NaNoWriMo 2014 jour 14 : Bård

– Je… hésita l’adolescent. Nous ne pouvons pas les emmener avec nous, ce serait beaucoup trop dangereux pour elles.
– Si tu les laissais toutes seules, elles seraient tout aussi condamnées à périr, fit remarquer la vane.
– Fen, quelle est la solution ? se désespéra Bård.
– La solution… Il y a plusieurs solutions, lui dit doctement la louve. Ou nous les laissons toutes seules, auquel cas elles risquent effectivement de mourir. Ou nous les emmenons avec nous, auquel cas Ull risquerait de les tuer. Ou nous les emmenons chez Beyla et Nurri, auquel cas nous risquerions de perdre la trace de Ull, car Siegfried sait où il se trouve en ce moment. Et nous riquerions de mettre plusieurs mois avant de le retrouver et Ull continuerait ainsi ses ravages. Pour le moment, je ne vois que ces trois solutions. Il n’y en a aucune de bonne. Il te faut choisir.
– Fen, murmura l’aelfe. Tu peux parfois te montrer tellement cruelle… » Inflexible, la vane ne répondit pas. Selon elle, il ne lui appartenait pas de prendre ce genre de décision. Devant Ull, le petit frère aurait peut être des choix encore plus difficiles à faire ; autant qu’il commence à prendre l’habitude dès maintenant. Il y avait eu trop peu de décisions compliquées à prendre lorsqu’ils vivaient dans le havre de paix du forgeron des étoiles et de sa petite femme. Ce qui faisait que dès qu’une situation à l’apparence inextricable se présentait, Bård se reposait entièrement sur elle.
Ce dernier resta un moment silencieux. Il souleva de nouveau un pan de fourrure pour contempler les deux renardes qui dormaient dans ses bras. « Crois tu que ça se mange, ça, Svart ? s’enquit Mørk.
– Non, cela t’empoisonnerait l’estomac, comme lorsque tu as voulu manger ces baies que je t’avais interdit de manger. » Lui répondit son frère avec aigreur. Dérangées par la voix stridente du corbeau idiot, les petites vanes bougèrent et ouvrirent de grands yeux étonnés.

« Tu es revenu monsieur l’humain ! se réjouit la plus intrépide de deux, celle qui possédait les yeux verts.
– Arrête de m’appeller ainsi, soupira Bård.
– Où est maman ? s’enquit la deuxième en remuant ses oreilles de velour. Tu avais dit que tu reviendrais avec elle.
– Je… Je suis désolé, bafouilla l’adolescent. Je suis arrivé trop tard.
– Trop… tard ? » Répéta la renarde, tandis que les grands yeux de sa soeur et les siens s’écarquillaient d’horreur. « Tu l’as laissée mourir ! » l’accusa-t-elle en découvrant ses petits crocs blancs. Le garçon, lui, accusait le coup. Il avait dit la même chose à Fen à propos de son père. Il lui jeta un regard contrit, mais aucune émotion ne transparaissait sur le visage humanoïde de la louve. L’autre renarde, celle aux yeux verts, le fixait d’un oeil pénétrant.

« Laisse le tranquille Skade, finit elle par dire pour calmer sa soeur. Ce n’est pas de sa faute. » Malgré le courage dont elle voulait faire preuve, sa voix tremblait. « Laisse, Skade, répéta-t-elle.
– Mais, Sylveig ! protesta la renarde aux yeux bleus.
– Ta soeur a raison, intervint Fen en s’approchant et dardant sur elles sont regard doré. Pour le moment, la question demeure : qu’allons nous faire de vous ?
– Les manger ! suggéra joyeusement Mørk avant de subir un coup de bec de Svart.
– Es tu une louve ? s’enquit Skade en reniflant tandis que Sylveig jetait un regard méfiant au corbeau qui voulait les manger.
– Cela ne se voit il pas ? » ironisa Fen. La présence d’un autre canin, même un canin qui ressemblait actuellement à un deux pattes, parut rassurer les petites soeurs. « Mais cela ne répond pas à ma question, persista-t-elle.
– Emmenez nous avec vous, demanda Sylveig aux yeux verts.
– Nous ne voulons pas rester toutes seules, renchérit Skade aux yeux bleus.
– Nous allons dans un endroit beaucoup trop dangereux pour les enfants, intervint Siegfried.
– Monsieur l’humain s’il vous plait, supplia Sylveig, nous n’avons plus de maman et papa a disparu, laissez nous venir avec vous. »

En voyant les bouilles suppliantes des jeunes renardes, Bård sentit son coeur chavirer. Constatant qu’elles avaient en lui un allié potentiel, elles prirent soudainement leur forme humanoïde, tout en gardant leurs oreilles et leur queue de renard, et s’agrippèrent désespérément à lui. « S’il te plait monsieur l’humain ! » persistèrent elles en choeur tout en se collant à lui et frottant leurs petites têtes rousses contre son torse. « Ne nous abandonne pas ! » Fen se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de rire. Son protégé n’avait aucune chance face à de tels arguments. Elle jeta un coup d’oeil à Siegfried et lui adressa un signe de tête. Il inclina la sienne et, sans mot dire, se mit en route. La louve le suivit et les corbeaux s’envolèrent dans leur sillage. « Si je vous laisse venir avec moi, vous me promettez de faire tout ce que je vous dis et d’être sages ? leur signifia-t-il à leur grand soulagement.
– Oh oui ! » roucoulèrent elles. Bård soupira. Il serait toujours temps de les dissimuler dans un coin si la confrontation avec Ull se faisait trop imminente. Les mini fillettes toujours dans ses bras, il se dépêcha de rejoindre Fen.

NaNoWriMo 2014 jour 13 : Bård

Disposant à présent de toute leur attention, elle descendit à leur rencontre. « Nous essayons de faire entendre raison à ce renard. » Répondit l’un des hommes. Il arborait une moustache noire touffue et une grande quantité d’anneaux d’or ornaient ses doigts. « Pourrions nous savoir ce qu’une voyageuse fabrique par ici toute seule ?
– Je chasse les chasseurs de vanes, répondit elle sur le ton de la conversation.
– Haha, voyez vous cela. » Se gaussa le moustachu. Ses compagnons rirent en écho. « Et que crois tu pouvoir faire contre nous, au juste ?
– Mmmh, et bien je dois pouvoir vous couper en rondelles, fit elle mine de réfléchir en agitant négligeamment l’une de ses lames devant elle.
– Toute seule contre nous tous ? s’étonna l’un des hommes.
– Elle doit être un esprit elle aussi, supposa un autre.
– Nous t’avons entendu hurler comme un loup, reprit celui à la moustache noire. Vas tu déchaîner tout tes pouvoirs de louve géante pour nous combattre ?
– Tous mes pouvoirs ? » Fen partit dans un grand rire. Glacial. « Pas besoin de mes pouvoirs de vane pour tous vous mettre à bas. » Gronda-t-elle. Tandis qu’elle jouait son petit numéro, la louve espérait que Bård avait réussi à mener la renarde à l’écart. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait plus discerner son protégé. Elle se mit en garde, défiant du regard les hommes armés de piques et de filets. Elle devrait peut être se métamorphoser en loup pour s’enfuir ; se faire capturer et mener à Ull ne serait pas très utile à la cause des deux fils de la Dame Doelyn.

« Puisque tu insistes, nous aurons deux vanes à présenter au Seigneur Ull au lieu d’un seul, se réjouit le moustachu.
– Chef ! l’interrompit quelqu’un. Le renard s’enfuit !
– Comment ? Rattrapez le ! Ordonna l’homme. Vous cinq, restez avec moi et attrapons celle là ! » Ils fondirent sur Fen qui, utilisant ses épées comme elle utilisait ses crocs en tant que louve, avait de quoi les recevoir. Tandis qu’elle parait les assauts, elle s’inquiétait. Pourquoi avaient ils été capables de voir la renarde s’enfuir ? Elle aurait du se trouver largement hors de vue avec Bård. Quelque chose ne tournait pas rond. Et elle devait s’en assurer. Devait elle se changer en loup pour éclaircir tout cela le plus rapidement possible ?

Son précieux chargement dans les bras, l’adolescent courait à en perdre haleine. Ignorant le vent glacial qui faisait pleurer ses yeux, les obstacles au sol qu’il ne voyait pas et qui lui écorchaient les jambes, l’air froid qui lacérait ses poumons. Il finit par se rendre compte qu’il n’était plus suivi. « Mince ! lâcha-t-il tout haut.
– Maman dit qu’il ne faut pas dire des grossièretés, intervint un filet de voix encore un peu apeuré qui provenait de ses bras.
– Où est elle d’ailleurs ? demanda une deuxième petite voix.
– Maman ? appela la première voix.
– Chut, taisez vous. » Leur intima Bård. Deux têtes de toutes petites filles émergèrent de chaque côté des bras de l’adolescent pour regarder curieusement derrière lui, l’une de ses yeux bleu ciel et l’autre de ses yeux vert émeraude. Des oreilles veloutées de renard jaillissaient de leurs opulentes chevelures rousses.

« Monsieur l’humain, maman n’est plus là, reprit la petite renarde aux yeux verts. Arrête toi !
– Mamaaan ! chouina la deuxième.
– Fermez vos clapets à la fin ! » S’emporta le garçon. Il s’arrêta néanmoins, essoufflé, tandis que les petites s’agrippaient à lui, tremblantes de s’efforcer de se retenir d’appeler leur mère. « C’est bien, les encouragea-t-il. Continuez de ne pas faire de bruit. » Il jeta des coups d’oeil tout autour de lui afin de chercher un endroit où il pourrait laisser les petites en sécurité pour retourner sur ses pas voir ce qu’il en était. Il jeta son dévolu sur un épineux touffu. Mais, au moment de grimper, il se rendit compte que sans ses bras, cela s’annonçait difficile. « Accrochez vous à mes épaules, leur demanda-t-il. Nous allons nous cacher là haut. » Les fillettes lui obéirent et escaladèrent le dos du garçon jusqu’à ses épaules, leurs queues flamboyantes et touffues se balançant au rythme du déplacement de Bård. Lorsqu’il se fut assuré qu’elles se tenaient solidement à lui, il grimpa lestement de branche en branche. Une fois suffisamment haut pour que qui que ce soit se trouve dissimulé aux regards indiscrets qui regarderait du sol, il déposa son chargement, qui se retransforma en deux petites renardes apeurées. Il les installa dans un creux du tronc et s’apprêta à redescendre. Mais les toutes jeunes vanes se mirent à pousser des gémissements plaintifs. « Je serai vite de retour, leur promit il pour les consoler. Je vais juste voir ce qu’il se passe derrière.
– Mais il fait froid ici, monsieur l’humain, se plaignit celle aux yeux bleus.
– Froid ? » L’adolescent récupéra l’une de ses fourrures et les enveloppa à l’intérieur. « Voilà, vous êtes au chaud et en sécurité. Maintenant plus un bruit, je reviens vite. »

Il se laissa chuter de branche en branche jusqu’en bas et rebroussa chemin. Où se trouvait donc cette renarde ? Elle le talonnait à peine quelques instants auparavant. Il finit par repérer l’endroit où leurs traces s’étaient séparées. D’ailleurs, les poursuivants étaient tellement stupides qu’ils n’avaient même pas suivi sa série de traces à lui. Ils s’étaient visiblement concentrés sur la proie la plus grosse : la vane. Tout en restant attentif aux bruits alentours, ils les suivit à son tour. Il entendit une clameur dans la direction des traces. Il pressa le pas et déboucha sur une falaise surplombant un fjord. Il se laissa tomber par terre car, sur ce terrain découvert, une dizaine d’hommes acculaient de nouveau la vane renarde. Elle était près de tomber dans le vide, mais ses chasseurs ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils avaient jeté plusieurs filets sur elle et s’efforçaient de la hâler. Mais elle tenait bon. Soudain, son regard croisa celui de Bård. « Tient ta promesse ! » Lui lança-t-elle par dessus le brouhaha. Sur ces mots, elle prononça des paroles étranges, et une brume orangée enveloppa ses assaillants, les hébétant. « Venez avec moi. » Leur enjoignit elle d’une voix charmeuse avec un petit rire de gorge. Puis elle les entraîna tous dans le vide. L’adolescent cria et se précipita. Mais il était trop tard. Ils s’écrasèrent tous plusieurs dizaines de mètres plus bas. « Non… » gémit il. En pensant aux petites renardes, les larmes lui montèrent aux yeux et il percuta le sol de son poing le plus fort possible. Il s’arracha bientôt au spectacle macabre qui s’offrait en contrebas et fit demi tour. Il avait des petites filles à réconforter. Il aurait grand besoin de Fen pour l’aider. Elle aurait d’ailleurs déjà du le rejoindre. Que pouvait elle donc bien faire ?

Encerclée, Fen ne pensait pas qu’elle pourrait tenir longtemps le rythme. Elle avait déjà blessé au moins deux des chasseurs et, pour le moment du moins, aucun n’était parvenu à la toucher elle. Elle n’avait pas trop de deux épées. La vane commençait à caresser sérieusement l’idée de se métamorphoser pour s’enfuir, mais aussi pour retrouver Bård et la renarde qui avaient écopé de beaucoup trop de poursuivants. Elle s’inquiétait. Une estafilade lui rappela douloureusement qu’elle n’avait pas le temps de s’inquiéter pour autrui. Elle perdait trop de temps : elle devait se changer en loup. Au moment où elle allait entamer sa métamorphose, deux masses noires s’abattirent sur deux des assaillants, les aveuglant et un troisième se retrouva avec une corne de narval plaquée d’acier qui jaillissait de son cou. Fen profita de l’occasion pour se défaire des deux restants, tandis que Siegfried mettait à mort ceux qui se débattaient avec Svart et Mørk. « Voilà bien une chose qui m’avait manquée, déclara l’aelfe en guise de salutations.
– De quoi, les massacres ? s’enquit fraîchement la vane.
– Non, de faire des activités avec toi.
– Il y a plus ludique, comme activité, nota Fen qui était agréablement surprise de voir Siegfried et de ses propos. Mais que t’est il arrivé ? » Le visage auparavant parfait de l’aelfe s’ornait à présent d’une grande balafre qui courait depuis sa tempe jusqu’à son menton.

« Une mauvaise rencontre, éluda-t-il en grimaçant. Et pour toi ?
– Oh, ça, dit elle en soulevant son bras bandé avec soin par Bård. Une morsure. Mais lui est mort.
– Qui ? Bård ?
– Non, celui qui m’a mordue, précisa Fen. Tu penses bien que je n’aurais pas laissé mourir quelqu’un sous ma protection. En parlant de Bård, je suis surprise de t’entendre l’appeler par son prénom. » Siegfried ne répondit pas et son visage afficha l’impassibilité. La louve supposa que malgré ces sept années, il n’avait toujours pas digéré l’existence de son demi frère. Quel aelfe têtu. « Je dois le retrouver, s’inquiéta-t-elle. Aurai je le plaisir de te voir m’accompagner ?
– Oh oui je pense qu’il t’accompagnera, s’exclama Mørk avec toute la candeur du monde. Le maître se demandait ce que devenait ce petit humain effronté que sa mère lui avait donné comme frère. C’est bien comme cela qu’il l’a dit, n’est ce pas Svart ?
– Tais toi, soupira sempiternellement le deuxième corbeau.
– Je viendrai avec toi, déclara Siegfried. Mais seulement parce qu’il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas pu passer un moment ensemble. Les humains te prennent beaucoup trop de temps. »

Fen sourit et se mit à courir dans la direction qu’elle supposait que Bård avait prise. Les corbeaux s’envolèrent à sa suite et l’aelfe se mit à sa hauteur. « N’irais tu pas plus vite en tant que loup ? lui demanda Siegfried.
– J’ai accepté de ne pas le faire, expliqua la louve. Ton frère craignait que ma blessure guérisse mal si je changeais sans cesse de forme.
– Et tu te plies à sa volonté ?
– Il avait raison, sous ma forme à deux pattes ça utilise moins de bandages. C’est lui qui m’a soignée, sais tu ? » Ils s’arrêtèrent à l’endroit où deux séries de traces dans la neige se séparaient. Fen huma l’air. Bård pouvait se trouver aussi bien dans une direction que dans l’autre. Siegfried se pencha alors sur le sol pour étudier les marques de plus près.

« Il a fait plusieurs allers et retours, estima l’aelfe. Mais les traces les plus récentes montrent cette direction. » Il désignait la direction que l’adolescent avait prise avant qu’il ne décide de choisir un arbre pour cacher son précieux chargement. Siegfried et Fen coururent le long des marques, puis s’arrêtèrent. Bård venait à leur rencontre. Il avait l’air abattu et portait un paquet de fourrures. Les corbeaux voletèrent autour de lui en guise de salutations, puis se perchèrent sur des branches proches. L’adolescent esquissa un faible sourire en voyant sa protectrice, mais hésita en voyant son demi frère. Celui ci revêtit son masque d’impassibilité tandis que la vane s’approchait pour vérifier si le garçon était blessé.

