaNoWriMo 2014 jour 22 : Bård

Passage numéro 1 :
“Maître, le village que l’on nous a indiqué se trouve par là bas ! s’exclama Svart. Par contre…
– Par contre ? s’enquit le maître en question.
– Et bien, il semblerait qu’il ait été attaqué, répondit le corbeau.
– Et une partie est toute brûlée, gloussa Mørk.
– Allons voir.” Lâcha le maître de sa voix profonde. Ainsi que le corbeau le lui avait dit, le village se trouvait en ruines. La moitié des maisons avaient été éventrées par le feu et les malheureux villageois qui les peuplaient avaient été essaimés un peu partout sur la terre battue et en partie recouverts par la neige, morts. Seules subsistaient quelques poules qui avaient été épargnées et erraient à la recherche de quelque chose à picorer. Mais plus aucune espèce plus grosse qu’un chat. Ils s’aventurèrent au milieu des cendres, des cadavres et des squelettes d’habitations.

« Votre source vous a-t-elle expliqué quelle était la maison de Sigurd ?
– Non, avoua Svart un peu penaud.
– Dans ce cas, nous allons chercher. » Conclut le maître qui s’employa dès lors à pousser les portes des chaumières pour en visiter l’intérieur. Il retourna également certains morts mâles mais, malgré la décomposition qui les dévisageait, aucun n’était Sigurd. Ses inspections le menèrent, toujours accompagné des corbeaux, jusqu’au grand hall, la plus vaste habitation du village. Un grand trou béait dans l’un des murs, mais la structure avait été épargnée par les flammes. Il entra. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit froncer du nez. Il s’approcha du cadavre cloué au mur. « Tsss. » Lâcha-t-il. L’homme qu’il recherchait était mort. D’une mort grossière selon le maître, puisqu’il se retrouvait cloué au mur comme un vulgaire pantin. Il fouilla la maison toute entière. Aucune trace d’un corps d’enfant nulle part. Le fils de Sigurd avait peut être survécu. Si c’était le cas, ce devait être cet enfant qui se trouvait en possession de ce que Sigurd lui avait volé, car il n’avait pas réussi à mettre la main sur ce précieux objet non plus. Il se redressa et, frustré, heurta le mur de son poing. Les corbeaux n’osèrent pas intervenir.

Leur maître retourna dehors et inspecta le sol. Malheureusement, les dernières chutes de neige avaient recouvert toutes les éventuelles traces qui auraient pu lui indiquer une direction à suivre. Il se sentait impuissant et cela le mettait en colère. Il ne lui restait plus qu’une solution. « Menez moi jusqu’à la personne qui vous a indiqué ce village, ordonna-t-il aux deux corbeaux.
– Mais ce garçon se trouvait loin d’ici et il a du bouger depuis, objecta Svart. Je ne sais pas si nous allons pouvoir le retrouver, le monde est vaste…
– Retrouvez le, j’ai des questions à lui poser. » Le ton était sans appel, et Svart comprit qu’il ne servait à rien de tergiverser. Il donna un coup de bec à Mørk qui s’apprêtait à dire une bêtise – or le maître n’était pas d’humeur – et prit son essor, accompagné de son frère.

Passage 2 :
La lune était pleine, inondant le paysage enneigé d’une douce lueur argentée. D’aucuns diraient blafarde, mais ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. Seuls les hermétiques à la beauté pouvaient proférer des choses pareilles. C’était ce que Fen disait toujours en tous cas. Elle adorait la lune. Probablement à cause de sa nature de louve. Assis en tailleur sur un rocher solitaire, Siegfried contemplait la grosse boule haute dans le ciel et la vue dégagée qu’il avait de la plaine qui s’étendait à ses pieds. Il entendit des loups hurler au loin. Il sourit. Il leva la tête vers la lune et hurla avec eux. Comme il le faisait jadis en compagnie de Fen. Ils se connaissaient depuis qu’il était aelfon et elle louveteau. Il lui avait appris l’aelfique et elle les manières des loups. La meute avec laquelle il chantait – car les loups considéraient cela comme de la musique – lui répondit avec entrain. Ils avaient souvent hurlé à la lune Fen et lui. En grandissant, ils s’étaient moins fréquentés, ayant chacun leurs affaires de leur côté.
C’était ainsi qu’un beau jour, il s’était rendu compte qu’elle s’était liée d’amitié avec des humains. Un, en l’occurence, qui répondait au nom de Sigurd. D’après ce qu’il avait compris, ils avaient vécu beaucoup d’aventures ensemble, la vane s’abaissant à lui servir occasionnellement de monture. Et comme il se pavanait ce rustaud ! Sans aucun respect pour la nature faerique de la louve qui avait daigné lui offrir son amitié. Sigurd ne lui avait jamais témoigné aucun respect non plus. Les rares fois où il avait eu le malheur de le rencontrer, il lui avait toujours parlé familièrement, comme à l’un de ses semblables. Vraiment, Siegfried ne voyait pas ce que Fen trouvait à cet humain vulgaire. Mais elle semblait lui accorder plus d’intérêt qu’à lui même. Elle lui avait assuré qu’il se faisait des idées mais, selon lui, ses actes prouvaient sans cesse le contraire.