« Tu n’as rien, constata-t-elle avec satisfaction. Où est la renarde que nous avions décidé de sauver ?
– Et bien… » Bård chercha ses mots. Il ne savait pas comment annoncer la triste nouvelle. « Elle s’est jetée dans le vide avec ses ennemis.
– Oh… s’attrista la louve. « Que transportes tu ?
– Un trésor qu’elle m’a dit de garder. » Répondit l’adolescent en dévoilant le contenu de son paquet de fourrures. Les petites renardes étaient enroulées l’une autour de l’autre et dormaient comme seuls les bébés savent le faire. « Quand je suis retourné les chercher après… bref, reprit difficilement Bård. Quand je suis retourné les chercher, elles s’étaient endormies. Qu’allons nous faire d’elles ? Elles sont trop petites pour rester toutes seules… » Fen se doutait que la situation des toutes jeunes vanes lui rappelait la sienne propre, ce fameux jour où elle l’avait pris sous son aile. L’adolescent referma délicatement les fourrures pour qu’elles ne souffrent pas du froid et jeta à la louve un regard suppliant.

« T’attendrais tu à ce que j’ai une solution ? s’enquit curieusement la vane. Que penses tu que nous devrions faire, toi ?

NaNoWriMo 2014 jour 12 : Bård

Une lumière éblouissante jaillit de nouveau de l’épée, accompagnée de flammes. Grâce aux flammes il alluma son petit foyer. Ceci fait, il rangea soigneusement son arme et jeta un regard triomphant à sa compagne. « Réjouissons nous que Nurri t’ait forgé cette épée magique, commenta la vane avec un fin sourire. Tu n’as jamais été très doué pour faire partir un feu de la manière classique.
– Vilaine moqueuse, la rabroua Bård en lui tirant la langue.
– Bah, au moins nous pourrons dormir au chaud, maintenant que je n’ai plus le droit de porter ma fourrure.
– Oui, approuva l’adolescent. C’est vrai que nous manquons de fourrures, nous autres sur deux pattes. Ce doit être pour cela que nous avons pris l’habitude de piquer la fourrure des autres. » Comme pour souligner ses dires, il se blottit dans les fourrures qui lui servaient de manteau. « Il reste une fourrure si tu as froid, ajouta-t-il.
– Je survivrai, dit Fen en contemplant le bandage de son bras. Tu devrais peut être dormir à présent.
– J’ai faim, se plaignit le garçon. Nous aurions du chasser un truc en route.
– Tu sais ce que vous dites, qui dort dîne, rappella-t-elle. Peut être rêveras tu de l’un des repas que Beyla nous concoctait. »

Bård grogna mais fit néanmoins ce qui lui avait été dit. Il se roula en boule dans ses fourrures près du feu et s’employa à s’endormir. Fen le contempla un moment avec tendresse. Et tristesse, aussi. Quel était ce monde dans lequel un jeune louveteau avait du passer sa tendre enfance à apprendre à tuer pour ne pas être tué au lieu de jouer et de profiter de son insouciance ? Elle soupira intérieurement. Elle s’installa ensuite dos au feu et face à l’entrée camouflée, le nez attentif aux fragrances qui provenaient de l’extérieur. Ses pensées s’envolèrent vers Siegfried. Lorsqu’ils le retrouveraient, accepterait il enfin l’existence de son petit frère ou allait il continuer de s’enferrer dans ses rancunes à l’encontre des humains ? Il pouvait parfois se montrer têtu, cet aelfe. Mais au bout de sept années, il avait largement eu le temps de prendre du recul. L’odeur, dehors, changea. Le vent se levait. Le blizzard commençait à hurler. Fen plissa les yeux. Ils avaient bien fait de rester profiter de l’abri de cette caverne. Ull ne devait pas se trouver très loin d’ici, sinon comment expliquer ce blizzard à l’orée du printemps ? Elle ne devrait pas fermer l’oeil, ses sbires devaient grouiller dans le coin. Machinalement, elle porta les mains sur les pommeaux de ses armes.

Un bruit alerta soudain ses sens de louve. Il s’agissait d’un petit bruit saccadé comme… comme des couinements de douleur ou des sanglots, réalisa-t-elle. La vane se retourna. Le monceau de fourrures de l’adolescent tressautait. Et, d’un coup, il se redressa en criant. « Non ! Laissez moi ! C’est vous qui nous avez attaqués, je ne faisais que nous défendre !
– Bård, appela Fen. Bård ? Réveille toi, ce n’est qu’un cauchemar…
– Fen ? » Il émergeait enfin et jeta des regards effarés tout autour de lui. « Je…
– Calme toi, tu rêvais.
– C’était un horrible cauchemar, dit il. L’homme qui a cloué mon père au mur et l’archer et les autres… Ils étaient tous là, tous ceux que j’ai tués et ils voulaient me rendre la pareille.
– C’est normal, tout le monde ne s’improvise pas tueur Bård, lui expliqua la vane pour l’apaiser. Le fait que tu dormes sur tes deux oreilles après avoir commis un tel massacre, ça, ça m’aurait inquiétée. Ta réaction est tout à fait normale et tes cauchemars te suivront un certain temps.
– Tes victimes te donnent elles des cauchemars à toi aussi ? s’enquit l’adolescent.
– Non, avoua Fen. Mais c’est normal, en tant que loup, je ne réagis pas de la même façon que toi.
– Alors comment sais tu tout ça ? Pour mes rêves et qu’ils vont continuer ?
– Sigurd m’en a parlé un jour, répondit elle.
– Il faisait aussi des cauchemars ? s’étonna-t-il.
– Cela lui arrivait, oui. » Confirma la vane. Le fait de savoir que même son père, qu’il considérait comme un grand guerrier courageux, cauchemardait, rassénéra le garçon. Ainsi, il n’était pas pleutre. Ces cauchemars étaient tout ce qu’il y avait de plus naturel. La seule mauvaise nouvelle étant qu’il devait s’attendre à cauchemarder de nouveau. Il soupira.

« Père ne t’a jamais dit comment on pouvait se débarrasser des mauvais rêves ?
– Non, répondit Fen. Je doute qu’il ait su lui même si c’était possible.
– C’est bien dommage, soupira Bård.
– Tout va bien à présent ? s’enquit la louve. Vas tu te rendormir ?
– Je vais essayer. » Promit l’adolescent. Il s’enfouit de nouveau dans ses fourrures, se roula de nouveau en boule près du feu qui brûlait encore et chercha le sommeil. Au bout de quelques minutes, il dormait de nouveau et la vane reprit sa garde. La nuit se déroula heureusement sans autre incident. Au petit matin, voyant qu’aucune lumière ne filtrait par l’entrée de la caverne, Fen se leva et risqua le nez dehors. Elle se heurta alors à un mur blanc qui bloquait l’ouverture. L’oeuvre du blizzard de la nuit. Au moins, la grotte ne pouvait pas mieux être dissimulée aux regards indiscrets. La vane enfonça son bras dans la couche de neige pour mesurer la quantité et, à son grand soulagement, le mur ne s’avéra pas très épais. Elle s’employa alors à secouer le guerrier en herbe qui dormait toujours à poings fermés.

« Debout ! » Il émit un grognement indistinct en réponse. « Je sais qu’il fait sombre, reprit Fen, mais c’est le matin. Et maintenant que nous sommes obligés de marcher sur deux pattes, tu ferais mieux de te réveiller maintenant parce que nos trajets vont s’avérer bien plus longs.
– Déjà ? gémit il.
– Oui, déjà. » En vue de l’encourager, elle lui ôta son nid de fourrures chaudes et douillettes. Comme le feu était éteint, il faisait froid et il frissonna. « Bien dormi ? s’enquit Fen qui se doutait de la réponse au vu des cernes qui ornaient les yeux du garçon.
– Je dirai que ça dépendait des moments, soupira-t-il. J’ai encore été hanté par les morts… Crois tu que si nous les avions enterrés ils me laisseraient tranquille ?
– Non. » Répondit abruptement la vane. Inutile qu’il se fasse des illusions : il allait être obligé d’assumer ses actes. Et c’était un acte d’importance que d’enlever sa vie à quelqu’un. Enfin, c’est ce que la louve supposait. Elle même ne causait jamais une mort inutile, en tous cas de son point de vue. « Quoiqu’il en soit, lève toi, nous devons y aller.
– J’ai faim, se plaignit Bård tandis que son estomac gargouillait pour souligner ses propos.
– C’est pour cela qu’il faut que tu te dépêches, insista Fen. Plus vite tu seras prêt, plus vite nous pourrons trouver quelque chose à nous mettre sous la dent. » Cet argument parut faire mouche et l’adolescent fut paré en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Pendant ce temps la vane s’occupait de faire tomber le mur de neige et de sortir inspecter les abords de leur abri. Comme à son habitude, elle renifla les alentours. Aucune odeur suspecte ne rompait l’harmonie de l’atmosphère, si ce n’est celle de la neige encore très présente alors que des bourgeons devraient normalement éclore un peu partout. Elle s’étira. Son jeune compagnon la flanqua et se mit à bâiller. « Quelle fine équipe nous formons ! s’exclama Bård en pouffant de rire.
– Oui, Ull n’a qu’à bien se tenir, ajouta Fen avec un clin d’oeil.
– J’aimerais bien que nous ayons un moyen de trouver Siegfried plus facilement, souhaita l’adolescent tandis qu’ils se mettaient en route. Où allons nous, au fait ?
– Il y a une piste toute fraîche de lapin des neiges, là, pointa la louve.
– Oh oui, du lapin au petit déjeuner, se réjouit le garçon d’un ton mi figue mi raisin. Les petits gâteaux de Beyla me manquent soudainement. Ah ! Me voilà atteint du mal du pays !
– Déjà ? se moqua sa compagne. Cesse de faire l’idiot sinon nous allons le manquer. Et puis l’île du forgeron des étoiles n’est pas un pays. »

Ils pistèrent le lapin et y mirent tellement de coeur, qu’en cinq minutes ils l’avaient attrapé et dévoré. « C’est étrange, commenta Bård, lorsque je tue un lapin ou n’importe quel autre gibier, ils ne viennent pas me hanter, eux.
– La nourriture ne hante pas, fit doctement remarquer la louve. Foi de prédateur. » Le garçon hocha la tête en se léchant les doigts. Fen reprit : « Je songeais à ton souhait d’avoir un moyen plus simple de retrouver ton frère.
– Oui ?
– Et bien, n’aurais tu pas un moyen de détecter sa position avec ton épée magique ?
– Oh… » L’adolescent en resta bouche bée. Il n’avait pas pensé à l’éventualité d’utiliser son épée comme autre chose que comme une arme. Cela ne l’avait même pas effleuré, mais lui ouvrait à présent tout un champ de perspectives intéressantes. « Je… Et bien peut être bien, il faut que je réfléchisse. » Tandis qu’il mettait son esprit au travail en inspectant les runes de son anneau, la vane les fit reprendre leur trajet un peu sans but. Etant donné le froid ambiant, elle ne voulait pas qu’ils restent trop longtemps inactifs : marcher les tiendrait au chaud. « Je ne sais pas si je peux trouver Siegfried, déclara son petit frère. Mais je pense avoir un moyen de trouver Ull.
– Fort bien, le félicita fraîchement Fen. Mais trouver Ull ne nous sera pas d’une très grande utilité si nous ne sommes pas avec ton frère. Ta mère avait bien insisté sur le fait que vous deviez agir ensemble.
– C’est à lui qu’il faut dire ça, se défendit Bård une fois de plus. Je n’avais rien contre l’idée de m’allier avec lui, moi. » Et il ajouta en marmonnant : « Et toujours pas d’ailleurs. »

En effet, songea la vane par devers elle, le petit frère aurait bien voulu avoir l’opportunité de rester avec le grand et, surtout, d’obtenir son approbation. Fen ne comprenait toujours pas trop pourquoi, mais Bård avait désespérément besoin que son frère soit fier de lui. En lieu d’approbation, Siegfried l’avait tout simplement rejeté et l’adolescent en avait beaucoup souffert. Interrompant ses réflexions, le fin odorat de la louve distingua soudainement une fragrance familière de renard et son ouïe perçut une agitation un peu plus loin. Elle signala à son protégé de se montrer le plus discret possible et, aussi silencieux que des ombres, ils se rendirent avec curiosité vers l’origine du bruit, qui détonnait avec le silence ambiant. Ils rampèrent jusqu’en haut d’une petite dénivellation de terrain et, derrière, le spectacle qui les attendait n’était pas pour leur plaire. Des hommes armés de filets et de piques encerclaient une vane renarde, l’acculant devant l’entrée de sa tanière. Elle montrait les crocs, bien décidée à ne pas se laisser faire, mais il était clair qu’elle se trouvait submergée par le nombre. « Nous ne pouvons pas les laisser lui faire du mal, murmura le garçon. Ils veulent l’emmener à Ull. »

Fen le savait aussi bien que lui. Elle mesura leurs chances. Puisqu’elle ne pouvait pas se métamorphoser en louve à cause de sa blessure, cela les handicapait fortement pour intervenir. Bien sûr, elle n’avait pas à rougir de ses aptitudes de combattante à deux pattes. Loin s’en fallait. Même Sigurd le lui avait dit. Mais elle ne pouvait pas mettre bas autant de petits humains qu’en étant une louve géante. Evidemment, elle pouvait compter sur la renarde, mais elle répugnait à laisser Bård se retrouver au coeur d’une mêlée. « C’est faisable, admit elle à contre coeur. Mais très risqué.
– Faisons le Fen, la supplia l’adolescent. Ce renard ne tiendra pas longtemps sans aide.
– Bien, accepta finalement la louve. Je vais attirer leur attention sur moi. Pendant ce temps, toi tu fais le tour et tu l’aides à s’échapper discrètement.
– Compris ! » s’enchanta le garçon. Il commença aussitôt à faire le tour de la scène afin de se trouver le plus proche possible de la renarde acculée.

Lorsqu’il se trouva en place, Fen se dressa de toute sa hauteur humaine et poussa un puissant hurlement de loup, qui jeta un froid sur l’assemblée. « Que se passe-t-il par ici ? » s’enquit elle ensuite d’une voix de stentor, une fois qu’elle eût attiré l’attention des humains chasseurs de pouvoir.

NaNoWriMo 2014 jour 11 : Bård

– Tant pis pour toi, concéda l’homme. Je vais te blesser juste suffisamment pour que tu restes en vie et que je puisse t’amèner à mon maître. » Il arma son bras, levant haut son grande épée. Aussi vif que l’éclair, Bård tourna la tête de loup du pommeau de son épée. Celle ci s’illumina d’une lumière flamboyante auréolée de flammèches. Cela surprit l’assaillant une seconde, qui suffit à l’adolescent pour bondir et enfoncer sa lame enflammée dans l’aîne non protégée du meurtrier de son père. Celui ci hurla de douleur. Alors qu’une odeur de chair brûlée se répandait dans l’atmosphère, il laissa tout tomber et se tordit à terre de souffrance. Le garçon contemplait fixement son oeuvre, d’un air mi soulagé, mi horrifié.

Tandis que l’homme exhalait son dernier souffle après une douloureuse agonie, Bård se tourna vers sa protectrice. « Tu n’es pas intervenue.
– En effet, dit elle. Je t’ai vu jouer avec ton anneau, je me doutais bien que tu avais quelque chose en tête. Et puis cet homme… Disons que depuis ces sept ans qu’il m’avait éraflée, il a bien vieilli. Tu étais beaucoup plus vif que lui.
– Mais je manque d’expérience, c’est bien cela que tu vas me dire ?
– Oui, confirma la vane. Mais tu as su compenser ton manque d’expérience avec brio. » En entendant ce compliment, l’adolescent sourit avec fierté. Il nettoya et rangea son épée mais l’anxiété revint bientôt sur son visage encore juvénile.

« Fen, il a dit qu’il avait tué un aelfe avec une sorte de corne… Crois tu qu’il ait réussi à tuer Siegfried ?
– Tuer Siegfried ? » La louve découvrit ses crocs en un sourire ironique. « Et comment aurait il pu en se faisant tenir tête par son petit frère à peine sorti de ses couches ? Non non, je ne pense pas qu’il ait pu tuer Siegfried. Tout au plus a-t-il pu le blesser. De plus, cet homme aurait du amener ton frère encore vivant à Ull. Un cadavre d’aelfe n’a aucune utilité pour le Chasseur.
– C’est vrai, songea le garçon. Peut être qu’il avait réussi à le capturer grâce à un stratagème. Mais si c’était le cas, Siegfried a du parvenir à s’enfuir. C’est certain.
– T’inquièterais tu pour lui ? s’enquit Fen avec curiosité.
– Non ! s’exclama brusquement Bård. J’ai juste besoin de lui pour m’aider à ouvrir des portes.
– C’est cela oui, dit la louve sur un ton qui transpirait l’incrédulité.
– Tu ne me crois pas ! réalisa l’adolescent. Je t’assure que je ne m’inquiète pas pour ce bellâtre !
– Oui oui.
– Je t’assure que non, persista-t-il en reprenant sa place sur le dos de l’animal.
– Oui oui j’ai bien compris, continua la vane toujours aussi railleuse.
– D’ailleurs, en parlant de Siegfried, comment comptes tu le retrouver ? s’enquit le garçon en se disant que cette question suffirait à changer de sujet.
– Je compte tout d’abord visiter quelques lieux où ton frère aime se rendre et que je connais, exposa la louve en se mettant en route afin de laisser leur carnage deerrière eux le plus rapidement possible. Ensuite, si nous ne le trouvons nulle part, c’est qu’il sera probablement parti en guerre tout seul contre Ull.
– Tout seul ? Quel arrogant, commenta le petit frère.
– Certes. Et si il est parti tout seul en guerre contre Ull, il nous suffira de nous rendre là où l’hiver persiste. Car, comme tu le sais, Ull est un ase de l’hiver et la neige le suit de partout.
– Oui, je vois, acquiesça Bård. Si nous ne trouvons Siegfried nulle part, c’est qu’il s’est jeté en plein coeur de l’hiver. » Son jeune cavalier fermement arrimé à son pelage, Fen se mit à courir, comme seuls savent courir les loups : d’une allure souple et rapide qu’elle pouvait maintenir des heures durant.

Elle se rendit d’abord sur le cours, encore gelé, d’un petit ruisseau. Mais elle eût beau renifler en tous sens, Siegfried n’était probablement pas venu ici depuis des lustres. En revanche… Elle sentit Bård se raidir sur son dos et l’entendit tirer lentement son épée de son fourreau. Lui aussi avait remarqué que les alentours se trouvaient bien trop silencieux. Quelque chose n’allait pas, qui devait se trouver sous le vent puisque la truffe expérimentée de la louve ne percevait rien du tout. Une flèche siffla à leurs oreilles. Fen bondit promptement dans les fourrés, quittant vite le danger de la zone dégagée. « Là bas. » Pointa l’adolescent en désignant un gros arbre. Fen aperçut l’archer. Elle fondit sur l’arbre, en zig zagant pour éviter les flèches, et Bård bondit prestement sur la branche de leur ennemi une fois qu’il fut à portée. Maintenant elle les voyait, ceux qui tendaient l’embuscade. Elle en déchira quelques uns, lorsqu’une masse percuta son flanc, l’envoyant rouler près du ruisseau gelé. Lorsqu’elle se releva, elle constata qu’elle se trouvait encerclée par des hommes avec des piques et qu’un renard, presque aussi grand qu’elle, lui faisait face.

« Tu es cernée, l’informa plaisamment le renard.
– J’avais remarqué, rétorqua-t-elle en grondant.
– Pourquoi tant d’agressivité ? déplora le fin goupil.
– Peut être parce que je me suis faite attaquer, suggéra la louve.
– C’est vrai, concéda l’autre vane. C’est pourquoi je vais te proposer de repartir sur de bonnes bases. Viens avec moi et je te présenterai à mon maître, Ull. Une puissante louve telle que toi trouvera certainement une place de choix à ses côtés.
– Oh mais je ne doute pas qu’il veuille me tuer afin d’absorber ma puissance, gronda Fen.
– Ah. Ainsi tu es au courant du grand dessein du maître. Tu devrais donc te précipiter afin de participer à ce nouveau futur sans Ragnarök.
-Pourquoi ne le fais tu pas toi même ? le railla la louve. Je n’ai pas l’intention de mourir pour nourrir le caprice d’un fou.
– Tes mots sont vraiment durs, protesta le renard de sa voix de velour. C’est fort dom… » Il fut interrompu par le cri de l’un des hommes qui encerclaient Fen. « Comment… ? » S’étonna-t-il alors qu’un autre de ses sbires tombait dans la neige en hurlant de douleur, mortellement blessé d’une flèche bien placée.

« Ah, ces loups solitaires, commenta Fen avec une ironie mordante, ils ne sont plus ce qu’ils étaient. » Sur ces propos sibyllins elle se jeta, tous crocs dehors, à l’assaut du renard qui glapit de surprise. Les hommes qui encerclaient précédemment la louve s’étaient égaillés en tous sens, cherchant désespérément à se mettre à l’abri des flèches mortelles qui s’abattaient sur eux. Certains, qui étaient parvenus à se mettre à couvert, commencèrent à en chercher l’origine, mais elles semblaient provenir de toutes parts. Le vane renard se défendait bien ; il était agile et rusé. Mais la louve se trouvait également une combattante expérimentée. Elle avait déjà battu son content de renards, lynx, ours et autres prédateurs qui en voulaient à ses proies. Il lui mordit profondément la patte avant. En réponse, elle lui planta fermement ses crocs dans l’échine afin de le jeter au loin. Blessés tous les deux, la louve était consciente qu’elle avait encore moins d’agilité que son adversaire, avec sa patte ensanglantée qu’elle ne pouvait presque plus poser par terre. Il était temps d’en finir ; un combat qui s’éternisait pouvait devenir très dangereux. Elle vit que son opposant avait eu la même réflexion. Néanmoins, elle avait toujours l’avantage de la force, ce que devait aussi savoir le renard, mais aucun des deux n’avait plus le choix à présent.

Ils s’élancèrent l’un contre l’autre pour un ultime assaut. Fen parvint à se frayer un passage jusqu’à la gorge du renard, qu’elle mordit avidement avant de le plaquer sur le sol neigeux. Lorsqu’elle desserra son étreinte, son adversaire était encore vivant mais haletait, à l’agonie. « Tu veux savoir pourquoi je capture d’autres vanes pour Ull, n’est ce pas ? souffla-t-il. Je n’ai pas vraiment eu le choix. Il sait où se trouve ma tanière avec ma renarde et mon renardeau. J’ai du lui proposer ce stratagème afin qu’il leur laisse la vie sauve.
– Il aurait fini par tous vous tuer quand même, pointa la louve.
– J’aurai bien… trouvé… un stratagème… » Emit le renard avant que la vie ne le quitte totalement. Fen réprima son envie de pousser un hurlement de loup déchirant. Que de gaspillage de vies.

Elle n’eût pas le temps de s’apitoyer plus avant qu’un filet gigantesque s’abattit sur elle. Fen avait négligé les petits humains qui accompagnaient le vane renard et ceux ci n’étaient pas restés inactifs. Le filet était solide et ni ses crocs, ni ses griffes, ne parvinrent à le déchirer. Ils l’avaient de nouveau encerclée, piques en avant, mais se tenant désormais à une distance raisonnable, tout en restant le plus possible à l’abri des flèches meurtrières qui continuaient de s’abattre sur eux. « Il est là ! » s’exclama soudain l’un d’entre eux en désignant un arbre. « Il se déplace ! » ajouta un second. La louve s’inquiéta : ils avaient fini par repérer son protégé et elle ne pouvait rien faire pour l’aide. Le moindre mouvement qu’elle esquissait l’empêtrait plus dans le filet. Elle gronda de manière menaçante, en espérant attirer l’attention sur elle. Peine perdue, ils étaient suffisamment nombreux pour se répartir les tâches.

Voguant de branche en branche avec agilité, Bård était assez satisfait de lui même. Après avoir égorgé l’archer que Fen l’avait aidé à atteindre, l’adolescent s’était emparé de son arc. Et, après avoir éliminé tous les autres archers qu’il avait pu repérer, s’était occupé de bombarder les assaillants de la louve de flèches. Par contre, à présent que la vane se trouvait prisonnière d’un filet et que ses assaillants l’avaient repéré, il se sentait un peu moins glorieux. Heureusement, il avait encore pour lui d’être plus agile qu’eux et de pouvoir se mouvoir d’arbre en arbre avec presque autant d’aisance qu’un écureuil. Tout en se moquant de ses poursuivants, il réfléchit. Il devait absolument délivrer Fen. Il n’avait pas besoin d’éliminer tout le monde – encore faudrait il le pouvoir – puisqu’une fois qu’elle serait sortie du filet, ils pourraient s’enfuir tous les deux et facilement semer leurs poursuivants. Malheureusement, l’endroit où se trouvait la vane était envahi d’ennemis. La situation devenait trop intenable, lui même commençait à se faire submerger. Il n’était plus temps de réfléchir. Il lâcha l’arc, bondit d’arbre en arbre jusqu’au dessus de Fen, et se laissa tomber sur elle, s’employant à déchirer le filet de son couteau. Revenant de leur surprise et comprenant ce que cherchait le garçon, les hommes armés de piques commencèrent à s’approcher de la louve. Après tout, maintenant ils n’avaient plus besoin de rester à couvert puisque l’archer qui décimait leurs rangs était bien en vue, et ne possédait plus d’arc. Bård s’échina sur les mailles du filet avec l’énergie du désespoir.

Au moment où Fen allait se faire embrocher par des piques agressives, l’intégrité de sa prison se désagrégea et elle bondit en dehors, faisant chuter son sauveur dans sa précipitation. Elle prit juste le temps de le soulever dans sa gueule, comme lorsqu’il était petit, sauta par dessus les rangs piqueux et s’enfuit dans la forêt avec l’adolescent. A cause de la morsure qui la faisait souffrir à la patte, elle ne courut pas très longtemps. Juste suffisamment pour se soustraire aux éventuelles poursuites des humains. Elle déposa délicatement Bård sur le sol et entreprit de lécher ses blessures avec application. « Et bien ! Quelle embuscade ! s’exclama l’adolescent. Penses tu que nous étions attendus ? Ou qu’ils attendaient Siegfried ?
– Nous, lui, ou n’importe quelle autre créature dont Ull pourrait s’arroger le pouvoir, répondit la louve. Je ne pense pas que nous étions visés en particulier. Ce ruisseau est un endroit ou de nombreux vanes et aelfes apprécient de se retrouver. Parfois même les dvergs.
– Pourquoi y avait il un vane avec ces crapules ? demanda-t-il ensuite.
– Parce que pour protéger sa famille, il a du s’allier à Ull et lui amener de quoi devenir plus puissant.
– Oh. » Bård s’interrogea sur ce qu’il aurait fait à la place du renard. Il n’en avait aucune idée. Son premier réflexe aurait été de confronter Ull. Mais un tel chantage changeait assurément la donne. Son regard tomba sur la morsure profonde que sa protectrice arborait à la patte. Il entreprit de la nettoyer avec de la neige et écopa d’un coup de langue affectueux.

« Bon ! lâcha la louve. Je pense que ma première idée pour retrouver ton frère tombe à l’eau. De plus, il a du se retrouver confronté au même type de déboire que nous.
– Comment allons nous le trouver dans ce cas ?
– Je ne sais pas, avoua la vane. Suivre ma deuxième idée je présume. Chercher la neige jusqu’à tomber sur lui.
– Cela me parait hasardeux, commenta l’adolescent.
– A moi aussi. Mais avec un peu de chance, nous pourrons rencontrer Svart ou Mørk. Ceux là sauront certainement où se trouve Siegfried. » Dans tous les cas, ils n’avaient pas vraiment de choix plus attirant.

« Avant cela, nous devrions peut être mettre encore plus de distance entre nous et ces fils de catin qui nous poursuivent probablement, suggéra Bård. Ainsi tu pourrais te remettre un peu de tes blessures.
– Faisons cela, c’est une bonne idée. » Estima Fen. Le garçon monta de nouveau sur son dos et, en boitillant, la louve aborda un petit trot efficace. Ils sortirent de la forêt pour longer un affleurement montagneux. La vane émit soudain un petit bruit de satisfaction en voyant au loin ce qui paraissait être l’entrée d’une grotte. L’adolescent se réjouissait aussi, il avait bien envie d’une pause. Cela avait beau être leur premier jour de voyage, ils avaient déjà des blessures à panser et essuyé deux combats. Il espérait que la suite ne serait pas aussi mouvementée.

« Tu sais, déclara-t-il à la louve une fois qu’ils se furent installés à l’abri, je pense que nous devrions essayer de nous montrer particulièrement discrets.
– C’est également mon avis, acquiesça la vane.
– Du coup, je pense que nous devrions nous promener à pieds d’homme, si tu vois ce que je veux dire.
– Je ne sais pas si cette proposition me plait, repartit Fen qui préférait sa forme lupine.
– Je m’en doute bien, tempéra le garçon. Mais une louve géante telle que toi ne passe pas inaperçue, surtout pour des gens qui en recherchent activement. De même que je ne passe pas inaperçu non plus en chevauchant une telle monture.
– Je ne suis pas une monture, signala la louve. Je te porte parce que j’en ai envie, pas parce que tu m’as dressée à le faire.
– Oui oui, je sais bien, mais tu vois ce que je veux dire.
– Oui, ronchonna la vane que la douleur sous jacente de sa blessure rendait un peu bougonne.
– Je vais soigner la morsure de ta patte, précisa l’adolescent. Mais avant il faudrait que tu te décides si tu prends ta forme humanoïde ou pas. Parce que tu sais bien que Beyla disait que tu vas mal cicatriser si tu changes sans cesse de forme. »

Fen claqua sa mâchoire et rétrécit. Tandis qu’elle devenait presque humaine d’apparence, Bård fouillait dans son sac à dos à la recherche de la petite trousse de soin que la femme du forgeron des étoiles avait laissé à leur intention. Ses oreilles pointues lui donnaient une apparence aelfique. Mais ses mains griffues, lorsqu’elle quittait ses gants, et ses crocs, lorsqu’elle souriait, ne laissaient aucun doute sur sa nature sauvage. Une fois qu’il eût trouvé ce qu’il cherchait, la vane releva sa manche et déclara en grimaçant : « Fait ton oeuvre, petit d’homme.
– L’avantage de te soigner lorsque tu fais cette taille, nota l’adolescent, c’est que je vais utiliser bien moins de bandages.
– Hmpf, grommela Fen en réponse.
– Allez, arrête de t’en faire, continua-t-il. Je pense que nous devrions inventer une histoire pour les gens qui nous poserons des questions.
– Bien que l’idée de croiser des gens ne m’enchante pas, je pense que tu as raison, concéda la vane. Nous devrions être parés à toute éventualité. Je dois dire que je n’avais pas mesuré que le monde se trouverait dans un tel chaos. J’ai peut être trop attendu.
– Peu importe, balaya Bård avec l’insouciance propre aux personnes de son âge. Veux tu être ma soeur ou ma mère ou ma tante ? » L’idée paraissait l’enchanter. Beaucoup plus qu’elle n’enchantait Fen.

« Je ne te ressemble pas assez pour être ta mère ou ta soeur, finit elle par dire. En revanche je pense que je peux passer pour être ta tante.
– Va pour ma tante ! se réjouit l’adolescent en terminant de bander la blessure de sa nouvelle tante auto proclamée. Et, du coup, tu serais la soeur de mon père ou de ma mère ?
– Disons de ton père, puisque je l’ai bien mieux connu que ta mère, suggéra-t-elle.
– Oui mais nous ne cherchons pas forcément la vérité, rappela Bård.
– Tout mensonge est plus crédible s’il est proche de la vérité.
– Vraiment ? s’étonna l’adolescent. Et bien d’accord. Tu es désormais ma tante, soeur de mon défunt père. Comment aurait il pu mourir d’ailleurs ? Tué par un ours ?
– Oui, cela me parait crédible. Et ta mère serait morte en couches, ajouta la vane. Ainsi nous avons toute l’histoire.
– Elle est simple à retenir, cela ne va-t-il pas paraitre trop basique ?
– Bien sûr que si, et comme ça nous resterons discrets, expliqua Fen. Il n’y a rien de moins discret que des gens qui ont des vies romanesques à raconter.
– Mmmh, dommage, soupira le garçon. Mais en parlant de discrétion, tu devrais faire quelque chose pour dissimuler tes oreilles pointues. »
La vane fouilla dans ses poches et en sortit un bandeau qu’elle passa de manière à dissimuler les pointes de ses oreilles. « Est ce mieux ? s’enquit elle.
– Tout à fait mieux, approuva Bård avec satisfaction.
– Tes oreilles sont aussi légèrement pointues, lui fit remarquer Fen.
– Oui, mais si je garde mon bonnet, ça devrait aller.
– En effet, concéda-t-elle. Et bien, nous voilà d’apparence la plus humaine possible.
– On dirait bien, approuva l’adolescent. Il ne faut pas que les gens nous regardent de trop près, mais nous devrions pouvoir passer à peu près inaperçus.
– Veux tu reprendre notre voyage ou passer la fin de la journée ici ? lui proposa la vane.
– Je ne sais, hésita-t-il. D’un côté je n’ai pas envie de perdre du temps, mais d’un autre, je doute que nous trouvions un meilleur abri que celui ci pour la nuit. » De plus, même si il ne voulait pas l’avouer, il préférerait que Fen se repose dès à présent afin que la morsure que lui avait infligée le renard se guérisse plus rapidement. Si elle prenait du repos dès maintenant, peut être qu’elle serait presque totalement guérie le lendemain.

Elle posa soudainement sa main sur la tête du garçon et lui sourit de manière rassurante. « Restons ici ce soir, car ce sera probablement notre dernière soirée tranquille. Qui sait ce qui pourra nous arriver demain ? » Bård hocha la tête avec un sourire de soulagement. Même si il s’estimait trop grand pour ce genre d’effusions, il se pendit à son cou. Car, tout de même, c’était parfois bien agréable d’agir en petit garçon avec quelqu’un pour prendre soin de vous. Elle le serra tendrement dans ses bras et reprit : « Nous feras tu du feu ?
– Et si quelqu’un nous voyait ? s’inquiéta l’adolescent.
– Ne t’inquiètes pas pour ça, fait nous du feu dans ce petit recoin et moi, je vais m’occuper de dissimuler l’entrée. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Tandis que le plus jeune rassemblait du bois, la vane rassemblait des pierres et des branchages pour camoufler l’entrée aux éventuels regards curieux. L’atmosphère sentant la neige à plein nez, elle ne s’inquiétait pas trop pour cela. Le blizzard qui s’annonçait les cacherait efficacement à la vue de quiconque serait assez fou pour le braver. Néanmoins, il en était d’autant plus essentiel de calfeutrer la petite grotte.