Ce Sigurd, non content de lui voler l’affection de la vane, s’était en premier mis en tête de courtiser sa mère. Bien sûr, l’humain ne savait pas à ce moment là que Doelyn se trouvait être la mère de Siegfried. Mais ce n’était pas une excuse. Il avait chassé le cerf blanc pour elle, mais il n’aurait jamais réussi si Fen ne lui avait pas prêté son aide. C’était d’ailleurs suite à cet épisode qu’ils avaient fait connaissance, l’humain et eux. L’aelfe se souvenait encore du moment où la vane s’était dressée face à lui pour l’empêcher de tuer Sigurd. Il en avait été blessé. Encore plus lorsqu’il avait vu l’humain chevaucher la louve et parader en amenant le cerf blanc à Dame Doelyn. Et, pire que tout, avait été l’annonce de la naissance de Bård le demi humain. Sa mère paraissait aussi faire grand cas de son fils cadet, le bâtard. Elle avait tellement envie de le protéger qu’elle avait tissé un sort autour de lui afin que personne ne remarque la nature semi aelfique du bébé. Heureusement, elle n’avait pas infligé à son aîné la présence du petit et de son père. Il était déjà suffisamment difficile de supporter qu’elle fasse parfois semblant de ne pas être sa mère qu’il n’aurait pas supporté qu’elle accorde de l’attention au bébé.

Siegfried ne savait pas pendant combien de temps les loups et lui avaient loué ainsi la lune, mais il se sentait maintenant beaucoup plus apaisé. Perchés sur la branche basse d’un arbre tout proche, Svart et Mørk se pressaient l’un contre l’autre afin d’échanger un peu de chaleur. Ils avaient sursauté lorsque celui qu’ils appelaient leur maître s’était mis à hurler à la lune avec les loups. Ils sursautèrent de nouveau lorsque l’aelfe leur intima : « Partons. Nous devons trouver Ull.
– Mais quand dormirons nous maître ? se plaignit Mørk.
– Nous aurons tout le temps de dormir lorsque nous serons morts. Pour le moment, nous avons du pain sur la planche. »

Passage 3 début (le passage 3 va être un chapitre à lui tout seul normalement)
La forêt de Ull était plus difficile à trouver d’hiver en hiver. Elle poussait autour de l’ase chasseur à chaque fois que celui ci en décidait ainsi. A force d’emmagasiner les pouvoirs de créatures magiques, celui de l’ase devenait de plus en plus puissant. Les hivers s’allongeaient et sa zone d’influence s’étendait, glaciale, sur de plus en plus de terrain. En revanche, sa forêt d’ifs restait la même. Cela revenait à chercher un oeuf dans un verre d’eau, puis dans une flaque, dans une mare, un étang, jusqu’à la mer. La première année où il était parti à la recherche de Ull, Siegfried l’avait non seulement trouvé, mais aussi affronté. Il grimaça amèrement à ce souvenir. Il n’avait du son salut qu’à l’intervention des deux frères corbeaux qui lui avaient permis de battre en retraite. L’ase ne l’avait pas poursuivi. L’aelfe se promit de prendre sa revanche. Mais il du se rendre à l’évidence : sa mère avait raison, il ne pourrait pas en venir à bout seul. Depuis, il surveillait les déplacements de la forêt magique. En attendant son heure, il contrait du mieux qu’il pouvait l’augmentation de l’influence du Chasseur. « Maître, l’interrompit Svart dans ses réflexions. Nous avons trouvé un autre de ces campements de braconniers.
– Oh oui ! renchérit Mørk. Tout un groupe !
– Ont ils des prisonniers ? s’enquit Siegfried.
– Des tas. » Répondit le corbeau idiot d’un air épanoui, comme si il s’agissait de la meilleure nouvelle du monde. Svart lui infligea un coup de bec moralisateur.

« Ce n’est pas une raison de se réjouir, le morigéna-t-il.
– Pourquoi me frappes tu tout le temps Svart ? s’enquit Mørk d’une voix tremblante qui menaçait de se briser. Je vais finir par croire que tu ne m’aimes plus… » Ignorant la suite de l’échange habituel entre les corbeaux, l’aelfe hocha la tête pour lui même. Comme si il avait besoin d’une raison de plus de détester les humains, nombre de ceux ci s’étaient fait chasseurs de créatures. Suivant l’appât du gain, ils capturaient vanes, aelfes qui s’étaient aventurés en dehors de leurs cités cachées et dvergs qui s’étaient aventurés en dehors de leurs profondes grottes. Ils raflaient au passage toutes les autres créatures de nature plus ou moins magique qu’ils pouvaient trouver. Les sbires de Ull et, notamment, Skadi les rémunéraient grassement. En se remémorant Skadi la géante, Siegfried passa machinalement ses doigts sur la grande balafre dont s’ornait son visage depuis leur rencontre. Elle n’était pas une ase, mais faisait partie de ce peuple de géants. Femme de Ull, elle lui était entièrement dévouée et défendait les alentours de sa forêt d’ifs à l’aide de son long fouet avec lequel elle marquait ses ennemis. Contrairement à son ase de mari, elle n’était pas immortelle et l’aelfe lui avait promis de la vaincre définitivement un jour prochain. Elle avait ri. Il pinça les lèvres à ce souvenir douloureux, tant pour les blessures récoltées que pour son amour propre. Il lui ferait payer l’affront de son visage et celui de sa moquerie.

Une fois que les oiseaux eurent fini de se disputer et de se réconcilier, ils menèrent Siegfried jusqu’au campement qu’ils avaient repéré. Il eut le soulagement de constater que ce groupe de chasseurs ne comportait que des humains. L’aelfe avait pu s rendre compte d’expérience que certaines bandes de braconniers comprenaient des créatures elles mêmes magiques. Il avait notamment eu à faire à un groupe dirigé par un vane renard quelques temps auparavant. Cette fois il avait du s’abstenir d’intervenir. Il venait d’être blessé par Skadi et un vane aussi gros que ce renard était un adversaire trop difficile à mettre à bas, estropié comme il l’était à ce moment là.