Lorsqu’elle rejoignit de nouveau son protégé, il avait assemblé un petit foyer et sorti son épée. « Que comptes tu faire avec ton arme ? s’enquit curieusement Fen. Tuer le bois ?
– Bien sûr que non, pouffa l’adolescent, il est déjà mort. » Il tira la langue. « Non, je veux voir si je peux réussir à allumer mon feu grâce à la rune du soleil.
– C’est cette rune là que tu as utilisée contre le meurtrier de ton père ? supposa la vane.
– Oui, tout à fait. » Confirma-t-il. Il plaça de nouveau l’encoche de son anneau devant la rune du soleil et tourna la tête de loup du pommeau.

NaNoWriMo 2014 jour 10 : Bård

Les deux dvergs continuèrent de se montrer des hôtes exemplaires, entretenant leurs invités de conversations intéressantes et leur aménageant un coin douillet pour passer la nuit. Puis, ce fut l’heure du repos. Mais, malgré toute la fatigue qu’il éprouvait, Bård ne réussissait pas à trouver le sommeil ; tous les évènements de la journée tournaient sans cesse dans sa tête, menaçant de lui donner la migraine. « Fen ? » s’enquit il en espérant qu’elle ne dormait pas. Elle répondit par un grognement indistinct. Il reprit : « As tu toujours mal à l’endroit où je t’ai blessée ? » Il savait qu’elle souffrait terriblement de l’épaule puisque, couchée sur le côté, elle lui tournait le dos afin de ne pas s’appuyer dessus.

« Non petit d’homme, tu ne m’as infligé qu’une infime éraflure, elle sera guérie demain, le rassura-t-elle.
– C’est vrai ? insista-t-il.
– Bien sûr que c’est vrai, confirma la vane. De toutes façons, même si je sentais une gêne à ce niveau là, elle serait éclipsée par la douleur de la blessure que je dois à la corne de ton frère. Dors à présent et si c’est ce qui te taraude : ne t’inquiètes pas, si jamais quelqu’un entrait ici, il devrait me marcher dessus pour pouvoir t’atteindre. » En effet, elle l’avait installé près du mur et elle même s’était couchée entre lui et le reste du monde. « Rassuré maintenant ? s’enquit elle.
– Oui, souffla le garçon. Dans combien de temps ta blessure à l’épaule sera-t-elle guérie ?
– Je ne sais pas, répondit Fen. Ne t’embarrasse pas pour ça, j’en ai connu d’autres. Tu ne veux toujours pas dormir ?
– Je vais essayer, promit l’enfant. Bonne nuit Fen.
– Bonne nuit Bård. »

Le lendemain matin, lors d’un copieux petit déjeuner, Nurri leur demanda ce qu’ils comptaient faire dorénavant. Le garçon ne répondit pas. Il aurait bien aimé rester chez Beyla et le forgeron des étoiles tant il appréciait l’ambiance chaleureuse et douillette de leur foyer. Mais sa raison lui disait que ce ne serait probablement pas possible. Et puis, sa mère avait écrit que Ull était à sa recherche, il n’aimerait pas que cette petite maison et ses habitants soient ravagés par la colère de l’ase. Ne sachant que dire, il se tourna vers sa protectrice, qui saurait certainement qu’elle serait la meilleure conduite à adopter. Mais celle ci paraissait aussi hésitante que lui. Le dverg, voyant leur indécision, leur suggéra : « Si tu veux mon avis, jeune Bård, vous feriez bien de rester quelques jours ici. Ainsi ton chaperon pourrait récupérer de sa blessure à l’épaule et peut être que je pourrai te forger un petit quelque chose pour t’aider à te défendre contre Ull. » L’enfant n’en croyait pas ses oreilles. Son visage afficha un grand sourire tandis qu’il réalisait qu’il allait pouvoir rester ici quelques temps. Il se tourna de nouveau vers Fen d’un air interrogateur.

« Cela me convient, acquiesça-t-elle en le considérant pensivement. Nous pourrons en profiter pour continuer de t’apprendre les arts du combat.
– C’est vrai, nous pouvons rester ici ?
– Pendant quelques jours du moins, confirma la vane. Et tant que nous ne dérangeons pas nos hôtes.
– Oh mais vous ne nous dérangez pas le moins du monde ! s’enthousiasma Beyla. Restez tant que vous voudrez. »
Dans les jours qui suivirent, Beyla confectionna à l’enfant des vêtements chauds plus adaptés que ceux qu’il portait. Et, fidèle à ce qu’il avait proposé, Nurri lui fabriqua une épée à sa taille pour remplacer son bâton ainsi qu’un petit arc. Pour les remercier de leur généreuse hospitalité, Fen et Bård partaient régulièrement en quête de gibier pour agrémenter leur table. Le garçon effectuait aussi quelques menues tâches comme nourrir les moutons dans la petite bergerie située derrière la maison ou aider Beyla à la cuisine. Lors de ses sessions d’entraînement aux arts martiaux qu’il effectuait sous la direction de la vane, il faisait d’étonnants progrès de jour en jour. Beaucoup de sa facilité d’assimilation lui venait de sa part aelfique. Mais sa part humaine lui apportait tant de joie de constater ses améliorations, qu’il en tirait des forces redoublées pour continuer encore et encore, jusqu’à l’épuisement. Sa protectrice devait parfois l’arrêter tant elle craignait qu’il ne se tue à la tâche.

« Je sais que tu dois devenir plus fort, et c’est bien pour cela que nous nous entraînons, mais pourquoi fais tu autant preuve d’acharnement ? demanda un jour Fen à son élève trop studieux.
– Je veux devenir très fort, précisa Bård. Je veux montrer à mon frère que je peux le surpasser même en étant en partie humain, je veux venger la mort de mon père et aussi celle de ma mère. Pour toutes ces choses, il faut que je devienne vraiment très très fort. Je pense même qu’il faut que je devienne plus fort que toi.
– Si tu veux confronter Ull tout seul, il faut assurément que tu deviennes bien plus fort que moi, acquiesça la vane. Mais tu n’es pas obligé de combattre avec ta seule force. Des alliés ne sont jamais à négliger.
– Il faut que je sois très fort quand même, insista le garçon, sinon personne ne voudra m’aider. »

La louve, qui gardait encore son enveloppe humanoïde à cause de sa blessure, lui jeta un regard perplexe. Elle espérait que la quête de puissance de son protégé ne le mènerait pas à de regrettables extrêmités. Cela s’était déjà vu. « Soit, convint elle finalement. Mais prend garde de ne pas finir comme Ull, à vouloir être à ce point le plus fort. » Cette phrase parût faire réfléchir l’enfant qui se promit d’essayer d’être plus modéré. Pour se faire, il décida de s’intéresser à d’autres arts que ceux du combat, et s’en fut voir Nurri afin qu’il lui apprenne la signification des runes de son anneau. Pour le moment il ne lui servait pas à grand chose, mais il ne désespérait pas de retrouver Siegfried et d’oeuvrer de concert avec lui comme le leur avait demandé leur mère, Dame Doelyn. Le forgeron des étoiles entreprit donc de lui révéler tous les secrets des runes. En étudiant son anneau, Bård découvrit qu’il pouvait combiner ces runes entre elles. En effet, si il plaçait l’encoche au niveau d’un premier symbole et qu’il exerçait une pression sur elle, la rune restait brillante et il pouvait en sélectionner une deuxième. Il pouvait en combiner ainsi jusqu’à trois. Il se demanda combien cela représentait de possibilités et quels étaient tous ces lieux auxquels il pouvait accéder.

Les jours succédèrent aux jours, l’hiver laissa sa place au printemps et finit par revenir encore et encore. Fen et Bård profitèrent de l’hospitalité des dvergs sept années durant, pendant lesquelles le garçon devint un jeune adolescent élancé, agile, endurant et redoutable. Il se demandait parfois ce qu’il était advenu de son frère et à quoi il pouvait bien occuper ses journées. Sa protectrice et lui avaient décidé de partir à sa recherche une fois l’hiver présent terminé. Fen estimait que Bård était maintenant assez grand et débrouillard pour se risquer dans la périlleuse entreprise qui l’attendait. Il n’était pas encore suffisamment fort pour confronter Ull en duel, loin s’en fallait, mais il serait largement capable de survivre aux sbires qui cherchaient probablement sa trace en ce moment même. La vane considérait qu’ils avaient attendu aussi longtemps qu’ils le pouvaient sans risquer de se faire surprendre. Rester encore signifiait s’empâter, risquer de se faire surprendre et mettre leurs gentils hôtes en danger.

Le petit couple de dvergs leur avait préparé des provisions en quantité ainsi que tout un tas de choses qui leur seraient plus ou moins utiles. Cela allait du dé à coudre à la corde de vingt mètres en passant par des ustensiles de cuisine divers et quantité de fourrures pour le tenir au chaud. Voyant cette profusion de biens, l’adolescent rit de plaisir. « Vous êtes adorables, mais je ne pourrai jamais transporter tout ceci ! s’exclama-t-il.
– Pourtant, tout ce qu’il y a ici est utile, protesta Beyla.
– Je n’en doute pas, mais il va falloir que je fasse des choix, persista Bård en étudiant avec curiosité un broc en céramique d’une main et une pipe de l’autre. Je vais devoir voyager léger pour aller vite. » Il mit également de côté une louche et une poele en fonte. Puis une grande partie des fourrures, au grand désarrois de la petite bonne femme qui craignait qu’il n’attrape froid. Fen, quant à elle, considérait la scène sans mot dire. Elle aurait eu du mal à intervenir, elle qui n’avait besoin de rien d’autre que de ses crocs et de sa propre fourrure pour survivre. Elle comprenait que pour la survie de son protégé il allait devoir s’encombrer d’une partie de ce bric à brac. Après tout, elle même arborait des vêtements et deux lames sous sa forme humanoïde, mais elle se trouvait tout de même soulagée de constater qu’il ne comptait pas tout prendre.

Finalement, il réduisit ce qu’il comptait prendre à la contenance d’un petit sac à dos qui ne le gênerait pas dans ses mouvements. En plus de cela il comptait ne prendre que ses vêtements d’hiver qu’il portait et une fourrue en plus qu’il amarra à son sac, juste au cas où. Sans oublier, bien sûr, le petit couteau que lui avait offert sa mère. Mais, alors qu’il allait ceindre l’épée que lui avait forgée Nurri, ce dernier l’arrêta : « J’ai quelque chose de mieux pour toi, garçon.
– De mieux ? s’étonna l’adolescent.
– Oui, un cadeau de départ. » Expliqua le forgeron des étoiles. Sur ces mots, il farfouilla dans un tiroir derrière lui et en tira une lame toute neuve. Elle était de bien meilleure facture que la petite épée avec laquelle Bård avait appris à se battre. Nurri la lui tendit et l’adolescent la prit délicatement en admirant le fil aiguisé comme un rasoir et l’ouvrage de la poignée. Celle ci se terminait par une tête de loup, probablement en hommage à Fen songea le garçon. Nurri reprit : « Voici une épée d’homme, pour l’homme d’arme que tu es devenu. J’ai forgé cette épée pour toi uniquement. Quiconque voudra s’en servir ne pourra jamais atteindre son plein potentiel.
– Comment ça ? s’enquit un Bård abasourdi.
– Tourne la tête du loup, pour commencer. » L’enjoignit le forgeron des étoiles avec un sourire en coin.

Le garçon fit ce que le dverg lui demandait et un fil d’argent, incrusté en spiralant autour de la poignée et marquant le centre de la lame de bout en bout, s’illumina. L’adolescent ne put s’empêcher de faire le lien avec les runes brillantes de son couteau et celles de son anneau. Nurri eût un petit rire ravi et reprit, lissant sa barbe avec fierté : « Comme tu t’en doutes peut être, j’ai réussi à faire que cette épée réponde à ton anneau. Après tout, c’est moi qui avait enseigné à ta mère l’art de forger des anneaux de pouvoir. Tiens, essaie donc avec la rune de la glace pour voir. » Curieux, Bård obéit immédiatement et plaça l’encoche de son anneau en face de la rune de la glace. Instantanément, le fil de l’épée émit un froid polaire, de la glace se formant même dessus. « Voilà, conclut le forgeron des étoiles en se rengorgeant. Il s’agit d’une épée magique et toi seul peut profiter de sa magie !
– C’est… C’est merveilleux ! balbutia l’adolescent. Merci merci merci merci merci ! » Il se précipita sur le dverg et l’étreignit de toutes ses forces. Il n’aurait jamais pu imaginer que Nurri lui fabriquerait quelque chose d’aussi surprenant et, surtout, d’aussi somptueux.

« Hey ! Mais doucement ! Ronchonna le forgeron des étoiles gêné par autant d’effusions. Tu m’étouffes ! Et ton épée me donne froid, prend garde voyons !
– Haha mille pardons ! » s’excusa le garçon en riant tant et plus. Il tourna de nouveau la tête du loup et ceignit son épée, avant de prendre Beyla par les mains pour esquisser quelques pas de danse avec elle. Puis il la lâcha pour se jeter au cou de Fen qui, même sous sa forme humanoïde, était la seule à se trouver encore plus grande que lui. « Siegfried n’aura qu’à bien se tenir, se réjouit il ensuite. Je suis certain qu’il sera affreusement jaloux en voyant mon épée magique, j’ai hâte de voir la tête qu’il fera ! Youhou ! » Il sortit dehors pour gambader de joie dans la neige. En effet, le printemps tardait à se montrer et la neige était encore très présente. Fen s’inquiétait de voir que d’année en année, l’hiver durait de plus en plus longtemps. Il commençait plus tôt et finissait plus tard. Elle soupçonnait l’Ase Archer, Ull, de ne pas y être étranger. Elle soupira. Bård et Siegfried pourraient peut être réussir à se libérer de sa Chasse impitoyable, mais jamais ils ne pourraient le vaincre. Seuls des ases, ou parfois des géants, pouvaient tuer d’autres ases. Malheureusement, personne ne semblait s’élever contre Ull. Elle soupira.

« Nous avons été très heureux de vous avoir avec nous durant ces sept dernières années, déclara Beyla avec émotion à la vane. Vous allez beaucoup nous manquer avec le petit.
– Ce hâvre de paix nous manquera aussi, réalisa Fen en le disant. J’ai l’impression que nous regretterons votre chaleureuse maisonnette plus vite que nous le pensons.
– Allons, il ne faut pas dire une chose pareille ! l’encouragea Nurri avec enthousiasme. Vous allez succomber à l’appel de l’aventure, des tas de choses passionnantes vous attendent ! Ah, que n’ai je plus ma prime jeunesse que je puisse partir avec vous…
– Il vous aurait été tellement utile, ironisa sa femme, lui qui ne supporte pas d’être loin de tout son petit confort.
– Un forgeron est toujours utile, rétorqua le dverg avec hauteur. Toujours.
– Je n’en doute pas, l’apaisa Fen avec un sourire. Portez vous bien durant notre absence, tous les deux.
– Bon voyage, lui souhaitèrent les deux dvergs.
– Bård ! Appela-t-elle en sortant dehors à son tour. Nous partons !
– Oui Fen ! » Répondit l’interpellé avec entrain. Il revint rapidement se planter devant Beyla et Nurri pour leur dire au revoir, puis courut rejoindre sa protectrice qui, ayant repris sa forme de louve, commençait déjà à traverser le lac encore gelé. En arrivant à la hauteur de celle ci, l’adolescent l’escalada prestement afin de retrouver sa place favorite : sur le dos de la vane. Il avait tant et si bien peaufiné cette technique qu’elle n’avait plus besoin de s’arrêter pour le laisser monter. Une fois qu’ils eûrent traversé le lac, Bård s’exclama : « Attend Fen ! » Elle s’arrêta. « Souhaitons leur un au revoir en bonne et due forme, et prévenons le monde que nous nous mettons en route, suggéra-t-il.
– Es tu sûr que c’est bien prudent ? s’enquit la louve.
– Allez, s’il te plait ! la supplia-t-il.
– Soit. » Accepta Fen.

Elle leva alors la tête vers le ciel et se mit à hurler, longuement, d’un puissant hurlement de loup. Elle hurla pour remercier Beyla et Nurri, elle hurla pour appeler Siegfried, elle hurla de défi pour tous ceux qui voudraient du mal à son protégé. Et celui ci hurlait avec elle. Lorsqu’ils eurent terminé de défier le monde entier, Fen se remit en route, pénétrant dans la forêt. Elle galopait depuis quelques minutes à peine que des formes entreprirent de lui barrer le chemin. Elle ralentit et s’arrêta. « C’est bien aimable à vous que de m’avoir indiqué votre position, leur déclara ce qui semblait être le chef du groupe de bandits.
– Nous sommes des gens aimables, confirma moqueusement Bård qui se tenait dans une position on ne peut plus détendue, les bras croisés en support derrière la tête.
– Je n’en doute pas. » Répondit l’homme sur le même ton. Fen eût le déplaisir de reconnaitre l’odeur de l’individu : il s’agissait de celui qui avait cloué Sigurd au mur de sa propre maison sept ans auparavant. Elle se mit à gronder. « Holà, tout doucement la belle, reprit l’homme avec un rictus. Ton p’tit et toi allez nous suivre gentiment, mon maître vous mande. Si tu refuses, je me ferai un manteau de ta peau avant de saucissonner le blanc bec sur ton dos et de l’emmener à mon maître.
– Je ne pensais pas que nous aurions déjà la chance d’avoir de quoi nous amuser. » Se réjouit l’adolescent en sautant par dessus la tête de la louve pour se retrouver face à l’homme. Il inspecta ce dernier et reprit : « Dites donc, vous là, je vous connais il me semble.
– Oui tu le connais, confirma la louve. Tu as devant toi le meurtrier de ton père.
– Fantastique ! S’épanouit le garçon. Notre voyage n’aurait pas pu mieux commencer. »

Même en sachant que Bård utilisait ces railleries pour déstabiliser ses adversaires, certains de ses propos laissaient toutefois sa protectrice parfois perplexe. L’homme, en revanche, parut apprécier la saillie de sa proie et partit d’un gros rire. « Tu me plait mon garçon ! s’exclama-t-il.
– C’est un peu dommage, déplora l’adolescent, parce que je vais devoir te tuer. Tu sais, pour venger mon père, des choses comme ça.
– Vraiment ? s’esclaffa l’homme. J’aimerais bien voir ça.
– Tant mieux, conclut Bård avec un sourire froid tout en sortant sa nouvelle épée et son petit couteau. Fen ? Laisse moi celui là. Tu peux t’occuper des autres par contre. » Tout en espérant que son protégé ne sur estimait pas ses forces, elle s’abattit sur les sbires comme la neige sur le monde un jour de blizzard.

Insensibles au carnage qui avait lieu autour d’eux, l’adolescent et le meurtrier de son père se tournèrent un moment autour. Estimant que son adversaire voulait juste le jauger, Bård prit l’initiative. D’un coup de pied il balaya un rideau de neige poudreuse sur l’homme et, tandis que ce dernier essuyait la neige de ses yeux, il porta la première attaque. Mais, bien que surpris, cet adversaire n’était pas né de la dernière pluie et il parvint à parer la lame de justesse. L’adolescent asséna ensuite un tourbillon de coups à une vitesse fulgurante. Sa qualité de demi aelfe le rendait surhumain et il comptait là dessus pour prendre l’avantage sur cet homme qui, visiblement, possédait bien plus d’expérience que lui. D’ailleurs celui ci para ou esquiva la plupart des coups portés rapidement, mais avec peu de précision, et ceux qui atteignirent leur cible ne rencontrèrent que les anneaux de la chemise de maille qui le protégeait. Bård repartit instantanément à l’assaut, ne voulant pas lui laisser la moindre seconde de répit. Moins de coups mais plus précis. Alors qu’il pensait toucher sa cible, il se trouva repoussé par un coup de bouclier qui l’envoya bouler dans la neige. Comme si il ne s’était rien passé, l’adolescent se retrouva presque instantanément sur ses pieds et, à peine sonné, attaqua derechef.

Mais l’homme en avait assez de jauger les capacités de Bård. Il le trouvait trop dangereux à son goût. « Tu crois que tu pourras me vaincre ? railla-t-il l’adolescent. J’en ai vu d’autres avant toi et j’ai même tué des aelfes. Alors tu penses bien qu’un avorton comme toi ne me fait ni chaud ni froid.
– Avec ton allure pataude, j’ai peine à croire que tu aies réussi à tuer le moindre aelfe, rétorqua Bård.
– Qu’est ce que tu crois ? Jusqu’ici je ne faisais que me défendre. Il est temps de passer au choses sérieuses. » La louve, qui avait terminé de tuer ou blesser gravement tous les compagnons de l’homme qui ne s’étaient pas enfuis, voulut s’interposer. Mais l’adolescent l’en empêcha.

« Ne t’inquiète pas pour moi Fen ! lui lança-t-il. Et admire comme je suis devenu fort grâce à Nurri et toi ! » Malgré son entrain apparent, la vane se rendait bien compte qu’il prenait son combat au sérieux. Si ses yeux pouvaient tuer, le meurtrier de son père serait déjà mort des centaines de fois. Mais il était tellement sans défense le jour où elle l’avait pris sous son aile, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de s’en faire et de se tenir prête à intervenir si, d’aventure, il y avait le moindre risque. Les deux se regardaient en chiens de faïence. Sans aucun signe avant coureur, Bård se jeta brusquement sur l’homme qui, surpris, eut du mal à parer. L’épée lui érafla le cou mais, lorsqu’il voulut riposter, l’agile adolescent s’était déjà mis hors de portée. Entrant dans une colère noire, l’homme attaqua à son tour. Ses coups étaient lents, mais puissants et traîtres. Bård se retrouva de nouveau cueilli par le bouclier et jeté contre un arbre. Un peu hébété, il ne se redressa pas tout de suite et son assaillant en profita pour placer la pointe de son épée sur son cou.

“Ainsi tu ne me crois pas lorsque je te dis que j’ai déjà tué des aelfes ? reprit l’homme. Le dernier que j’ai tué combattait avec une arme ridicule, une sorte de corne de bête.
– Je ne te crois pas, répondit Bård en tournant discrètement l’encoche sur son anneau.

NaNoWriMo 2014 jour 9 : Bård

La femme de Nurri suivit le petit groupe dehors et, intriguée, elle s’enquit auprès de son mari : « Que se passe-t-il ?
– Ces deux idiots veulent se battre pour récupérer le droit d’utiliser tout l’héritage de Dame Doelyn, expliqua le dverg.
– Je croyais que ce n’était pas possible, dit Beyla.
– Cela ne l’est pas et si tu veux mon avis, ronchonna le forgeron des étoiles, l’esprit de chacun de ces deux là est aussi éclairé qu’une lanterne sans huile…
– Oh Svart, il va y avoir un combat on dirait, se réjouit Mørk. Crois tu qu’il ira jusqu’au premier sang ? Ou alors peut être que ce sera un combat à mort ?
– Tait toi Mørk. » Soupira le premier corbeau excédé.

Fen gardait à présent le silence, de même que les deux frères non corbeaux. Ces derniers se mettaient solennellement en place l’un en face de l’autre, tandis que la vane, en reprenant sa grande forme lupine songeait que son petit protégé était encore à des centaines d’années d’entraînement avant de pouvoir rivaliser avec un aelfe. Il allait se faire manger tout cru. Restait à savoir si Siegfried comptait l’épargner. Rien n’était moins sûr. Pour lui les humains n’étaient que fourmis et, bien que Bård soit à moitié aelfe, son grand frère n’était pas prêt à le considérer comme tel. La louve soupira intérieurement, de son point de vue il n’y avait qu’une solution pour mettre fin à cette farce stupide. Il devait probablement exister des solutions plus intelligentes et moins douloureuses que celle qu’elle avait en tête, mais elle n’allait pas avoir le temps de réfléchir plus avant. Elle se tint prête.

« Tient toi prêt, humain, à mon signal. » Prévint l’aelfe. Mais Bård n’avait pas l’intention de se laisser dicter sa conduite et, tandis qu’il se ruait sans attendre sur son grand frère en hurlant, Fen eût l’impression de voir Sigurd. Elle se rendit compte que Siegfried s’apprêtait à le cueillir de sa corne de narval effilée et glissa pour s’interposer juste à temps entre les deux belligérants. Elle glapit de douleur alors que la lame du petit couteau s’enfonça dans son flanc gauche et que la corne recouverte d’acier perça profondément son épaule droite. Ces deux lames avaient été forgées par une aelfe sous la direction d’un grand forgeron dverg ; elles étaient donc tout ce qu’il y a de plus capables de blesser un vane.
« Fen ! s’écrièrent d’une même voix les deux frères.
– Tiens, en v’là une autre avec l’esprit aussi éclairé qu’une lanterne sans huile… » Commenta Nurri atterré. Sans répondre sa femme se précipita dans leur maisonnette. Bård était dévasté d’avoir blessé sa protectrice. En réalité, la lame de son couteau n’était pas très longue et le cuir de la louve épais, il ne lui avait donc causé qu’une estafilade qui saignait à peine. Mais cela lui suffit pour paniquer, il rangea vite son arme, mit de la neige sur la blessure et courut devant la louve pour se blottir contre son poitrail en pleurant des excuses. Elle s’efforça de consoler son petit protégé à grand renfort de caresses et s’aperçut que l’aelfe paraissait tout aussi ébranlé. Hébété, il contemplait alternativement et avec horreur sa lame de laquelle gouttait le sang de la vane et la blessure de cette dernière. Il adressa à la louve un regard hanté. « Fen… » murmura-t-il d’une voix rauque qui avait perdu de sa superbe. « Idiote… »

Quoiqu’il allait dire ensuite, il fut interrompu par le retour de Beyla qui apportait des linges propres. La femme de Nurri poussa sans ménagement Siegfried afin de nettoyer la blessure de la vane à grand renfort de neige et de la bander soigneusement. Le forgeron des étoiles, quant à lui, s’était mis à bourrer une pipe comme s’il ne s’était rien passé et l’alluma. Il soupira d’aise. « Bien ! s’exclama-t-il. Maintenant que vous avez fini de jouer aux imbéciles, tous autant que vous êtes, peut être daignerez vous écouter mes explications sur l’utilisation de la serrure et de sa clef. Après tout, j’ai seulement participé à leur confection alors que vous pas du tout, du coup je ne sais pas si il est très important de m’écouter. » Si l’aelfe se sentit piqué par la moquerie, Bård la sentit bien méritée.

Aucun des deux frères ne répondit et le forgeron des étoiles prit ce silence unanime pour un accord. Il s’avança alors vers Siegfried et lui prit la corne de narval des mains. Il nettoya soigneusement la lame du sang dans la neige et l’essuya délicatement sur sa tunique. Puis il rendit l’arme à l’aelfe en lui déclarant : « Maintenant que vous avez tous les deux revêtu vos anneaux, je vais vous expliquer comment tout cela fonctionne. Comme je le disais précédemment, l’aîné possède la serrure qui peut aussi lui servir d’arme et son anneau décide de la taille de la porte. » Siegfried jeta un coup d’oeil curieux à son anneau. « Quant au second, continuait Nurri, possède la clef et son anneau décide de la destination. » Toujours collé à Fen qui restait couchée dans la neige, Bård contemplait le sien. « Vous devriez essayer. » Les enjoignit le dverg.

L’aelfe murmura : « Une serrure… » Il fit miroiter la lumière du soleil couchant sur l’acier qui recouvrait la corne, puis la brandit et, avec un cri, l’enfonça profondément dans l’un des arbres noueux qui encadraient la maison du forgeron des étoiles. Autour de la corne, qui s’était mise à briller le long des annelures, se dessinèrent les contours d’une porte éthérée. Le dverg s’approcha alors du second fils. « Tu avais remarqué les runes sur ton anneau, lui dit il. Dame Doelyn m’avait spécifié que pour votre premier essai, tu devrais pointer ton anneau sur la rune du Don.
– Laquelle est ce ? » s’enquit le garçon qui ne savait pas lire les runes. Nurri lui indiqua un symbole qui faisait un grand X. L’enfant tourna l’anneau mobile jusqu’à ce que l’encoche indique la rune en question. Le manche de son couteau se mit à briller en réponse. Il s’approcha de son frère et constata que la base de sa corne de narval possédait un creux. Une fente juste de la taille de son couteau. Après un regard méfiant du côté de l’aelfe, il inséra sa clef dans la serrure et déverrouilla la porte éthérée. Il prit ensuite une inspiration et tira la porte.

Celle ci ouvrit l’arbre sur un jardin verdoyant. Bård en eût le souffle coupé. Il reconnaissait le petit parc de son rêve, là où il avait rencontré sa mère. L’aelfe tenait de garder un semblant d’impassibilité, mais lui aussi était ébranlé par cette vision. Après une hésitation, il passa la porte pour entrer dans le jardin. Son petit frère lui emboita le pas. En passant le pas de la porte, il constata que l’arbre était devenu tout entier ladite porte et qu’il en voyait l’interieur en la traversant. Une fois dans le jardin, le garçon soupira d’aise. Il avait quitté l’ambiance froide et métallique de l’hiver pour se retrouver dans la douce chaleur printanière qui régnait dans ce petit écrin de paradis. Il ferma les yeux et inspira profondément les riches odeurs de fleurs et de fruits. Il perçut alors, au milieu des autres senteurs, le parfum caractéristique de la pêche. Il se souvint du banc sous le pêcher où il avait discuté avec sa mère. Il rouvrit les yeux et chercha rapidement le banc en question du regard. Son frère se tenait déjà devant, à contempler les pêches qui dansaient dans la légère brise. Bård s’approcha timidement. Il n’oubliait pas que Siegfried avait voulu le tuer à peine quelques instants auparavant. Il jeta alors un coup d’oeil en arrière et puisa un peu de courage en constatant que Fen les surveillait de l’autre côté de la porte.

« As tu aussi discuté avec elle lors de ses derniers instants ? » S’enquit il avec circonspection. L’aelfe hocha affirmativement la tête. Le garçon trouva ce semblant de réponse encourageant et chercha à toute allure quelque chose d’autre à dire. A ce moment là il repéra une feuille de papier fixée au banc. « Regarde, dit il à son frère, elle nous a certainement laissé un message.
– Elle m’a laissé un message, corrigea Siegfried avec un peu de sa morgue retrouvée.
– Que dit il ? s’enquit Bård qui refusait de se laisser démonter mais qui ne savait pas lire les mots aelfiques.
– Cela ne te regarde pas. » Lâcha l’aîné. Sur ces mots il tourna les talons et se dirigea vers la porte. L’enfant s’empara du papier, en se disant qu’il trouverait bien quelqu’un qui accepterait de le lui lire, et courut après son frère. « Je veux récupérer ma corne. » Déclara l’aelfe une fois qu’ils furent tous deux sortis du jardin. Comme il ne voyait pas d’intérêt à laisser la porte ouverte, même pour faire enrager son grand frère dédaigneux, il la reverrouilla et récupéra son couteau clef, libérant ainsi la serrure de Siegfried. Ce dernier récupéra son bien et, sans un mot, commença à s’en aller.

« Maître maître ! l’appella Mørk en volant derrière lui. Ne deviez vous pas le tuer ?
– Je n’ai aucune gloire à tirer de la mort d’un humain, répondit l’aelfe en crachant le dernier mot comme s’il s’agissait d’une insulte.
– Vous allez le laisser vivre alors ? Vous êtes vraiment généreux maître ! » gloussa le corbeau. Svart leva les yeux au ciel avant de prendre son envol pour suivre ses deux compagnons.

Lorsque l’aelfe et les corbeaux se furent engloutis dans les bois, de l’autre côté du lac gelé qui entourait la maisonnette du forgeron des étoiles, Bård demanda à sa grande protectrice : « Pourquoi ne me déteste-t-il autant ?
– Parce qu’il est un peu idiot parfois, répondit la louve en découvrant ses crocs dans un sourire moqueur.
– Je ne lui ai rien fait, insista le garçon qui voulait comprendre et, surtout, qui se sentait blessé par ce rejet.
– Il s’est mis dans la tête qu’il haïssait les humains, expliqua la vane plus sérieusement.
– Oui, j’avais bien compris ça, continua l’enfant. Mais je n’y suis pour rien si je suis humain. Et en plus je suis à moitié comme lui.
– Je le sais bien, soupira Fen. Mais tu as un frère têtu. Il lui faudra longtemps pour accepter ton existence.
– Si tant est qu’il l’accepte un jour, précisa Nurri qui faisait des ronds de fumée.
– Ne dit pas des choses aussi horribles ! le gronda Beyla. Propose leur plutôt de venir se réchauffer à la maison pour se remettre de toutes ces émotions. » Sur ces propos, elle suivit son propre conseil et partit se réfugier dans son foyer.

« Vous l’avez entendue, ronchonna le dverg. Voulez vous venir vous réfugier un moment chez nous ? J’imagine que vous pourriez peut être même y passer la nuit plutôt que de rester dehors dans le froid.
– Ce serait avec plaisir. » Accepta Fen à la grande joie de son protégé. Elle se leva et se métamorphosa de nouveau dans sa forme humanoïde pour pouvoir entrer dans la maisonnette. Ce faisant, elle perdit le bandage qu’avait confectionné la femme de Nurri pour sa forme lupine. Elle le ramassa en grimaçant, alors que sa blessure à l’épaule se remettait à saigner.

« Ca va aller Fen ? s’inquiéta Bård.
– Oui, tout va bien, ne t’en fait pas » Le rassura-t-elle en franchissant le pas de la porte. Une fois à l’intérieur, elle se dirigea vers Beyla et lui tendit le linge maculé de rouge qui avait servi de bandage. « Merci beaucoup de cette attention, et désolée pour le sang, dit elle à la petite dverg.
– Mais de rien c’est tout naturel, balaya la femme du forgeron. Voyons, regardez vous, vous recommencez à saigner ! Cette blessure est très profonde, il ne faut pas la négliger ! Allez, tenez, installez vous là, que je vous soigne de nouveau. » La vane obéit et s’assit docilement sur la chaise que lui désignait la dverg. Ceci fait, cette dernière découvrit son épaule et entreprit de nettoyer la plaie de nouveau avant de la bander une deuxième fois. « Vous devriez éviter de trop changer de forme dans les jours qui viennent. » Conseilla Beyla. Fen fit une grimacce en grommelant. « Je suis sérieuse, insista la soigneuse. Il faut que le bandage reste en place un moment pour que ça soit utile.
– Elle a raison, appuya le garçon. Il faut te ménager un peu.
– D’accord, d’accord. » soupira la louve.

Si même le petit d’homme qu’elle était sensé protéger s’y mettait, elle ne pouvait que capituler. Elle lui ébouriffa les cheveux de son bras valide. Prenant ce signe d’affection pour une invitation, Bård se glissa sur les genoux de la vane. Celle ci, d’abord surprise puisque c’était la première fois qu’une telle chose arrivait, se fendit d’un léger baiser sur la tête de l’enfant. En réponse, celui ci se blottit. Puis il lui présenta le papier qu’avait laissé sa mère sur le banc du jardin. « Pourrais tu me lire ceci ? » lui demanda-t-il. Elle jeta un rapide coup d’oeil au message et acquiesça. Elle s’éclaircit la voix et se mit à lire :

« Mes chers enfants,

tout d’abord je vous présente mes sincères excuses. Mes actions vont vous causer de l’embarras, si ce n’est pas déjà fait. Je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer dans les détails, mais pour en venir au fait, je me suis attirée les foudres de l’ase Ull.

“En fait, comme les vanes, les ases peuvent absorber le pouvoir des créatures qu’ils tuent. Et, dans sa vanité, Ull a décidé de s’élever en héros, demandant à tous de lui délivrer des créatures puissantes dont il pourra absorber le pouvoir. Il espère ainsi être le vainqueur du Ragnarök, la fin du monde, avant même le commencement du Ragnarök et il pense qu’ainsi, le monde ne finira pas. Grâce à lui.

“Dans sa quête de puissance, il courtise les femelles de chaque espèce, leur promettant de leur laisser la vie sauve si elles lui donnent leurs nouveaux nés afin qu’il puisse s’en abreuver. Etant acculée, je n’ai pu qu’accepter sa proposition lorsqu’il est venu à moi. J’étais alors enceinte de Siegfried. Je me suis dit que je trouverai un moyen de protéger mon nourrisson à venir.

“A sa naissance, je l’ai confié à son père et je me suis rendue au devant de Ull pour lui annoncer que, malheureusement, j’avais fait fausse couche. J’ai fait de même ensuite avec Bård : je l’ai confié à son père. Mais cette fois, Ull ne m’a pas crue et il s’en est fallut de peu que j’en réchappe. J’ai passé les années suivantes à fuir et à continuer d’acquérir les connaissances de Nurri, que je surnomme le forgeron des étoiles. Il a accepté de me cacher et de m’enseigner ce qu’il savait.

“Depuis que j’ai été enceinte de Bård, j’ai utilisé tout mon art, mêlant mes connaissances aelfiques et mes connaissances dvergars pour vous confectionner des cadeaux. Si vous lisez ce message, c’est que vous les avez trouvés et je m’en réjouis. De même, cela signifie que vous avez trouvé de quoi vous entendre et il n’en faut pas plus pour combler mon coeur de mère.

“En tous cas, je vous mets en garde : Ull va vous traquer. Il va vouloir récupérer la puissance dont je l’ai privé en lui dissimulant vos naissances. C’est pourquoi je vous ai confectionné cette serrure et cette clef. Elles ouvrent des portes vers d’autres mondes, et chacun de ces mondes correspond à une rune. Si vous oeuvrez ensemble, vous serez à même de vous débarrasser de l’influence néfaste de Ull. Car, quoique lui fasse miroiter sa vanité, Ragnarök arrivera et il se passera ce qui doit se passer sans qu’il n’y puisse rien changer.

“Bon courage pour vos épreuves futures, mon coeur saigne de savoir que je ne serai plus là pour vous protéger, bon courage à vous deux mes chéris, je vous aime.

“Doelyn votre maman. »

Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fen se rendit compte que son protégé ne parvenait pas à retenir ses larmes. « Il m’a menti, sanglota-t-il. Siegfried m’a menti.
– Comment cela ? s’enquit la vane.
– Il m’a dit que le message ne concernait que lui, expliqua l’enfant d’une voix entrecoupée de pleurs. Alors qu’elle me parlait à moi aussi et j’ai failli ne pas récupérer la lettre. Dans ce cas là je n’aurai jamais su ce que mère voulait me dire ! » La louve serra contre elle le garçon de son bras valide et le berça pour l’apaiser. « En plus maintenant il est parti, alors qu’elle nous dit bien que nous devons rester ensemble. N’est ce pas ? Elle a dit que nous devions oeuvrer ensemble pour nous défaire de l’influence de Ull. Mais maintenant qu’il est parti, comment vais je faire ? Je ne suis encore qu’un petit garçon et…
– Chut, l’interrompit Fen. Chuuut, calme toi. Tout se passera bien, même si ton frère a décidé de s’en aller pour le moment. Et puis regarde, je suis toujours là, moi. Nous trouverons des solutions ensemble, ne t’inquiète pas, petit d’homme.
– Oui tout à fait ! Appuya Beyla qui avait terminé de panser la vane. Ce qu’il vous faut à tous les deux pour le moment, c’est un bon dîner ! »

L’entrain de la dverg était si communicatif que Bård esquissa un sourire. Nurri, quant à lui, semblait d’humeur maussade. La lecture de la lettre de Doelyn paraissait avoir sabré son moral. Heureusement, pour lui comme pour les autres, le dîner de Beyla lui rendit un semblant de bonne humeur. Elle leur servit un ragoût de fèves et de mouton, dont la chaleur courut de leurs bouches à leurs estomacs en les laissant dans une bienheureuse félicité. En hôte attentionnée, la femme du forgeron des étoiles avait même donné à Fen non pas de son ragoût, mais un gigot de mouton cru tout entier. Reconnaissante, la vane fit l’effort d’utiliser des couverts pour engloutir sa viande.

NaNoWriMo 2014 jour 8 : Bård

« Comment avez vous pu obtenir une telle chaleur ? demanda Fen qui suffoquait presque.
– Un bon forgeron a besoin de la chaleur la plus intense possible pour pouvoir fondre n’importe quel minerai, expliqua Nurri.
– On dirait que vous avez réussi, dit le garçon.
– Certes, et je n’en suis pas peu fier, se rengorgea le dverg. J’avais déjà parlé de ma trouvaille avec d’autres forgerons, tous plus réputés les uns que les autres, mais aucun n’a paru séduit par mon idée.
– Votre idée ? s’enquit la vane qui sentait que le forgeron des étoiles mourrait d’envie de se pavaner en parlant de son travail.
– Oui oui ! Connaissez vous les volcans ? » Leur demanda Nurri. Face aux dénégations de Bård et au visage inexpressif de Fen, il expliqua : « Les volcans sont des montagnes qui crachent du feu. Mais attention, pas n’importe quel feu, un feu liquide beaucoup plus chaud que le feu dont on a l’habitude. Et moi, Nurri Orrisson, j’ai réussi à dompter cette puissance. Elle court actuellement sous nos pieds et alimente mes forges. » Il se tourna vers l’enfant visiblement impressionné. « Dame Doelyn disait qu’il s’agissait du même feu qui fait briller les étoiles, c’est pourquoi elle m’a surnommé Nurri le forgeron des étoiles. » Il soupira à ce souvenir.

« Et donc, le leg de dame Doelyn pour le jeune Bård ? rappella la vane dans le but de faire un petit peu avancer les choses afin de rester le moins de temps possible dans cette chaleur infernale.
– Ah, oui, l’héritage de Dame Doelyn. Suivez moi. » Il les mena jusqu’à un coin de la pièce qui se trouvait être un atelier complet à lui tout seul. « C’est ici qu’elle travaillait, leur glissa-t-il en aparté tandis qu’il fourrageait dans les mécanismes d’un grand coffre. Ah ! Ca y est ! » Se réjouit il en trouvant enfin la bonne combinaison qui ouvrit ledit coffre dans un grincement de métal. Le garçon se demandait ce que pouvait bien receler un contenant aussi énorme.

Lorsqu’il jeta un coup d’oeil à l’intérieur cependant, il ne vit que deux petits coussins de velour bordeaux, sur chacun desquels était soigneusement posé un anneau finement ciselé. Nurri s’empara délicatement de l’un des anneaux et le tendit solennellement à Bård. Ce dernier tendit la paume et le dverg y déposa délicatement le bijou. Le garçon l’inspecta et constata qu’il était en fait constitué de deux anneaux : l’un fixe avec différentes runes gravées et l’autre qui pouvait tourner autour du premier. Celui ci possédait une petite encoche qui pointait en direction de l’une des runes gravées sur le premier anneau fixe. « A quoi servent ces marques ? s’enquit le fils de Doelyn en désignant les runes.
– A désigner des endroits, répondit le forgeron des étoiles. Met le ! »

L’enfant enfila l’anneau qui, comme par magie, s’adapta à la taille de son doigt. « Regarde. » Souffla Fen en désignant la ceinture de son protégé. Les runes gravées sur le manche en corne de narval du petit couteau s’étaient mises à briller, de même que la rune qu’indiquait l’anneau. « A quoi cela sert il ? demanda la vane impressionnée.
– A ouvrir des portes, expliqua Nurri. Bård dispose de la clef et son frère héritera de la serrure. » Le garçon fit tourner son anneau jusqu’au seul endroit où n’était gravé aucune rune. Son couteau cessa de briller. « Cet anneau n’obéira qu’à toi, ajouta le dverg. De même que l’autre n’obéira qu’à ton frère. Je n’ai jamais connu une créature plus douce que Dame Doelyn. C’est la raison pour laquelle j’ai consenti à lui enseigner les secrets de la confection de tels objets.
– Pourquoi ? Peuvent ils être dangereux ? s’enquit la vane.
– Plus que ça ! s’écria Nurri. Laissez n’importe qui apprendre à forger des anneaux de pouvoir et vous n’avez pas le temps de dire ouf que le chaos s’étend sur le monde entier avec un mégalomane qui veut le diriger ! Ce sont des connaissances bien dangereuses et je suis fort aise que le pouvoir de ces anneaux là soit séparé en deux, et qu’ils soient chacun assigné à une personne différente. »

Tandis que les deux adultes devisaient, l’enfant se demandait dans quel but sa mère lui avait légué cette clef qu’elle avait fabriquée de ses propres mains. « Nurri ? » La voix de Beyla retentit soudainement dans la salle. L’interpellé se dirigea vers un cylindre métallique dont le tuyau courait sur le mur en direction du plafond. « Oui ma douce ? s’enquit il.
– Rikk est rentré, l’informa sa femme. Je me suis dit que tu aimerais être au courant.
– Ah ! Enfin ! se réjouit le forgeron des étoiles. Cela signifie que le premier fils de Dame Doelyn est en route et qu’il ne va pas tarder.
– Je vais enfin pouvoir rencontrer mon frère. » Se réjouit Bård. De savoir qu’il lui restait une famille, quelque part, lui donnait chaud au coeur.
Fen, quant à elle, ne se montrait pas aussi heureuse de cette éventualité. Car, avant de savoir que son protégé était le second fils de Dame Doelyn, elle connaissait son premier né depuis bien longtemps. Il s’agissait de l’aelfe Siegfried et la louve redoutait de nouvelles retrouvailles avec ce dernier. Elles doutait qu’elles seraient chaleureuses. Siegfried avait une telle aversion pour les humains… En réfléchissant, elle réalisa que l’aelfe devait avoir compris que Bård était son demi frère lors de leur rencontre. Il avait été outré de constater que le garçon possédait le petit couteau au manche en corne de narval. « Bård, commença-t-elle. Je ne suis pas sûre que rencontrer ton demi frère soit une bonne idée…
– Pourquoi ? demanda le garçon surpris.
– Nurri ? » La voix de Beyla retentit de nouveau, empêchant la vane de répondre. « On frappe à la porte.
– Ce doit être l’aîné de Doelyn, supposa le forgeron des étoiles. Ouvre lui, je viens le chercher. »

Joignant le geste à la parole, il se dirigea vers l’escalier. « Vous pouvez rester ici en attendant, dit il à ses deux invités. Mais ne touchez à rien !
– Pourquoi ne veux tu pas que je rencontre mon frère ? s’enquit de nouveau l’enfant une fois que Nurri eût disparu au loin dans les escaliers.
– Je… » La louve sous forme humanoïde hésita et son visage exprima une gêne mêlée de compassion. Devait elle révéler tout de suite à son protégé que son demi frère voudrait probablement le tuer dès qu’il le verrait ? Devait elle le laisser découvrir la vérité tout seul ? Qu’est ce qui serait le moins perturbant pour un petit d’homme ?

« Et bien ? insista Bård. Dis le moi, Fen !
– Ecoute, capitula-t-elle, peut être ai je tort. Tâchons de nous dissimuler pour voir à quoi ressemble ton frère. Ainsi nous pourrons aviser de si nous faisons sa connaissance ou pas, cela te convient il ?
– Mmmh… D’accord. » Son protégé accepta le compromis, bien qu’un peu à contre coeur. Il avait vraiment hâte de voir son frère et il y tenait vraiment. Il imaginait de fraternelles retrouvailles avec de franches bourrades et des anecdotes sur leur mère qu’il avait à peine pu rencontrer. Mais Fen avait vraiment l’air inquiète. Elle avait tellement fait pour lui durant ces derniers jours, qu’il pouvait bien accepter de lui faire plaisir, même si cela lui coûtait un peu. Il la suivit donc se cacher derrière une immense pile de bric à brac. Il y avait tellement de choses accumulées ici qu’il ne leur fut pas difficile de trouver un endroit pratique d’où voir sans être vus.

Le temps que le forgeron des étoiles mit pour revenir avec l’aîné de Dame Doelyn parût infini au garçon impatient. Mais, enfin, le dverg finit par réapparaître à l’autre bout de la pièce, suivi par un aelfe élancé qui avançait d’une démarche régalienne, bien que légère. La vane étudia soigneusement le visage de l’enfant tandis qu’il reconnaissait lentement l’aelfe en question. Elle crut reconnaitre la stupeur, puis la déception et la peur. Puis, elle le vit serrer les dents en regardant fixement son demi frère prendre, à son tour, possession de son leg. Lorsqu’il passa le bijou à son doigt, un fil lumineux parcourut sa corne de narval plaquée d’acier le long des annelures. « Je constate qu’il n’y a qu’un anneau, déclarait Siegfried à ce moment là.
– Tout à fait, votre frère a déjà récupéré le sien. » Raconta Nurri qui regardait partout autour de lui, sans doute à la recherche de ses deux autres invités. Il espérait qu’ils ne touchaient rien de fragile ou n’étaient pas tombés malencontreusement dans la lave qui courait sous sa forge.

« Ce n’est pas mon frère, lâcha l’aelfe d’un ton dédaigneux. Ce n’est qu’un bâtard.
– Il n’en est pas moins lié à vous par le sang de votre mère, le gourmanda le dverg.
– Puisque vous étiez le maître respecté de ma mère, je ferai comme si vous n’aviez rien dit, grinça le demi frère de Bård en jetant au forgeron des étoiles un regard terrifiant. D’ailleurs, comment avez vous pu laisser un tel trésor à une vermine pareille ?
– Parce qu’il lui appartenait… commença Nurri.
– Je ne veux pas le savoir, coupa Siegfried. Dites moi au moins quelle direction il a prise en partant et j’irai chercher la fin de mon héritage moi même.
– Si Sa Grandeur daignait m’accorder son oreille, ne serait ce qu’un court instant que je lui explique pourquoi cela ne lui servirait à rien de recouvrer la part de son petit frère, je me ferai une joie de le lui exposer, ironisa le dverg sur un ton humoristique sous lequel perçait une menace sous jacente.
– Faites donc, acquiesça l’aelfe de mauvaise grâce.
– Ces objets, exposa alors Nurri, ont été forgés par votre mère, comme je vous l’ai dit, et elle y a placé tout l’amour qu’elle éprouvait pour vous deux. Pas d’interruption ! » Prévint il l’aîné en constatant qu’il voulait intervenir. « Ce faisant, elle a ensuite destiné chacun de ces anneaux à un seul d’entre vous et quiconque d’autre voudrait l’utiliser ne le pourrait pas. Y compris vous : vous ne pouvez pas utiliser l’anneau dévolu à votre frère.
– Les sorts ou les enchantements peuvent toujours se défaire, argua Siegfried. Dites moi où se trouve ce petit humain et, une fois que j’aurai récupéré ce qui me revient, j’en ferai mon affaire.
– Je suis ici. »

Avant que Fen ait pu le retenir, Bård était sorti de sa cachette et se dirigeait vers son demi frère avec résolution. Elle se dépêcha d’aller le flanquer en jetant un regard désapprobateur à l’aelfe. Le garçon tenait son bâton d’entrainement d’une main, son petit couteau de l’autre, adressant à son grand frère un air de défi. La scène resta ainsi figée quelques instants avant que le forgeron des étoiles ne brise le lourd silence : « Je vous préviens mes lascards, il est hors de question que vous vous combattiez ici ! C’est beaucoup trop dangereux !
– Allons dehors, dans ce cas, déclara l’enfant. Là haut nous pourrons nous battre autant que nous voudrons.
– Tu oses me défier ? » Le ton de l’aelfe était moqueur, bien que teinté de surprise. « Je dois reconnaître que tu n’as pas froid aux yeux. Soit, si c’est la mort que tu recherches, je te la délivrerai promptement, n’aie crainte.
– Je n’ai pas peur, lui assura calmement Bård.
– Mais vous ne devez pas vous battre ! s’emporta Nurri. Vous avez des legs complémentaires tous les deux ! L’un de vous détient la clef et l’autre la serrure ! Vous devez oeuvrer ensemble et non pas l’un contre l’autre ! »

Mais, peine perdue, les deux frères se dirigeaient déjà en direction de l’escalier d’un pas résolu. « Les sages paroles du forgeron des étoiles sont tombées dans l’oreille d’un sourd, commenta Fen en soupirant. Enfin, de deux sourds. J’ai l’impression que ces deux frères là sont aussi butés l’un que l’autre. » Ceci dit, elle leur emboîta le pas, espérant éviter le pire, et le dverg la suivit avec empressement. En montant les marches de l’escalier qui devait les mener vers leur duel, la vane tenta de les raisonner : « Bård, disait elle, tu ne vas tout de même pas combattre ton propre frère et toi, Siegfried, tu ne vas tout de même pas t’abaisser à combattre un enfant. Quelle gloire retireras tu de cela ? » Mais l’un comme l’autre lui opposait un silence borné. Elle essaya ensuite la provocation : « Décidément, s’écria-t-elle, vous êtes bien frères tous les deux ! Aussi têtu l’un que l’autre ! » La seule réaction qu’elle obtint provint de l’aelfe qui émit un bruit de bouche dédaigneux. Ou vexé. C’était souvent difficile à dire avec lui.

Au fur et à mesure qu’ils se dirigeaient vers la surface, la température se fit plus fraîche par contraste avec la chaleur presque invivable du sous sol. Dans la maisonnette de Nurri et Beyla régnait toujours une chaleur agréable, mais ils n’en profitèrent pas, sortant aussitôt dans le froid glacial de la fin d’après midi. Dehors, ils furent accueillis par Mørk et Svart, les deux corbeaux qui accompagnaient inlassablement Siegfried.

NaNoWriMo 2014 jour 7 : Bård

Fen et Bård entrèrent dans l’atmosphère chaude et douillette de la petite maison. Même sous forme humanoïde la tête de la vane touchait presque le plafond. Alors que dehors tout était froid, jusqu’à la lumière, ici le feu ronflant dans la cheminée éclairait tout d’une chaleureuse ambiance orangée. « Enlevez vos bottes. » Leur intima une petite dverg affairée. Ses cheveux couleur de miel étaient aussi régulièrement tressés que la barbe flamboyante et fournie qu’aroborait le forgeron des étoiles. Nurri et sa femme étaient de petits êtres qui faisaient environ la taille du garçon, mais bien plus massifs. « Tu n’aurais pas du laisser la porte ouverte aussi longtemps Nurri, reprit la femme de ce dernier à son intention.
– Mais voyons Beyla, il fallait bien que je vérifie si je pouvais les laisser entrer, rétorqua le dverg. Je ne peux tout de même pas ouvrir notre porte à n’importe qui.
– C’est ça le forgeron des étoiles ? chuchota l’enfant à sa protectrice.
– Comment ça, ça ? s’étrangla un Nurri outré. Je ne te parais pas assez grand pour mériter ce titre c’est ça ? Je m’en vais t’en donner, moi, des ça tiens… Tsss. Et que faites vous là, chez moi, pour commencer vous deux ? »

Bård adressa un regard hésitant à Fen qui lui répondit avec un hochement de tête encourageant. « C’est… C’est un rouge gorge qui m’a dit de venir ici, expliqua-t-il.
– Pia ! » cria alors Nurri en faisant sursauter le garçon. En réponse à l’appel du dverg, un petit oiseau voleta jusqu’à son doigt tendu, où il se percha. « Cet oiseau là ? s’assura le petit être trapu.
– Peut être bien, supposa l’enfant qui n’avait aucune idée de comment distinguer un rouge gorge d’un autre.
– Il s’agissait bien de cette charmante oiselle, appuya Fen. Mon nez ne me trompe pas.
– Mmhmm, émit le forgeron des étoiles. Tu es donc le second fils de Dame Doelyn, je suis bien aise de faire enfin ta connaissance.
– Euh… Et bien merci. » Répondit Bård en jetant un nouveau coup d’oeil incertain en direction de sa protectrice. Il ne savait pas ce qu’il devait répondre à tout cela et les pensées se bousculaient dans son esprit. La fameuse Doelyn dont avait parlé le corbeau Mørk, celui qui était un peu idiot, devait donc bel et bien être sa mère.

« Toutes mes condoléances, ajouta le dverg sur un ton étonnamment doux. C’est une terrible perte, elle était une élève formidable.
– Une élève ? s’ébahit le garçon qui n’avait pas encore totalement quitté l’âge où l’on considère ses parents comme des dieux.
– Oui oui, confirma Nurri. Un beau jour elle est venue me voir pour me demander de lui apprendre l’art de la forge. » Il toussota d’un air gêné. « En réalité c’est d’elle que me vient mon surnom de forgeron des étoiles. » Il lissa machinalement sa barbe fournie. « Quoiqu’il en soit, dès que j’ai appris pour son décès, j’ai immédiatement envoyé Pia et Rikk à la recherche de ses fils.
– Pour quelle raison ? s’enquit Fen.
– Parce qu’elle avait laissé un cadeau pour chacun d’eux chez moi. » Répondit le dverg. Les yeux de Bård s’illuminèrent et son coeur bondit dans sa poitrine. Sa mère avait laissé quelque chose pour lui, en plus de son joli couteau que ce pompeux de Siegfried avait voulu lui voler. “Rikk n’est pas encore revenu, mais suivez moi, je vais vous montrer le leg du jeune Bård.”

Nurri s’empara d’une lanterne qu’il remplit d’huile et alluma soigneusement. Ceci fait, il ouvrit une porte qui menait à un escalier qu’il entreprit de descendre. Malgré la lumière de la lanterne, le garçon n’y voyait pas grand chose et il craignait de trébucher. Le dverg devait avoir l’habitude puisqu’en écho aux pensées de l’enfant, il déclara : “Ne vous inquiétez pas, une fois que nous serons en bas nous, serons mieux éclairés.” La descente parut interminable. Bård se demanda jusqu’à quelle profondeur le forgeron des étoiles allait les mener. Il s’interrogeait également sur la raison pour laquelle sa mère, Dame Doelyn, l’avait surnommé forgeron des étoiles, lui qui les menait des lieues sous terre. En tous cas, il en avait l’impression.
Après avoir descendu l’équivalent de plusieurs étages, qui semblèrent durer des heures au garçon, ils débouchèrent sur une salle immense où régnait une chaleur intense. Quel contraste par rapport au froid glacial dont il avait pris l’habitude depuis ces derniers jours ! L’enfant se sentit même un peu nauséeux. “Bienvenue dans mon atelier !” leur souhaita le dverg avec un entrain qui dépareillait de son ton bourru avec lequel il les avait accueillis. Bård n’avait jamais vu une pièce aussi grande ni jamais ressenti autant de chaleur.

NaNoWriMo 2014 jour 6 : Bård

– Oui, dérobé, s’agaça l’aelfe. Ne comprends tu pas des mots aussi simples que ceux ci ?
– Si si, répondit rapidement Bård. Mais Sigurd n’était pas un voleur !
– Pas un voleur dis tu ? Comment le sais tu ? » S’enquit le maître des corbeaux, d’un ton qui marqua un semblant d’intérêt, bien que toujours aussi sévère. Le garçon déglutit. Quelque chose lui soufflait qu’il ne devrait peut être pas révéler qu’il se trouvait être le fils de Sigurd. Il esquissa un léger pas en arrière.

« Je vivais dans ce village, expliqua-t-il. J’ai été obligé de m’enfuir lorsqu’il a été attaqué.
– Tu vivais dans ce village ? » Le beau visage féérique se fendit d’un étonnement non feint. « Qu’est ce qu’un aelfe faisait donc dans un village humain ?
– Il est en partie humain, maître, intervint Svart.
– Tu ne m’avais pas raconté que Dame Doelyn avait eu un enfant avec un humain, Svart ? » Gloussa niaisement Mørk. Il écopa d’un coup de bec de la part de son frère. L’aelfe ne daigna pas se retourner vers eux, mais le regard peu chaleureux dont il gratifiait l’enfant depuis le début de la conversation se fit plus dur encore. Bård recula d’un nouveau pas, par prudence.

« Un bâtard… Serais tu d’aventure le fils de ce Sigurd que je cherchais ? s’enquit l’aelfe d’un ton acide qui n’augurait rien de bon.
– Oui. » Répondit le garçon pour qui la perte était encore tellement cuisante qu’il n’était pas capable de nier une chose pareille suite à une question aussi directe. Son interlocuteur dégaina alors une arme qui pendait à sa ceinture et la brandit. L’enfant réalisa en la regardant qu’il s’agissait en fait d’une longue corne de narval, plaquée d’acier et effilée, sur laquelle brillait la lumière rougeoyante du soleil couchant. Il en resta bouche bée. « C’est magnifique, murmura-t-il.
– C’est une arme passable, l’interrompit l’aelfe. Te dit elle quelque chose ?
– Je ne l’ai jamais vue, lui assura Bård. Mais… » Il sortit son couteau. Outil modeste à côté de celui de l’aelfe. Son manche était néanmoins constitué d’une base de corne de narval et sa lame était de facture féérique. L’être aux oreilles pointues qui le questionnait ne s’y trompa pas.

« Donne le moi, lui ordonna-t-il. Cet objet m’appartient.
– Non ! s’écria le garçon. C’est un cadeau de ma mère, je ne le donnerai à personne !
– Ta mère ?! manqua de s’étrangler l’aelfe. Impossible ! Donne moi ce couteau et je te laisserai la vie sauve.
– Jamais ! cracha l’enfant. Il est à moi !
– Dans ce cas, je le prendrai sur ton cadavre. »

Alors que l’aelfe s’apprêtait à marcher sur lui, une gigantesque forme lupine bondit par dessus la tête de Bård et, se métamorphosant en même temps, s’interposa sous sa forme humanoïde, l’une de ses lames bloquant la corne de narval plaquée d’acier. « Tu ne lui feras aucun mal, gronda-t-elle.
– Oh, une louve qui parle, commenta Mørk en pouffant avant de subir une nouvelle fois un furieux coup de Svart.
– Encore toi ? s’irrita l’aelfe à l’intention de la vane. Tu te mets toujours en travers de mon chemin lorsque des humains cherchent mon ire.
– Celui là ne cherche rien du tout, balaya la louve sous forme presque humaine. Si tu lui veux du mal, il faudra d’abord passer par moi. Et je suppose que tu te souviens ce que cela fait de te confronter à moi. »

L’aelfe grimaça. « Je n’avais pas vraiment envie de te tuer de jour là, surtout pour un humain, se justifia-t-il. C’est pourquoi je n’ai pas combattu sérieusement.
– Quand je pense que nous étions amis autrefois… déplora Fen.
– Tu as rompu notre amitié en protégeant un misérable humain contre moi alors qu’il m’avait offensé, lui rappela l’aelfe. Et maintenant tu protèges un insignifiant bâtard…
– Je n’ai rien rompu du tout, Sigurd ne méritait pas de souffrir de ta colère et il faisait lui aussi partie de mes amis.
– Comment oses tu comparer ton amitié avec moi avec celle que tu avais avec ce scélérat ? Tu devrais te montrer plus regardante avec les êtres dont tu gratifies ton amitié. » Tandis que la vane levait les yeux au ciel, il continua : « Prouve que tu n’as pas oublié les sentiments amicaux qui nous liaient autrefois : donne moi ce couteau.
– Je ne dépossèderai pas cet enfant du seul bien qui lui reste, refusa Fen.
– Cet objet m’appartient de droit, persista l’aelfe. Il aurait du m’être légué. »

Sans se retourner vers son protégé et sans baisser son arme bloquant la corne de narval, la vane demanda : « Bård, veux tu donner ton couteau à ce monsieur ?
– Non ! persista l’interpellé.
– Je suis désolée Siegfried, reprit alors Fen. Tu n’auras pas ce couteau. » L’aelfe adressa un regard meurtrier au garçon, qui le soutint avec un air de défi. En présence de sa protectrice, il se sentait comme si rien ne pouvait lui arriver. Il avait très envie de lui tirer la langue, mais il n’osa pas.
« J’aurai ce couteau. » Affirma Siegfried sur un ton définitif qui sonnait comme une promesse. Démentant ses paroles, il baissa sa lame annelée et s’en fut, englouti entre les arbres. Fen le regarda pensivement disparaître, puis rengaina et reprit sa forme lupine. Svart s’envola à la suite de son maître et Mørk le suivit après un joyeux salut à l’intention de la louve et de son protégé.

« Vivement que je sois plus fort, soupira Bård. Le monde est décidément peuplé de beaucoup de gens dangereux…
– En effet, confirma la vane en se tournant vers lui. Mais tu tueras des colonies entières d’araignées géantes avant de pouvoir rivaliser avec la puissance de cet aelfe là.
– Cela fait beaucoup de travail alors, se découragea le garçon. Mais tant que tu es là, je ne risque rien. » Il lui adressa un sourire tellement illuminé de confiance qu’elle sentit son coeur fondre. Comment Siegfried pouvait il rester de marbre face à une frimousse pareille ?

« Allez, viens, lui enjoignit elle d’un ton affectueux. Allons dormir, nous avons encore de la route à faire demain.
– Il ne m’aime pas beaucoup, cet aelfe, n’est ce pas ? déclara Bård en emboitant le pas de sa protectrice.
– Il n’aime pas beaucoup de monde en général et les humains en particulier, expliqua Fen. Il a une très haute estime de lui même pour ne rien arranger. Ne t’occupe pas de lui.
– Etait ce lui l’aelfe qui chassait le cerf blanc avec mon père et toi ? vérifia l’enfant.
– Lui même, confirma la louve avec un soupçon d’amertume à ce souvenir.
– Il a dit que mon père lui avait volé mon couteau, est ce pour cela qu’il ne l’aime pas ?
– Il n’aime pas les humains quels qu’ils soient, rappela la vane. Sigurd ne m’a jamais parlé de cet objet, je ne peux donc pas t’en dire plus : je ne sais pas.
– Mon père n’était pas un voleur.
– Je sais, petit d’homme, l’apaisa sa protectrice. Ne prête pas attention aux propos de cet aelfe. » Voilà qui était plus facile à dire qu’à faire, songea le garçon. Il trouva dommage que le dénommé Siegfried montre autant d’hostilité à son égard, parce que Bård aurait bien voulu lui demander si il connaissait sa mère. Au moins pour connaître son nom. Il se rappella alors que Mørk avait mentionné une certaine Doelyn qui avait eu un enfant avec un humain. Parlait il de sa mère ? Il soupira en s’installant dans un creux entre les pattes avant et le cou de Fen. Il se blottit dans son nid de fourrure et, tout à ses réflexions, finit par s’endormir.

Le lendemain il se réveilla tôt, impatient qu’il était de rencontrer ce fameux dverg connu sous le sobriquet de forgeron des étoiles. Peut être que ce Nurri pourrait lui en dire plus sur toutes ces questions qui le taraudaient. « Fen ! Fen ! Réveille toi, nous avons encore un long voyage à faire aujourd’hui !
– Hmpf, souffla la louve.
– Il faut trouver le forgeron des étoiles !
– Nous arriverons chez lui ce soir. » Dit la vane en bâillant. Elle se leva et s’étira longuement tandis que Bård bondissait autour d’elle, aussi excité qu’une puce en répétant « Vite Vite Vite » en boucle. Ignorant son entrain enfantin, Fen sortit tranquillement de leur caverne de neige. Le garçon escalada sa patte arrière pour se retrouver sur son dos, puis sur son encolure. Sa dextérité s’était décidément bien affinée, pensa la louve en prenant de la vitesse. Elle avait décidé d’accéder au désir de son protégé d’arriver le plus rapidement possible. En galopant à longues foulées dans le froid, elle entendit l’enfant rire de plaisir. « Et bien, si il arrive encore à rire après tout ce qui lui est arrivé, tout n’est pas perdu. » se dit elle. Elle allongea encore le pas.

A cette allure, ils arrivèrent à destination en milieu d’après midi. « Nous y sommes. » Déclara Fen en désignant à son petit cavalier une île située au milieu d’un lac gelé. Elle s’arrêta au bord du lac pour prendre le temps d’inspecter la glace. Elle posa une patte dessus. Un sinistre craquement retentit. « Ca ne m’a pas l’air très solide, commenta le garçon.
– A moi non plus, confirma la louve. Descend. » Il obéit et, une fois qu’il eût posé le pied à terre, la vane prit une nouvelle fois sa forme humanoïde. « Je serai plus légère ainsi, dit elle. Suit moi. » Elle s’aventura sur la glace. Son protégé lui emboîta le pas. Il glissa presque aussitôt. Fen le rattrapa et lui prit la main. Ainsi maintenu, il parvint à traverser le lac gelé. La promenade ne fut pas trop au goût de l’enfant : il avait sursauté à chaque craquement de la glace. Si la vane n’avait pas été avec lui pour le guider, jamais il n’aurait tenté une telle entreprise.

Enfin, ils posèrent le pied sur le sol de l’île. Elle était de modeste dimension et une maison se dressait timidement en son centre, escortée par les deux arbres les plus noueux et biscornus que Bård ait jamais vu. En évaluant la taille de la porte de la maison, Fen soupira et garda sa forme sur deux pattes. Tenant toujours la main de son protégé, elle frappa à la porte de son autre main et patienta. “Si c’est pour me refourguer vos chiffons, j’en veux pas !” glapit une voix masculine et légèrement erraillée à l’intérieur. “Ce n’est pas pour vendre des chiffons, cria à son tour la vane.
– Mais je ne veux pas de cuillères en bois, ni de marmite en cuivre non plus ! les prévint la voix.
– C’est moi, Fen, précisa-t-elle. Je ne viens rien te vendre !”

La porte s’ouvrit. “Et bah tu fais bien, ronchonna le dverg en sortant la tête dehors. Je n’aime pas tous ces camelots qui viennent me harceler pour me vendre des trucs.
– Ils viennent jusqu’ici ? s’étonna Bård.
– Ah ! s’écria Nurri en remarquant le garçon. Mais qu’est ce que c’est que ça ?
– Un enfant, répondit patiemment Fen.
– Ca, je le vois bien, bougonna le dverg. Pourquoi te promènes tu avec un truc pareil ? Ca refile des maladies, sais tu cela ?
– Ce n’est pas vrai ! Protesta le petit garçon tandis que sa protectrice pouffait de rire.
– Si c’est vrai ! Argumenta Nurri.
– Comptes tu nous laisser dehors dans le froid ? les interrompit la vane.
– Pfff, entrez donc.” Capitula le petit être ronchon en s’effaçant pour les laisser entrer dans sa maisonnette.

NaNoWriMo 2014 jour 5 : Bård

Le petit oiseau se redressa péniblement et voleta maladroitement jusque sur la main de l’enfant. Ceci fait, il pépia avec insistance. « Il semblerait qu’il veuille te parler, supposa la Vane.
– Je ne comprends pas ce qu’il dit. » Ronchonna Bård qui se trouvait déçu que sa condition de demi aelfe ne lui permette pas de comprendre les animaux. Il pensait que c’était pourtant le cas lorsqu’il avait discuté avec les deux corbeaux. Mais les corbeaux étaient des oiseaux particuliers, c’était de notoriété publique. Il se pouvait donc qu’ils sachent parler la langue des hommes.

C’est alors qu’il remarqua que quelque chose avait été fixé à la patte du rouge gorge. Il approcha sa main pour le détacher, en prenant garde de ne pas blesser le petit oiseau. Ce faisant, il lui parut être plus adroit que la veille. Etait ce du à sa transformation ? « On dirait un message, dit il.
– Voilà qui est intéressant, s’ébroua Fen. Que raconte ce message ?
– Je ne sais pas lire, avoua le garçon.
– Montre le moi dans ce cas. » Son protégé lui tendit la fine bande de parchemin. « Rejoint le forgeron des étoiles, lu-t-elle. Ce n’est pas très exaustif comme indication.
– Ce message m’est-il adressé à moi ? demanda l’enfant.
– Si l’on en croit cet oiseau qui se rengorge comme si il avait fait un exploit, oui. » Confirma la louve. Le rouge gorge, apparemment vexé par ces propos, se percha sur la tête de son destinataire et pépia furieusement sur la Vane. Ceci fait, il s’envola à tire d’aile.

« Qui est ce forgeron des étoiles et comment allons nous le trouver ? s’enquit Bård.
– Il se nomme Nurri et c’est un dverg, répondit Fen.
– Il nous faut donc trouver un dverg… » Conclut le garçon. Il tenta de se remémorer tout ce qu’il savait sur les dvergs. Chez lui, les adultes les lui décrivaient comme de petits êtres de la taille d’un enfant mais biscornus et costauds, à la prompte colère mais merveilleux artisans. « Je ne sais pas où ils habitent, reprit il.
– Moi si, le rassura la grande louve. Es tu certain que tu veux aller voir Nurri le forgeron des étoiles ?
– Oui, enfin non… » Son protégé réfléchit à toute allure. « Tu crois que ça pourrait être un piège tendu par quelqu’un qui voudrait me tuer, comme celui qui a… tué… mon père ?
– Non, je ne pense pas que qui que ce soit de sensé te tendrait un piège chez Nurri, balaya la Vane.
– Très bien, se réjouit Bård. Allons y alors.
– Le voyage durera quelques jours, précisa Fen.
– Partons tout de suite dans ce cas !
– Pourquoi es tu si impatient d’aller voir ce forgeron des étoiles ? s’étonna la louve. Tu connaissais à peine l’existence des dvergs il y a deux minutes.
– Je ne sais pas, avoua le garçon. J’aime bien avoir quelque chose à faire. »

C’était donc cela, songea la Vane. Ce petit a besoin d’un but. Elle se demanda quel nouveau but il se fixerait une fois qu’ils auraient rencontré Nurri. Comme elle était encore couchée sur le sol, Bård grimpa lestement sur son dos. « Partons partons ! » s’écria-t-il. L’animal se leva et prit la direction du nord. « A ton avis, qui m’a envoyé ce message ? demanda l’enfant.
– Je n’en ai aucune idée, avoua sa protectrice. Peut être Nurri lui même.
– Et comment me connaitrait il ?
– Comment veux tu que je le sache ? » Le gourmanda gentiment la louve. Ils passèrent la journée, puis le jour suivant à établir des hypothèses tout en voyageant tranquillement. La Vane avait décidé de ne pas aller trop vite pour que son protégé profite le plus longtemps possible de son but à atteindre.

Le troisième jour, elle décida de commencer à lui apprendre à chasser entre deux sessions de trajet. Pour ce faire, elle du prendre sa forme humanoïde, car Bård ne pourrait jamais chasser à la manière des loups : il n’avait pas de croc hormis son petit couteau et se déplaçait sur deux pattes au lieu de quatre. Comme il constata que la Vane possédait deux lames sous sa forme humanoïde, le garçon lui suggéra : « Et si tu m’apprenais à me battre ?
– Pourquoi pas. » Accepta Fen en rendant compte qu’elle avait du mal à refuser quoique ce soit au fils de son ami. « Mais sache que ce sera un apprentissage long qui s’étendra sur plusieurs années, le prévint elle.
– Oui mais il me faudra moins de temps que cela pour devenir un grand guerrier. » Se pavana-t-il avec une confiance toute juvénile. La louve sourit. Cela au moins, était universel : les petits, qu’ils soient louvetaux, humains ou n’importe quoi d’autre, ne doutaient de rien.
Au fur et à mesure, elle lui autorisa également de petits instants de liberté où il se retrouvait seul avec lui même à se promener sans but précis. Cela se produisait souvent le matin au réveil ou le soir avant de dormir. Bård était rapidement devenu friand de ces petites balades en solitaire. D’autant qu’en cette fin d’automne, la nature était souvent d’un calme presque surnaturel. Que ce soit la forêt ou la plaine, tout se tenait coi sous la neige. Fen lui avait expliqué que nombre d’animaux étaient entrés en hibernation et que c’était la raison principale à cette impression de vie ralentie en hiver. « Les vanes aussi hibernent ils ? avait demandé le garçon.
– Certains oui, surtout les vanes ours, mais cela reste assez aléatoire. » avait expliqué la louve.

Ce matin là, il se promenait près d’un affleurement rocheux et s’amusait à explorer des petites cavernes. Il ne s’aventurait jamais très loin car, même si il voyait mieux dans le noir depuis que sa nature semi aelfique s’était révélée, il finissait par trébucher car il ne distinguait plus rien. L’une de ces grottes lui apparaissait tout à fait intéressante, car elle était dotée de stalactites et de stalagmites, ce qu’il trouvait très beau, même si il ne savait pas comment cela se nommait. Il s’occupait à faire des dessins avec moult spirales dans la poussière humide à l’aide d’un morceau de bois, magnifique, qu’il avait adopté comme épée.

Soudain il entendit un son étrange derrière lui. Une sorte de chuintement. Il se retourna, aux aguêts, mais ne vit rien dans l’ombre de la grotte. Peu rassuré, il estima qu’il était temps qu’il rejoigne sa protectrice. Il se leva et commençait à rejoindre l’entrée de la caverne lorsque le chuintement recommença, accompagné d’un cliqueti qui ne lui dit rien qui vaille. Il se dépêcha. Quelque chose lui effleura subrepticement le dos. Il cria et se mit à courir sans prendre le temps de se retourner. Le cliqueti se fit plus rapide et le chuintement s’intensifia. La course poursuite s’intensifia ; Bård courrait avec la force de la peur et du dégoût. La panique serrait sa gorge, il percevait une présence maligne derrière lui et cela lui donnait des ailes. Enfin, la sortie se profila. Le chuintement se fit furieux et le garçon cru entendre des mots au milieu : « Non ! Ressste iccci petit aelfffe, je ne te ffferai aucun mal ! » En arrivant à l’entrée il se retourna et manqua de crier de nouveau. Une araignée de la taille d’un poney le poursuivait à toutes pattes, les chélicères frémissantes et avides. Trébuchant en se tournant de nouveau pour fuir, il s’arrêta net. Une deuxième araignée, toute aussi grosse que la première, se découpait dans l’ouverture de la grotte.

« Un aelffe pour le petit déjeuner, se réjouit la deuxième arachnide. Encore quelquesss uns et je ssserai le vane le plus puisssant du monde ! » L’enfant était acculé. Il brandit son bâton d’une main et le couteau de sa mère de l’autre. Si ces créatures voulaient le manger, il leur faudrait le mériter. « Cccette fois, tu m’en laissseras la moitié, chuinta la première araignée à l’intention de sa compagne. Ccc’est moi qui l’ai repéré en premier après tout !
– Je te laissse tout le temps la moitié, se défendit la deuxième. Nous ssserons toutes les deux les vanes les plus puisssants, alors cccessse de te plaindre et attrapons ccce joli morccceau de viande tout rose.
– Si vous vous approchez, vous le regretterez ! Les prévint Bård d’une voix blanche.
– Oh, regarde, il a un tout petit croc, se moqua l’arachnide qui bloquait la sortie.
– Et moi, j’en ai deux gros. » Une ombre obscurcit la grotte. Le garçon ne put retenir un petit cri de soulagement en reconnaissant la voix grondante de Fen. Elle se tenait derrière l’araignée, à l’entrée. Cette dernière se retourna.

« Tu crois pouvoir nousss enlever notre proie ? chuinta-t-elle furieusement.
– Oui ! Nous l’avons trouvée les premières ! Ajouta sa compagne avec véhémence.
– Peu me chaut, balaya la louve. Personne ne mangera ce petit.
– Mais, et le pouvoir que l’on obtiendrait en mangeant un aelfffe ? se récrièrent les deux arachnides.
– Vous l’obtiendrez autrement. » Son ton était sans appel. Elle posa sa patte sur l’araignée qui bloquait la sortie à son petit protégé, ignorant ses cris de douleur et approcha son museau de l’enfant. La deuxième arachnide amorça un mouvement mais un grondement l’arrêta. « N’y pense même pas. » La prévint Fen tandis que Bård grimpait le long de son museau jusque sur sa tête, puis sur son cou. Une fois que le fils de Sigurd se trouva bien à l’abri, la louve se retira et s’en fut, sous les chuintements et cliquetits furieux des deux araignées.

« Tu es arrivée juste à temps ! s’exclama le garçon avec soulagement. Comment as tu fait ?
– Je trouvais que tu mettais du temps, alors je suis partie à ta recherche. » Expliqua brièvement la vane. Elle n’avait pas l’intention de lui révéler que tant qu’il ne serait pas capable de se défendre tout seul, elle garderait toujours un oeil – même lointain – sur lui. C’était ce qui lui avait permis de voir l’araignée arriver dans la grotte où son louveteau d’adoption était entré quelques instants auparavant. « Reste toujours prudent où que tu te rendes, le mit elle néanmoins en garde.
– Elles voulaient me manger, reprit l’enfant.
– Les araignées sont très voraces en général.
– Non, mais elles voulaient me manger pour gagner du pouvoir, précisa Bård. Comment cela fonctionne-t-il ?
– Mal, lâcha la louve. Les vanes gagnent un peu en puissance en dévorant des créatures dotées de magie comme des aelfes, des dvergs ou d’autres vanes. Ils absorbent ensuite leur force. Certains s’attaquent même parfois à des ases, mais cela ne se termine jamais bien pour eux. A mon avis, le jeu n’en vaut jamais la chandelle. » Son ton exsudait le dédain. Elle continua : « Le ratio puissance gagnée par rapport à l’énergie dépensée et au risque pris est très mauvais. C’est d’ailleurs pour cette raison que les vanes ne s’entre tuent pas plus. C’est totalement idiot de faire une chose pareille. Mais les araignées ne sont pas réputées pour leur intelligence. »

Le garçon se mit à réfléchir à la question pendant que sa protectrice trottinait dans la direction du forgeron des étoiles. « Quand penses tu que nous arriverons ? s’enquit l’enfant.
– Probablement demain dans la soirée si nous n’avons pas de contre temps.
– Et continueras tu de m’apprendre à me battre aussi ? s’inquiéta-t-il.
– Evidemment, lui assura sa grande protectrice. Il faut bien que tu sois à même de te défendre contre deux malheureuses araignées géantes.
– C’est vrai, approuva Bård. J’ai l’intention de devenir un guerrier, et les guerriers se rient des araignées. »

Fen sourit par devers elle. Il ressemblait beaucoup à Sigurd, ce petit. Elle s’arrêta plus tôt que prévu dans son cheminement, le soir, afin de donner au garçon une petite leçon de combat. Elle avait approuvé le bâton qu’il avait choisi en tant qu’arme. En effet, plus lourd que ne le serait une petite lame, il lui musclerait le bras. Lors de ses leçons, le garçon tenait à utiliser le bâton dans une main et le couteau que lui avait légué sa mère de l’autre. Fen avait accepté de lui enseigner le combat à deux armes, d’autant qu’elle le pratiquait elle même sous sa forme humanoïde. Après environ une heure d’entraînement, elle finit par laisser quartier libre à son élève, pendant qu’elle même retrouvait avec délice sa peau de louve.

Bård était galvanisé après sa leçon. La vane ne l’avait pas ménagé et il était perclus de courbatures. Mais il en était satisfait. Il se dirigea sans but en attaquant les buissons et en testant des bottes de son invention sur des arbres. « Hey Svart, regarde qui voilà ! » L’enfant leva la tête au son de la voix qui venait de s’exclamer. Comme il s’y attendait, il aperçut deux corbeaux perchés dans les branches d’un arbre qu’il venait de tuer d’un coup d’épée ravageur. « Bonsoir Mørk, bonsoir Svart, les salua-t-il poliment.
– Bonsoir jeune homme, lui retourna aimablement le plus intelligent des deux oiseaux.
– Maître ! Maître ! S’égosilla Mørk. Nous l’avons retrouvé !
– Retrouvé qui ? Demanda le garçon. Moi ? » Avant que Svart ait eu le temps de lui répondre, un homme apparut devant lui, comme par magie. Bård lui adressa un regard surpris et constata qu’il s’agissait d’un aelfe. Elancé et aussi richement vêtu que l’était sa mère dans son rêve, l’être merveilleux possédait également les mêmes yeux violets. L’enfant fut instantanément conquis par la prestance de l’aelfe. Malheureusement ce dernier ne parut pas lui accorder autant de considération et le toisa d’un air supérieur.

« C’est lui qui nous a indiqué le village de Sigurd, maître ! Se rengorgea Mørk.
– Ce village était en ruine, déclara l’être féérique d’une belle voix grave tout en fixant le jeune garçon. Et Sigurd était mort. Sais tu quoique ce soit à ce propos ?
– Euh… » Bård était décontenancé. La présence de l’aelfe l’impressionnait profondément et il ne pouvait pas s’empêcher de lui trouver un air familier. « Pas vraiment, dit il enfin. Je ne sais pas pourquoi le village a été dévasté.
– Peu me chaut que ce misérable village humain soit détruit, balaya l’aelfe. Je cherche un objet qui m’appartient de droit que Sigurd m’a dérobé.
– Dérobé ? répéta machinalement le garçon surpris.